En effet, l'article 7-2 du décret du 22 avril 1960 précité prévoit qu'un département ne doit participer aux charges de fonctionnement des collèges privés sous contrat d'association situés dans un autre département que dans la mesure où 10 % au moins des élèves résident dans le département. À défaut d'un accord entre les deux départements, les modalités de la participation sont fixées par le représentant de l'État dans la région.
Les dispositions sont identiques en ce qui concerne la participation des régions de résidence aux dépenses de fonctionnement des lycées privés sous contrat d'association, le seuil ouvrant droit au versement d'une participation étant abaissé à 5 % des effectifs dans le cas d'un lycée d'enseignement professionnel.
De plus, l'article L. 442-8 du code de l'éducation prévoit que doivent participer aux réunions de l'organe de l'établissement primaire compétent pour délibérer sur le budget des classes sous contrat d'association non seulement un représentant de la commune siège de l'établissement mais également un représentant « de chacune des communes où résident au moins 10 % des élèves et qui contribue aux dépenses de fonctionnement des classes fréquentées ». Cette disposition, qui est issue de la loi Chevènement du 25 janvier 1985 et qui n'a, depuis lors, jamais été remise en cause, incite à penser qu'une participation financière aux dépenses de fonctionnement des classes primaires privées sous contrat d'association ne devrait pouvoir être demandée qu'au-delà d'un seuil significatif d'élèves scolarisés dans ces classes, à l'instar de ce qui est prévu pour l'enseignement secondaire.
Au-delà du coût financier que doivent subir les communes, la disposition dont nous parlons est préjudiciable au développement de l'enseignement public en général.
En effet, elle est doublement préjudiciable aux communes, car elle favorise, d'une part, l'enseignement privé au détriment de l'enseignement public et, d'autre part, l'enseignement hors du territoire communal au détriment de l'enseignement sur le territoire de la commune.
Elle peut encourager une fuite des élèves hors de la commune et ainsi rendre plus difficile, dans certains cas, le maintien d'une école publique sur le territoire communal.
Quoi qu'il en soit, force est de constater que le maintien des écoles publiques dans une zone enregistrant une baisse démographique s'avère complexe. Cette difficulté résulte d'abord de la concurrence des écoles privées, les parents étant, à juste titre, libres de choisir le type d'enseignement qu'ils souhaitent pour leurs enfants. De surcroît, pour maintenir les enfants sur place et éviter une fuite vers les écoles des communes-centres, fuite accentuée par la suppression progressive de la carte scolaire, les petites communes, notamment situées en zone suburbaine, font des efforts considérables en faveur du secteur périscolaire, afin d'aider les parents en dehors des heures de classes.
En l'état actuel, l'enseignement privé sous contrat d'association bénéficie déjà d'un traitement aussi favorable que l'enseignement public : alors qu'il n'accueille que 17, 1 % des enfants scolarisés, il dispose globalement de 20 % des postes d'enseignant. Des dispositions telles que l'article 89 de la loi du 13 août 2004 ne peuvent que créer un déséquilibre en faveur de l'enseignement privé, d'autant que la loi de finances de 2008 prévoit la suppression d'un nombre de postes d'enseignants supérieur dans le public que dans le privé.
Or l'enseignement public demeure le seul enseignement qui assure pleinement le respect de l'intégralité des principes républicains. Le principe de laïcité est en particulier plus efficacement défendu par l'enseignement public. La proximité avec la population est également plus grande dans l'enseignement public, qui accueille tous les enfants dans l'école de la République.
Insensiblement, c'est le coeur du service public de l'enseignement qui aurait à pâtir d'une trop grande complaisance à l'égard de l'enseignement privé.
Par ailleurs, alors que nous nous sommes engagés dans la voie de la simplification du droit, il est souhaitable de mettre en cohérence les dispositions législatives. Si le premier alinéa de l'article 89 de la loi du 13 août 2004 dispose que « les trois premiers alinéas de l'article L. 212-8 du code de l'éducation sont applicables pour le calcul des contributions des communes aux dépenses obligatoires concernant les classes des écoles privées sous contrat d'association », le premier alinéa de l'article L. 442-9 du code de l'éducation prévoit, pour sa part, que « l'article L. 212-8 du présent code, à l'exception de son premier alinéa, et l'article L. 216-8 du présent code ne sont pas applicables aux classes sous contrat d'association des établissements d'enseignement privés ». L'une ou l'autre de ces dispositions doit être modifiée ou supprimée, afin d'éviter la persistance d'une contradiction entre plusieurs textes de loi.
Des motifs d'inconstitutionnalité peuvent également être soulevés quant aux limites du financement des écoles privées par les collectivités territoriales.
En effet, le Conseil constitutionnel, saisi par les sénateurs socialistes sur la loi relative aux conditions de l'aide aux investissements des établissements d'enseignement privés par les collectivités territoriales, avait, au mois de janvier 1994, censuré un article qui accordait aux collectivités territoriales une liberté totale pour octroyer aux établissements d'enseignement privés sous contrat une aide aux investissements, dans la seule limite du montant des investissements réalisés dans l'enseignement public. L'un des motifs de censure invoqués par le Conseil constitutionnel était l'absence « de garanties suffisantes pour éviter que des établissements d'enseignement privés puissent se trouver placés dans une situation plus favorable que celle des établissements d'enseignement public, compte tenu des charges et des obligations de ces derniers ».
Pour le même motif, la disposition introduite par l'article 89 de la loi du 13 août 2004 aurait pu encourir une censure justifiée. Elle permet à une commune d'accorder une aide financière à une école privée sous contrat d'association située hors du territoire communal dès lors qu'un élève de la commune est scolarisé par cette école, alors même que des capacités d'accueil des enfants dans une école publique située sur le territoire communal existent. Elle crée ainsi une rupture d'égalité au détriment des établissements publics d'enseignement primaire situés dans la commune de résidence, alors même que ces derniers ont pour objet de répondre aux besoins de scolarisation de la commune.
Par ailleurs, dans sa décision précitée sur la loi du 21 janvier 1994, le Conseil constitutionnel considérait également « que, si le principe de libre administration des collectivités locales a valeur constitutionnelle, les dispositions que le législateur édicte ne sauraient conduire à ce que les conditions essentielles d'application d'une loi relative à l'exercice de la liberté de l'enseignement dépendent de décisions des collectivités territoriales et, ainsi, puissent ne pas être les mêmes sur l'ensemble du territoire ; que les aides allouées doivent, pour être conformes aux principes d'égalité et de liberté, obéir à des critères objectifs ; qu'il incombe au législateur [...] de définir les conditions de mise en oeuvre de ces dispositions et principes à valeur constitutionnelle ; qu'il doit notamment prévoir les garanties nécessaires pour prémunir les établissements d'enseignement public contre des ruptures d'égalité à leur détriment ».
Or, en l'état actuel de la rédaction de l'article 89 de la loi du 13 août 2004 et à défaut de disposition réglementaire d'application, la manière dont le financement des écoles primaires privées sous contrat d'association situées hors du territoire communal est assuré dépend de l'interprétation de la législation par la commune : ou bien le conseil municipal fait preuve de bienveillance à l'égard de l'enseignement privé et considère qu'il faut accorder une aide financière pour tout élève scolarisé dans l'enseignement privé sous contrat d'association hors du territoire communal, ou bien il est attaché à un enseignement public, laïque et républicain et n'accorde une aide financière que dans la mesure où la scolarisation d'un élève dans un établissement d'enseignement privé sous contrat d'association intervient soit faute d'une école publique sur le territoire communal, soit en raison de l'accord donné par le maire de la commune de résidence, soit pour l'un des trois motifs spécifiques prévus par l'article L. 212-8 du code de l'éducation.
Cette variation dans l'espace de l'application d'une disposition législative, qui a vocation à être la même sur l'ensemble du territoire de la République, n'est pas acceptable.
Enfin, si la disposition, d'origine parlementaire, avait fait l'objet d'un contrôle de recevabilité financière, elle aurait probablement dû être déclarée contraire à l'article 40 de la Constitution, en raison des nouvelles dépenses qu'elle engendre pour les communes.
Pour conclure, je tiens à souligner également que la proposition de loi que je défends est éclairée d'un jour nouveau par les déclarations récentes du Président de la République. La conception de la laïcité défendue par ce dernier paraît, en effet, en rupture avec la tradition républicaine qui prévalait jusqu'à présent.
C'est en gardant ce contexte à l'esprit qu'il faut aborder l'examen d'une disposition qui conduit à traiter mieux une école privée qu'une école publique, à remettre en cause le principe de parité et à fragiliser l'école publique, alors même qu'elle est déjà particulièrement malmenée.
Par ailleurs, j'invite mes collègues de la majorité sénatoriale à ne pas se réfugier derrière l'identité de l'auteur de l'article pour masquer leur volonté de ne pas intervenir. En effet, notre collègue Michel Charasse, auteur de l'amendement à l'origine de l'article 89, a explicitement affirmé, et à plusieurs reprises, qu'il entendait en réserver l'effet aux seules communes ne disposant plus sur leur territoire d'une école publique.