Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier la présidente Pascale Gruny de la grande qualité de son rapport, et l’ensemble des présidents de commission, ainsi que les services du Sénat, pour le travail toujours minutieux sur le fondement duquel nous allons échanger.
L’année dernière, nous constations, comme vous l’avez rappelé, madame la présidente, des divergences importantes entre les méthodes de calcul du Gouvernement et celles du Sénat. Cet écart laissait penser que le taux d’application des lois s’était fortement dégradé, alors même qu’il ne subissait qu’un léger recul lié à une hausse importante du nombre de textes à prendre.
Si l’année qui s’achève a permis au secrétariat général du Gouvernement – dont je tiens à saluer l’engagement et l’efficacité – et aux services du Sénat de trouver un point d’équilibre en établissant un second indicateur de suivi, la crise sanitaire a eu un impact significatif sur la capacité du Gouvernement à prendre les mesures d’application des lois dans le délai de six mois qui s’impose.
La position du Gouvernement et celle du Sénat ont, en effet, convergé sur la nécessité de présenter un indicateur d’application des lois qui ne prend en compte que les seules mesures actives, c’est-à-dire celles dont l’entrée en vigueur n’est pas différée.
Cependant, Mme Gruny m’interroge sur la différence de méthode qui persiste entre le Gouvernement et le Sénat quant à la prise en compte des arrêtés. J’y vois principalement deux raisons que j’ai déjà évoquées par le passé.
D’une part, si le Premier ministre est titulaire du pouvoir réglementaire, comme vous l’avez rappelé, et s’il assure le suivi des 1 600 décrets publiés chaque année, les arrêtés relèvent de la responsabilité des ministères qui les signent. Les ministres sont donc susceptibles d’être directement interrogés par les parlementaires, notamment le rapporteur chargé du suivi de l’application d’un texte, au sujet de leur publication.
D’autre part, il n’apparaît pas réaliste de confier au secrétariat général du Gouvernement la mission d’assurer une veille exhaustive sur les près de 8 000 arrêtés qui sont publiés chaque année, soit 20 à 40 textes par jour.
Ces précisions méthodologiques étant établies, j’en viens au bilan de l’application des lois, à proprement parler. Arrêté au 31 mars 2021, il présente un taux de 73 %, avec 380 mesures prises sur les 520 mesures actives. Comme vous l’avez indiqué, madame la présidente, il est en recul de neuf points par rapport au bilan que je vous présentais l’an dernier, ce qui s’explique en grande partie par la crise sanitaire.
Mme la présidente Gruny m’interroge sur les voies d’amélioration que le Gouvernement compte suivre pour améliorer le taux et les délais de publication des mesures d’application.
Je tiens d’abord à vous assurer qu’il met tout en œuvre pour rattraper le retard pris au cours de l’année 2020. Celui-ci tend d’ailleurs à se résorber progressivement puisque, à ce jour, le taux d’application des lois a progressé de sept points, pour s’établir à 80 % de mesures publiées. Le Gouvernement s’est fixé pour objectif de rendre applicables dans les meilleurs délais les réformes votées par le Parlement.
Afin de m’assurer de la pleine mobilisation de l’ensemble des ministères, je réunis régulièrement un comité interministériel de l’application des lois. Je rappelle dans ce cadre à l’ensemble des ministères de plein exercice la nécessité de publier les textes d’application dans un délai de six mois après la promulgation des lois dont ils ont la charge. J’interviens également sur ce sujet, en conseil des ministres, de manière périodique.
À l’échelon des services et des cabinets ministériels, le secrétariat général du Gouvernement organise des réunions interministérielles, à une échéance de trois puis six mois, pour définir la programmation des mesures et inciter à leur publication rapide. Je ne vous cache pas que la perspective du présent débat annuel contribue parfois à accélérer, au printemps, la mise en œuvre de certains décrets.
J’en viens à la période de crise que nous traversons et aux mesures prises pour limiter son impact sur l’application de la loi.
Permettez-moi tout d’abord de saluer le travail et l’engagement de l’ensemble des agents des ministères qui ont œuvré à cette tâche.
Malgré la forte capacité d’adaptation et de réaction dont les administrations ont su faire preuve, la mise en œuvre progressive du télétravail pour une partie des agents et l’impossibilité, pour d’autres, d’assurer leurs fonctions du fait de l’épidémie, ont eu un impact certain sur la publication de nombreux textes, notamment ceux attendus pour l’application de la loi d’orientation des mobilités, la LOM, pour celle de la loi relative à l’énergie et au climat et de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, dite AGEC, ainsi que pour celle des lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2020.
À ces difficultés, s’est ajoutée l’augmentation conséquente de la charge de travail liée à la gestion de la crise sanitaire, avec la préparation de 91 ordonnances ainsi que de 95 décrets et de 54 arrêtés portant sur le cadre juridique de l’état d’urgence sanitaire.
Le déploiement massif du télétravail, grâce notamment à l’équipement en matériel informatique, permet désormais de faire face plus sereinement aux contraintes liées à une crise du même type.
Vous avez évoqué, madame la présidente, la question de la durée de la prénotification à la Commission européenne. Ce délai, prévu de manière classique, ouvre la possibilité d’un dialogue entre le Gouvernement et la Commission pour préparer les dispositions.
Enfin, Mme la présidente Gruny m’interroge sur le recours accru aux ordonnances et sur la durée de l’habilitation du Gouvernement. Le travail de décompte que vous avez effectué vous permet d’affirmer, à juste titre, que 259 ordonnances ont été publiées, soit 151 de plus que durant la même période, sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, comme le président Larcher l’a rappelé.
Cependant, une grande partie des ordonnances prises depuis un an, l’ont été pour faire face à l’urgence de la crise sanitaire et à l’impossibilité de réunir le Parlement de manière continue. Il n’est donc pas possible de faire sans retranchements des comparaisons valables.
Chaque fois qu’il l’a pu, le Gouvernement a transformé les demandes d’habilitation en droit substantiel. J’ai le souvenir, lorsque je présentais le projet de loi portant diverses dispositions urgentes pour faire face aux conséquences de l’épidémie de covid-19, d’avoir travaillé avec vous pour limiter au maximum le recours aux ordonnances, pourtant nécessaires pour faire face à l’urgence de la situation.
Ainsi, en excluant du décompte une partie seulement des 99 ordonnances liées à la gestion de la crise sanitaire, l’autre partie ne relevant pas du champ que je viens de définir, le nombre d’ordonnances prises sous ce quinquennat reste au total très proche de celui recensé, durant la même période, sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Il est en outre inférieur à celui du quinquennat de François Hollande.
J’entends, par ailleurs, les critiques quant aux délais d’habilitation que vous jugez trop importants. Des efforts ont pourtant été accomplis pour que les ordonnances soient publiées le plus rapidement possible. En effet, depuis le début de la quinzième législature, leur délai de publication est resté en moyenne de 25 % inférieur à la durée de l’habilitation votée par le Parlement, elle-même souvent réduite au cours de l’examen parlementaire.
Dans le cas d’habilitations courtes, les délais de publication sont généralement encore plus réduits, puisque celle-ci intervient au bout de 31 jours pour les habilitations de 90 jours, et au bout de 125 jours pour les habilitations de 180 jours.
Pour l’ensemble de ces raisons, je ne peux souscrire à vos propos qui laissent à penser que le Gouvernement retarderait le rythme des réformes, alors que le Parlement serait disposé à les mettre en œuvre rapidement.
La répartition entre le pouvoir législatif et le pouvoir législatif délégué permet, au contraire, de concentrer la discussion parlementaire sur les points essentiels, et de réserver les écritures les plus techniques aux ordonnances. Ce dispositif est d’autant plus nécessaire compte tenu des règles de partage de l’ordre du jour.