Madame la sénatrice Cukierman, je vous remercie de votre question. Loin de moi l’idée qu’il faudrait rationaliser le temps parlementaire. J’ai simplement indiqué que dans certains cas – j’ai fait référence à la gestion de la crise sanitaire – où les ordonnances sont le meilleur outil pour œuvrer dans la plus grande célérité.
Vous m’interrogez par ailleurs et plus globalement sur le recours aux ordonnances, qui constitue à vos yeux un recul des pouvoirs du Parlement. Je ne reviendrai pas sur les propos que j’ai tenus tout à l’heure. Je rappelle simplement que, depuis 2007, la moyenne annuelle s’établit à 42, hors ordonnances liées à la crise.
Pour parler franchement, le constat d’une forme de « banalisation », pour reprendre le mot utilisé par Jean-Marc Sauvé lors d’un colloque sur la législation déléguée en 2014, me semble difficile à contester.
Je manque de temps, sans doute, ainsi que du recul nécessaire, pour me livrer à une explication juridique des causes de ce phénomène, mais je partage de façon empirique l’analyse de l’ancien vice-président du Conseil d’État, que je me permets de citer : « L’“inflation législative” […] a […] trouvé dans la législation déléguée un exutoire durable, d’abord pour répondre à l’urgence de certaines réformes ou pour décharger le Parlement de l’adoption de textes techniques […], ensuite pour investir très largement le domaine devenu très extensif de la loi. »
Pour ce qui est de la ratification des ordonnances par le Parlement, le Gouvernement s’engage généralement, au moment de la demande d’habilitation et s’agissant de sujets d’intérêt pour les parlementaires, à inscrire à l’ordre du jour le projet de loi de ratification. Ce fut le cas pour le tout premier texte d’habilitation voté sous ce quinquennat, visant à renforcer le dialogue social, ou plus récemment au sujet de la justice pénale des mineurs.
Le Parlement demeure en outre libre d’inscrire sur son ordre du jour, notamment à la suite des débats de contrôle, la ratification d’ordonnances dont il souhaite discuter ou amender le contenu. L’article 48 de la Constitution lui confère la maîtrise de la moitié de son ordre du jour ; libre à lui d’en disposer selon ses priorités. Tel est le sens, me semble-t-il, de l’une des conclusions du groupe de travail sur la modernisation des méthodes de travail du Sénat.
À l’inverse, le Gouvernement n’est pas favorable à l’inscription systématique en séance publique, sur son ordre du jour prioritaire, de projets de loi de ratification, dès lors qu’il n’existe pas de volonté politique d’en modifier la teneur ou d’en valider le principe.
Je tiens à rappeler qu’en la matière, le Sénat a de lui-même écarté l’option d’un débat en séance publique pour près de la moitié des ratifications d’ordonnances sous ce quinquennat. L’article 71 de la loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises, dite Pacte, par exemple, qui prévoyait la ratification de 23 ordonnances, a été examiné en procédure de législation en commission à la demande de la commission spéciale et n’a donné lieu à aucun débat particulier.
Vous m’interrogez également sur la décision récente relative à la répartition des compétences entre le Conseil d’État, le Conseil constitutionnel et le Parlement en matière d’ordonnances non ratifiées.
Lorsque le délai d’habilitation accordé par le Parlement au Gouvernement pour prendre l’ordonnance est expiré, la contestation de l’ordonnance, au regard des droits et libertés garantis par la Constitution, doit prendre la forme d’une question prioritaire de constitutionnalité dont aura à juger le Conseil constitutionnel.
En revanche, le Conseil d’État continuera de contrôler systématiquement la conformité de l’ordonnance aux règles et principes de valeur constitutionnelle, aux engagements internationaux et aux limites fixées par le Parlement.
Le Parlement, quant à lui, conservera l’entièreté de ses pouvoirs, que ce soit pour ratifier l’ordonnance, qui ne pourra le cas échéant plus être contestée devant le Conseil d’État, ou pour la modifier.