Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que notre assemblée entamera dans quelques jours le long examen en séance publique du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dit Climat et résilience, il a semblé important au groupe Les Républicains que le Sénat puisse débattre en amont du cadre dans lequel l’action climatique conduite par notre pays devra s’inscrire.
Hier, lorsque j’ai présenté mon rapport pour avis devant la commission des finances, je n’ai pas manqué de relever que les quelques articles sur lesquels je m’étais penchée appelaient tous à une concertation avec nos partenaires de l’Union européenne.
Le cadre dont nous allons débattre, c’est le projet de Pacte vert, présenté par la Commission européenne en décembre 2019. Ce pacte vise à atteindre la neutralité climatique en 2050, puis des émissions nettes négatives par la suite, à restaurer la biodiversité et à mettre un terme à la dégradation de l’environnement. Son fil rouge : parvenir dans les trente ans qui viennent à une transformation complète du modèle de croissance de notre continent.
Cette feuille de route implique des changements d’une réelle ampleur, que nous n’avons pas forcément tous perçus. Tous les pans de notre activité sont concernés, qu’il s’agisse de l’énergie, de l’industrie, du commerce, des transports, de la construction, de la recherche, de la finance, du recyclage ou encore de l’agriculture. Ce sont plusieurs dizaines de règlements et de directives qui seront proposés ou révisés dans les prochains mois.
À ce titre, un premier paquet législatif, intitulé « Ajustement à l’objectif 55 », sera présenté le mois prochain pour adapter la réglementation à la nouvelle cible climatique agréée fin avril par le Parlement européen et le Conseil, et qui porte sur une réduction nette de 55 % des émissions européennes d’ici à 2030. L’adoption de ce cadre obligera très certainement à réviser les ambitions de la France, inscrites dans le projet de loi Climat et résilience.
Mes chers collègues, il nous faut tous mesurer la hauteur de la marche qu’il nous est demandé de franchir. Entre 1990 et 2018, l’Europe a réduit ses émissions de 23 %. En un peu plus de huit ans, nos résultats devront donc être supérieurs de près de 40 % à ceux que nous avons obtenus au cours des trente dernières années. Même en tenant compte du progrès technique réalisé depuis les années 1990, l’effort à fournir est colossal !
La Commission européenne a présenté en janvier 2020 un plan d’investissement pour la transition écologique doté de 1 000 milliards d’euros sur dix ans. On peut le comparer au plan Juncker, lequel était à hauteur de 500 milliards d’euros sur cinq ans.
Dans le même temps, la Commission précisait que, pour atteindre l’objectif de réduction de 40 % des émissions à l’horizon 2030, c’était non pas 1 000, mais 2 000 milliards d’euros d’investissements qui étaient nécessaires. Ce ne sont donc pas les 37 % du plan de relance européen affectés à la transition écologique, soit 275 milliards d’euros seulement, qui permettront de combler la différence, et encore moins de financer la réalisation d’un objectif désormais porté à 55 %.
Pour tenir ces engagements climatiques, les finances nationales des États membres devront également être mises à contribution. L’Insee a récemment évalué à 100 milliards d’euros les dépenses annuelles nécessaires pour que la France atteigne la neutralité climatique en 2050, contre une dépense estimée à 45 milliards d’euros en 2018.
Il faudra donc mobiliser des capitaux privés. En disant cela, je souligne en creux que la notion de développement durable repose sur trois piliers : la soutenabilité écologique, l’efficacité économique et l’équité sociale. Il serait illusoire de prétendre se concentrer sur le premier pilier en oubliant les deux autres : ce serait courir le risque d’un effondrement global. La Commission y a été attentive puisque, dans l’enveloppe de 1 000 milliards d’euros d’investissements prévus, 100 milliards servent à financer un mécanisme pour la transition juste, en vue notamment de soutenir les territoires les plus en retard.
Les entreprises, véritables chevilles ouvrières de la transition écologique, devront donc être au centre de notre attention. Car c’est leur capacité à investir pour innover, développer de nouveaux modes de production, mais aussi assumer de nouvelles contraintes qui dictera notre capacité à atteindre nos objectifs climatiques.
Une politique industrielle volontariste est à ce titre indispensable. Les projets importants d’intérêt européen commun (Piiec), qui permettent un soutien dérogatoire aux règles en matière d’aides d’État pour les filières industrielles innovantes, doivent en être un instrument fort. Et la volonté de relocalisation industrielle doit être une boussole.
Mais surtout, l’intense activité normative qui s’ouvre au niveau européen devra faire preuve d’un absolu pragmatisme. J’illustrerai mon propos par quelques exemples.
Tout d’abord, en matière d’énergie, il faut reconnaître le rôle majeur que doit jouer l’énergie nucléaire.
Dans un contexte où la demande en électricité est appelée à croître, le recours à l’énergie nucléaire est le seul moyen d’assurer une production, à la fois, totalement décarbonée, adaptée aux besoins et abordable pour les entreprises mais aussi pour les particuliers. Sa non-inclusion, à ce stade, dans la taxonomie sur la finance verte est une aberration.
J’ai envie de croire à l’engagement du Gouvernement en la matière, après avoir entendu les propos tenus, il y a quelques instants, par le ministre Bruno Le Maire devant notre commission des finances.
Pragmatisme, ensuite, en matière commerciale. Nous avons un besoin impérieux de conditions de concurrence équitables, notamment au travers d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF).
Enfin, en matière agricole et alimentaire, les stratégies « Biodiversité » et « De la ferme à la table », conjuguées à la nouvelle architecture verte de la politique agricole commune (PAC), laissent entrevoir une baisse de la production en Europe. Ce n’est pas l’étude d’impact européenne disponible sur le sujet qui le dit, mais les évaluations du ministère américain de l’agriculture, lequel estime que cette réduction pourrait aller jusqu’à 12 %.
Au regard de la qualité de l’étude d’impact qui a été communiquée dans le cadre du projet de loi Climat et résilience, je ne jetterai pas la pierre à la Commission… Mais nous devons nous interroger collectivement sur l’évaluation des conséquences des objectifs que nous nous fixons en matière climatique.
La transition dans laquelle s’engage aujourd’hui l’Union européenne exigera des efforts gigantesques. Mais elle ne pourra que s’enliser si elle se limite à interdire ou à taxer.
Elle pourra au contraire réussir si elle parvient à mobiliser le génie européen pour concevoir et exploiter les technologies bas-carbone de demain.
Elle réussira si nous sommes en mesure d’en faire aussi un levier de création d’emplois et de valeur ajoutée.
Pour relever cet immense défi, gardons donc à l’esprit que, si l’ambition climatique et environnementale n’est plus une option, celle-ci ne pourra se concrétiser qu’en combinant deux qualités aussi fondamentales que complémentaires des Européens : la créativité et le pragmatisme.