Intervention de Pascal Allizard

Commission des affaires européennes — Réunion du 27 mai 2021 à 9h15
Politique étrangère et de défense — Mission d'observation électorale de l'osce en bulgarie le 4 avril 2021- compte rendu de m. pascal allizard

Photo de Pascal AllizardPascal Allizard, responsable de la mission pour l'Assemblée parlementaire de l'OSCE :

Je casse tout suspens : les élections législatives en Bulgarie devront être recommencées en juillet prochain.

Deux points importants étaient particulièrement à observer : la procédure électorale et son évolution dans un pays ayant accédé à la démocratie il y a trente ans - c'est peu à l'échelle historique ; et la manière dont un pays européen organisait une élection dans le contexte pandémique. La situation sanitaire était légèrement plus grave que la situation française, mais comparable en termes d'incidence, de risques, et de nombre de patients hospitalisés. Ces élections, très bien organisées, se déroulaient lors d'une troisième vague assez sévère. Les élections se sont tenues par la volonté du Gouvernement, malgré ce contexte sanitaire dégradé. Partout le masque était porté, les distances respectées même en cas de queue, les citoyens étaient très disciplinés.

Les moyens de surveillance étaient importants. Les bureaux de vote avaient tous six ou sept assesseurs et restaient ouverts de 7 heures du matin à 8 heures du soir. Chacun avait sa nouvelle carte d'identité - petit format numérisé à puce, le modèle qui sera disponible en France. Des forces de sécurité étaient présentes pour aider à la formation des files. Enfin, la plus grande sérénité régnait et peut-être aussi un peu de résignation. Partout, André Gattolin et moi-même avons été bien reçus.

Il était prévu de promener des urnes mobiles dans les hôpitaux, chez les malades et chez tous ceux qui étaient empêchés de se déplacer, mais cette idée généreuse demandait une logistique délicate et beaucoup de bras ; le nombre des volontaires n'était pas suffisant. En Bulgarie, le vote par procuration n'existe pas. En conséquence : on peut au dernier moment ajouter quelqu'un sur les listes électorales s'il peut prouver qu'il devait s'y trouver ou qu'il ne peut pas voter ailleurs - ce qui ne cesse de nous interroger... Ainsi, des étudiants se contentaient de monter leur carte d'étudiant ou leur carnet de notes en plus de leur carte d'identité et s'engageaient sur l'honneur à ne pas voter deux fois.

Le résultat des élections législatives bulgares confirme la victoire des conservateurs du Premier ministre sortant, Boïko Borissov, en place depuis près de quinze ans. Cependant, les caractéristiques propres à la proportionnelle intégrale, le nombre de partis en lice - trente - et l'ampleur du vote protestataire, divisé entre plusieurs petits partis nouveaux, donnent un résultat éclaté. C'est ainsi que s'est ouverte une période d'instabilité politique que le Premier ministre sortant croyait pouvoir exploiter à son profit. Il n'en est rien.

Son parti représente encore la première force politique du pays malgré un net recul de son électorat. Il veut tenir les rênes directement ou indirectement jusqu'à l'élection présidentielle de novembre, qui pourrait bien lui donner la présidence, à défaut d'un nouveau mandat de Premier ministre.

Le GERB (« Citoyens pour le développement au sein de l'Union européenne »), parti de M. Borissov, arrive donc en tête, mais il est suivi de près par un nouveau parti populiste dénommé « Il y a un tel peuple » ou plutôt « Le peuple existe » (ITP), fondé par le célèbre et étonnant présentateur de télévision nationale Slavi Trifonof.

Ce dernier a annoncé pendant la campagne qu'il ne ferait de coalition avec personne. À la publication du résultat, il s'est contenté de dire que le peuple avait gagné et qu'il reprenait enfin le pouvoir qu'on lui avait confisqué. Comprenne qui pourra. La réalité est que son électorat veut « dégager » le pouvoir en place sans pour autant avoir d'autre programme que ce « dégagisme ». Cette formation nouvelle de l'animateur télévisé satirique a créé une énorme surprise que les sondeurs n'avaient pas vue puisque cette formation devance largement les « socialistes ». Slavi Trifonof a également été plébiscité par les Bulgares de l'étranger qui l'ont placé en tête.

Le mouvement « Bulgarie démocratique de la droite citadine », composé de ceux qui avaient lancé les défilés antigouvernementaux de l'hiver dernier, fait aussi mieux que prévu. L'autre parti contestataire, « Levez-vous et mettez les mafieux dehors » (DMD, plutôt à gauche), a réuni près de 5 % des électeurs. Habituel faiseur de rois, le parti ethnique de la minorité turque MDL qui se veut un parti « ouvert à tous » n'arrive qu'en cinquième position, car il a été pénalisé par la mauvaise réputation du député oligarque Delyan Peevski, soupçonné de malversations et d'une grande influence sur la classe politique, sur le parquet et sur les médias dont il possède une partie non négligeable. MDL avait décidé de retirer le nom de ce député de ses listes. La manoeuvre n'a trompé personne.

Enfin, les nationalistes « macédoniens » du VMRO, qui faisaient partie du Gouvernement sortant, n'ont pas réussi à dépasser la barre des 4 % et quittent le Parlement. Les 25 autres partis n'ont récolté que quelques voix.

Ces résultats traduisent la profonde fragmentation de l'opinion et un profond malaise dans cette société qui ne voit toujours pas venir la prospérité qu'elle convoitait en intégrant le club européen. Une fois de plus, aucune majorité nette ne se dégage et le parti en place profite de la prime au sortant et du légalisme d'une partie de l'électorat, lequel se méfie du retour du communisme sous un autre nom.

Dans un geste de bonne volonté voire une manoeuvre tactique, le Premier ministre a d'abord tendu la main à ses opposants, mais les négociations sont apparues très difficiles. On tablait d'abord sur un gouvernement composé d'experts pour « traverser la crise de la covid-19 et aller de l'avant ». Ainsi s'exprimait M. Borissov, mais l'élection présidentielle prévue en novembre attise naturellement de nouvelles luttes et empêche certaines alliances. Le président en place, le « socialiste » Roumen Radev, ancien communiste pro-russe et très peu europhile, a soutenu les manifestants, n'a pas caché son mépris pour le gouvernement sortant et a déjà annoncé qu'il briguerait un nouveau mandat. Dans une déclaration qui est mal passée, il a déclaré le jour du vote qu'il s'apprêtait à voter « contre l'arbitraire et la corruption », affichant sa confiance dans un « retour à la normalité ». Personne n'a compris à quelle normalité il se référait.

Actuellement, six partis et coalitions politiques dépassent la barre des 4 % nécessaire pour entrer au Parlement : les sortants du GERB/UFD (coalition sortante dirigée par l'actuel Premier ministre Boïko Borissov) ont obtenu 26,18 % des suffrages et 75 sièges, soit 20 de moins qu'auparavant ; « Il y a un tel peuple », le nouveau parti de l'animateur Slavi Trifonov, a obtenu 17,66 % des suffrages et 51 sièges ; le PSB (parti socialiste anciennement communiste) a obtenu 15,01 % des suffrages et 43 sièges, contre 80 auparavant ; MDL a obtenu 10,49 % des suffrages et 30 sièges, soit 4 de plus ; « Bulgarie démocratique » a obtenu 9,45 % des suffrages et 27 sièges ; « Levez-vous et mettez les Mafieux dehors ! » a obtenu 4,72 % des suffrages et 14 sièges. Les autres partis n'ont aucun représentant.

Ainsi 3 254 899 électeurs ont voté, soit un taux de participation de 49,88 %, chiffre non négligeable compte tenu du découragement de la population et de la situation sanitaire.

Le 7 avril 2021, juste après les élections, le Premier ministre Boïko Borissov (GERB) a tenu en Conseil des ministres un discours qui se résume en cinq points : GERB est la première force politique et doit donc proposer la formation d'un gouvernement, mais elle ne peut pas avoir de majorité au Parlement, qui voulait « tout sauf Borissov » ; Boïko Borissov a demandé en conséquence à Slavi Trifonov de ne pas déserter et de former un gouvernement, mais il a reçu une fin de non-recevoir ; il a affirmé ensuite qu'il était « prêt à donner des députés à Trifonov » pour lui assurer un soutien au Parlement dans le cas où il formerait un gouvernement ; il s'est dit convaincu que de nouvelles élections n'apporteraient pas de solution et seraient un gaspillage d'argent et de temps, tandis que le Président de la République affirmait exactement le contraire ; il a suggéré enfin de profiter de cette législature pour tenter une union nationale et préparer la convocation d'une assemblée constituante qui adopterait une nouvelle Constitution, afin de changer le mode de scrutin au profit d'un scrutin uninominal, ce que refusent tous les autres partis.

On pensait alors que le Premier ministre sortant, qui s'est toujours montré d'une grande habileté politique, réussirait à tirer son épingle du jeu ; mais l'hostilité de ses adversaires et ses ennuis de santé qui l'ont conduit à l'hôpital ont joué contre lui, et son parti a suscité une profonde réaction de rejet au Parlement. Aucune coalition ne s'est avérée possible.

Boïko Borissov, vainqueur sans majorité absolue, a ainsi mandaté sans succès le nouveau parti populaire anti-élite « Il y a un tel peuple » pour former une coalition ; puis il a tenté de se rapprocher du parti socialiste, troisième parti le plus important du Parlement, sans succès là aussi. « La Bulgarie a besoin d'une alternative politique avec une volonté forte, chose que le Parlement actuel n'a pas réussi à produire », a déclaré le Président Roumen Radev après le refus du parti socialiste, troisième et dernière tentative de former un gouvernement.

Les textes bulgares prévoient qu'après trois tentatives avortées, le Président de la République reprend la main. Le 5 mai, ce dernier a décidé de procéder à de nouvelles élections le 11 juillet prochain. La semaine dernière, il a annoncé la désignation de son secrétaire à la défense au poste de Premier ministre par intérim. Âgé de 61 ans, Stefan Yanev est un proche du Président Radev. Sa tâche, d'ici aux élections législatives du 11 juillet, sera de juguler l'épidémie de coronavirus et de garantir l'organisation d'un scrutin équitable, et bien sûr d'assurer la réélection de son mentor en novembre.

En conclusion, je tiens à nouveau à saluer le courage du Gouvernement bulgare qui a pris le risque d'organiser ces élections dans des conditions exceptionnelles - en France, nous étions en train de débattre sur la tenue ou non des élections régionales et départementales. Je tiens aussi à souligner à quel point les électeurs bulgares semblent désabusés au vu de la situation générale du pays qui reste aux mains de clans qui n'ont pas d'autres projets que de gérer leurs affaires tandis que ceux qui pourraient accéder au pouvoir et les remplacer ne savent pas comment s'y prendre. La proportionnelle intégrale n'arrange pas les choses et ne permet pas de dégager une majorité pour gouverner. Pourtant, il n'y a pas de consensus pour changer ce mode de scrutin. Enfin, je dois souligner le découragement du peuple bulgare qui a tant attendu de son appartenance à l'Union européenne et qui ne croit plus aussi aveuglément à la solution communautaire. C'est un message que nous devrions entendre, à Paris comme à Bruxelles. Contrairement à la Roumanie, la Bulgarie n'a pas profité de la manne européenne pour différentes raisons - dont la corruption.

Je ne retournerai pas en Bulgarie le 11 juillet puisque le Secrétaire général de l'OSCE m'envoie en Moldavie ce jour-là.

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