Je vous remercie de votre invitation, même à distance. J'espère que nous pourrons nous rencontrer prochainement pour évoquer l'Europe sociale, les résultats du sommet informel de Porto et le plan d'action fondé sur le socle européen des droits sociaux.
Je vais revenir sur la plus-value de l'Union européenne en matière sociale. Certains défendent que le social est une compétence presque exclusivement nationale. Qu'est-ce que l'Europe peut alors faire ? Les citoyens européens ont compris qu'une Union européenne détachée du social ne serait pas à leur service. Nous en avons fait l'expérience lors de la précédente crise. Pour neuf Européens sur dix - et neuf Français sur dix -, une Europe plus sociale est importante pour eux personnellement. Cette plus-value européenne en matière sociale est très bien perçue.
Dans une période de sortie de crise sanitaire, il est nécessaire que la dimension sociale soit ancrée dans les plans de relance, qui traduit la solidarité européenne.
Le socle européen des droits sociaux constitue un changement non négligeable pour les politiques européennes. L'adoption de ce socle après la crise financière précédente a établi vingt principes fondamentaux. La Commission européenne a annoncé qu'elle adopterait un plan d'action pour mettre en oeuvre le socle et qu'elle l'intégrerait dans toutes les politiques européennes. C'est un changement substantiel, une annonce novatrice faite avant la crise, mais qui devient encore plus indispensable après. Il faut ancrer le social dans les politiques européennes comme un élément pleinement intégré et non accessoire.
Je reviens avec optimisme du sommet social de Porto, où nous avons assisté à une vraie relance de l'Europe sociale. Nous avons pris un engagement clair sur la nécessité de mettre en oeuvre une politique sociale active.
Nous avons défini des grands objectifs, synthétiques, qui résument toute une gamme d'objectifs indispensables, et qui nous obligent à regarder plus loin.
Nous voulons d'abord augmenter le taux d'emploi à 78 % en moyenne en Europe. Nous devons aussi créer des emplois de qualité. C'est pourquoi les politiques de relance actuelles et les politiques industrielles sont une priorité. Le commissaire à l'industrie travaille sur les différents écosystèmes pour voir comment maintenir ou renforcer la compétitivité de secteurs clés pour que l'Europe ne décroche pas.
Le taux d'emploi des femmes me tient particulièrement à coeur. Dans certains pays, il reste très faible. Les femmes sont souvent très bien formées, mais en raison notamment d'une politique de garde d'enfants insuffisante, elles ne sont pas encouragées à travailler. Il faut changer cela.
Ensuite, nous voulons davantage former. Nous sommes dans une période de grande transformation : transition écologique, lutte contre le changement climatique, développement du numérique se diffusent dans toutes les activités et transforment le monde du travail. La formation est un aspect clef des politiques de l'emploi.
La formation, c'est aussi l'éducation. Nous avons développé un agenda des compétences et émis des propositions sur la formation professionnelle.
Nous devons miser sur la formation continue. Ce n'est pas un sujet nouveau, mais il est urgent de le mettre en oeuvre. Nous devons atteindre activement, de façon plus ciblée, mais à une plus large échelle, l'objectif de 60 % d'adultes formés chaque année. La formation continue doit concerner tout le monde, et notamment les moins bien formés qui verront souvent leur emploi évoluer. Avec le commissaire à l'industrie, nous travaillons beaucoup sur l'écosystème de la formation continue, la requalification, l'investissement dans les compétences : upskilling (la montée en compétences) et reskilling (le renouvellement des compétences).
Enfin, nous voulons renforcer la cohésion sociale. Nous assistons à une évolution inquiétante : de plus en plus de personnes décrochent et tombent dans la pauvreté, qui touche plus de 100 millions d'Européens - dont certains travaillent pourtant. C'est souvent lié à un manque de formation et d'intégration au marché du travail. Lutter contre la pauvreté est une obligation sociale et a aussi un intérêt économique. Nous devons aider ces personnes à avoir une activité permettant de mener une vie décente.
Voilà trois objectifs devant lier les politiques européennes et qui nécessitent de plus vastes approches.
Nous n'avons pas attendu Porto pour travailler sur l'Europe sociale et sur des mesures concrètes. Nous avons pris l'initiative en créant un agenda des compétences et en lançant un pacte sur les compétences réunissant les entreprises, les secteurs et les partenaires sociaux. Je me réjouis de votre soutien à notre proposition de directive sur le salaire minimal, qui met le doigt sur un problème majeur en Europe. L'Europe a besoin de convergence économique pour assurer une cohérence politique et être soutenue par ses citoyens. Il faut aussi de la convergence sociale. Les écarts sociaux - et notamment de salaires - sont énormes. Les écarts vont d'un à sept entre les salaires minimums des différents pays. Ce n'est pas bon économiquement ni socialement. Le moment choisi pour notre proposition est particulièrement approprié : nous sortons de la crise, avec une relance forte soutenue par le fonds de relance européen. Cette relance doit être juste. Le partage des fruits d'une croissance retrouvée - même si nous changeons de modèle - doit être équitable. Nous voulons créer un cadre pour le salaire minimum - et non un salaire minimum européen, ce qui serait illusoire et impossible - afin de faire converger vers le haut les salaires minimums. Nous devons aussi lutter contre le phénomène des travailleurs pauvres. Cette directive est en cours de négociation.
Dans cette directive, nous voulons aussi soutenir les négociations collectives. Soit celles-ci se sont amoindries, soit elles sont à un niveau extrêmement faible.
Nous sommes également sur le point de trouver un accord sur nos recommandations de lutte contre la pauvreté des enfants. La pauvreté des enfants reflète celle des familles. Pour casser ce cycle infernal, il faut travailler aussi sur l'enfance, dès le plus jeune âge. J'en ai discuté avec votre ministre de l'éducation nationale : il faut scolariser tôt, créer des structures de garde d'enfant, soutenir l'école et la nourriture à l'école - car c'est parfois le seul endroit où les enfants mangent correctement.
De nouveaux modèles d'organisation du travail sont apparus ces dernières années, liés pour beaucoup aux plateformes numériques, qui se traduisent par une plus grande précarité pour les travailleurs, en particulier sous la forme de l'autoentreprise. La France a pris des mesures pour mieux protéger les travailleurs des plateformes, mais ce n'est pas le cas partout, et je crois que nous avons besoin de règles communes sur le continent, car les plateformes sont transnationales. La Commission se soucie de la précarisation du travail.
Nous avons lancé, dès juillet 2020, un programme pour soutenir l'accès à l'emploi des jeunes, nous sommes convaincus que c'est une priorité décisive, qui passe en particulier par le renforcement de l'apprentissage. La priorité à l'emploi des jeunes fait l'objet du point 11 de la Déclaration de Porto, nous allons encourager les États membres dans ce sens.
Sur la sécurité sociale, nous avons besoin de plus de coordination, du fait de la mobilité des travailleurs, mais c'est aussi une question d'équité. La précédente Commission a fait des propositions dans ce sens, ainsi qu'en matière d'indemnisation des chômeurs transfrontaliers, mais elles n'ont pas abouti en trilogue. L'assurance chômage est dans le programme de l'actuelle Commission. La crise sanitaire nous a conduits à mobiliser, sous forme de prêts, 100 milliards d'euros au titre du chômage partiel, - la France n'y a pas recouru parce qu'elle a eu des conditions plus avantageuses en s'adressant directement aux marchés financiers - : notre enveloppe a été quasiment toute dépensée, évitant le chômage dans bien des États membres.
Nous allons aussi faire une proposition sur les comptes personnels de formation, avec l'objectif que chacun puisse se former, à l'instar du dispositif que vous avez en France. Je pense aussi à l'économie sociale, que vous connaissez bien en France et sur laquelle se tient ces jours-ci une grande conférence en Allemagne, à Mannheim - où la Commission va présenter un plan de soutien : c'est un domaine utile à la création d'emplois et qui répond à des demandes sociales, en particulier pour la prise en charge des personnes vulnérables.