Intervention de Jérôme Chappellaz

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 6 mai 2021 à 9h00
La recherche en milieu polaire menée par la france : état des lieux et perspectives

Jérôme Chappellaz, directeur de l'Institut polaire français Paul-Émile Victor (IPEV), directeur de recherche au CNRS :

L'Institut polaire français est l'opérateur national au service de la science aux pôles. C'est un groupement d'intérêt public créé en 1992, son siège est à Brest. Son conseil comprend huit administrateurs représentant l'État (ministère de la recherche et de l'innovation, ministère des affaires étrangères), la recherche (CNRS, CEA, CNES, Ifremer et Météo France) et une collectivité (les Terres australes et antarctiques françaises). L'IPEV emploie 40 personnels permanents et 120 contractuels saisonniers. Notre budget annuel est de 16 millions d'euros.

Nos missions consistent à sélectionner des projets de recherche, entre 70 et 80 chaque année. Nous gérons également les infrastructures et la logistique et nous organisons les expéditions. En 2019, nous avons déployé 320 scientifiques sur le terrain pour un total de 36 000 personnes x jour en comptant à la fois les personnels scientifiques et techniques.

En Arctique, notre principal atout est la station de recherche franco-allemande AWIPEV. Nous opérons également la station Corbel. Par ailleurs, la France est fortement investie dans une unité mixte internationale de recherche appelée Takuvik, gérée par le CNRS avec le Canada. Nous avons un certain nombre d'accords bilatéraux, essentiellement signés à l'échelle des laboratoires de recherche, impliquant la Fédération de Russie, la Norvège, la Finlande, la Suède, le Danemark, le Canada et les États-Unis.

Les principaux atouts français se situent néanmoins dans l'hémisphère Sud. L'Institut polaire gère une quarantaine de refuges dans les îles subantarctiques (archipel Crozet, archipel des Kerguelen, îles Amsterdam et Saint-Paul) où les chercheurs peuvent se déployer, mais également des laboratoires localisés dans les stations de recherche gérées par les Terres australes et antarctiques françaises. En Antarctique, nous gérons la station Dumont d'Urville, située sur l'île des Pétrels à 5 kilomètres de la côte, à proximité du rocher du débarquement où Jules Dumont d'Urville a été le premier homme à mettre le pied sur le continent antarctique en janvier 1840. Nous opérons aussi la station Concordia, créée en 2005, située à 1 100 kilomètres à l'intérieur des terres et à 3 200 mètres d'altitude et gérée à parité de moyens avec l'Italie.

Pour rallier ces stations, trois moyens sont nécessaires : des moyens maritimes, des moyens terrestres et des moyens aériens. Le navire ravitailleur L'Astrolabe est opérationnel depuis 2017. Il présente la particularité d'être la propriété des Terres australes et antarctiques françaises, d'être armé par la Marine nationale mais sous l'autorité d'emploi de l'IPEV 120 jours par an, d'octobre à mars, de manière à assurer des missions de ravitaillement de l'Antarctique. L'Astrolabe part de Hobart en Tasmanie pour rejoindre la station Dumont d'Urville, soit 2 700 kilomètres de navigation dans l'océan le plus agité du monde. Avec ce navire, nous assurons cinq rotations par campagne australe pour transporter le personnel ainsi que le matériel nécessaire aux opérations.

Des convois terrestres lourds, avec tracteurs et caravanes, sont aussi programmés entre les stations Dumont d'Urville et Concordia, au nombre de trois convois par campagne d'été pour apporter du matériel. Pour amener le personnel vers la station Concordia, nous utilisons principalement des avions équipés de skis qui sont gérés, pour l'essentiel, par l'Italie depuis la station côtière Mario Zucchelli ou par l'Australie depuis la station côtière Casey.

Les financements pour la recherche en milieu polaire sont assez disparates. En ce qui concerne la recherche scientifique en Arctique, notre institut contribue à son financement de même que l'Agence nationale de la recherche qui apporte des financements importants aux laboratoires, notamment au travers du Belmont Forum. Des organismes de recherche et des universités financent également des projets. Enfin, les projets européens constituent un atout très important pour la recherche française en milieu arctique.

En Antarctique, nous avons des partenariats historiques avec l'Italie, à travers la station de recherche Concordia, mais aussi avec l'Agence spatiale européenne, également à Concordia, où nous opérons de la recherche en sciences humaines en anticipation des futures missions spatiales habitées à destination de la Lune et de Mars. La recherche française est financée à travers un grand nombre de projets européens. Nous avons noué avec l'Australie des partenariats étroits : nous organisons des échanges de services chaque année et nous oeuvrons pour une montée en puissance de nos coopérations, à la fois dans le domaine scientifique et dans le domaine des opérations logistiques.

Les ministres français et italien de la recherche se sont rencontrés le 27 février 2020 à l'occasion du sommet France-Italie à Naples. À cette occasion, les ministres ont signé une déclaration d'intention sur la station Concordia, visant à la moderniser mais aussi à l'ouvrir davantage à l'Europe dans une logique de transnational access et avec l'objectif d'encourager les échanges de services entre l'Arctique et l'Antarctique.

Quelles sont les ambitions que la France peut afficher en Arctique ? Notre objectif y est de renforcer les partenariats bilatéraux pour ancrer la science française sur les infrastructures des nations possessionnées. Olivier Lefort, directeur de la Flotte océanographique française, parlera notamment de la possibilité d'utiliser les moyens maritimes du Canada et de son brise-glace Amundsen. Parallèlement, il est important de ne pas interrompre l'investissement français au Svalbard, qui est protégé par le traité éponyme signé en France en 1920 et qui est un lieu de fortes collaborations internationales. Enfin, il faut s'inscrire dans une démarche européenne, encourager le développement du transnational access et des échanges de services, qui sont des moyens relativement peu coûteux pour permettre à nos chercheurs d'accéder à des infrastructures importantes.

En Antarctique, le contexte est différent puisque nous y avons des moyens importants. Je tiens à souligner que la ministre de la recherche, Frédérique Vidal, s'est rendue à la station Concordia en novembre 2019. Elle a été la première ministre en exercice de la République française à se rendre sur le continent blanc. Alors que la France préside cette année la réunion du Traité sur l'Antarctique, notre ambition est de moderniser nos infrastructures de Dumont d'Urville et de Concordia avec un très haut niveau d'exigence environnementale. Nous souhaitons que la France soit équipée de moyens océanographiques récurrents, peut-être en rehaussant le nombre de jours de disponibilité de L'Astrolabe pour la science ou en investissant dans un navire de façade dédié. En Antarctique, il conviendra, comme en Arctique, de développer le transnational access et de porter des projets internationaux ambitieux sur des sujets sociétaux majeurs, par exemple sur la contribution de l'Antarctique de l'Est à la montée future du niveau des mers, la biodiversité et la mise en place d'aires marines protégées.

Je terminerai ma présentation avec la question des moyens. Au cours des 15 dernières années, l'Institut polaire français a dû gérer l'ouverture de Concordia et l'augmentation des missions en Arctique à la demande du gouvernement à la suite de l'année polaire internationale 2007-2008. De fait, le nombre de scientifiques déployés sur le terrain a été multiplié par quatre. En parallèle, nous avons subi une perte de 10 postes mis à disposition par le CNRS. Nous ne sommes pas aujourd'hui en mesure de compenser cette réduction de postes, même si notre budget était suffisant pour recruter du personnel, car nos emplois en propre sont plafonnés par la loi de finances. De plus, l'analyse comparative internationale montre que de nombreuses nations ayant un PIB comparable à celui de la France disposent de moyens beaucoup plus importants et continuent d'investir compte tenu des enjeux.

Je conclurai donc par cette expression d'Hervé Gaymard, ancien ministre des finances : « La France est une puissance polaire à l'épreuve de la réalité opérationnelle ». Nous comptons donc sur le soutien de l'OPECST pour défendre nos ambitions.

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