Intervention de Charles Giusti

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 6 mai 2021 à 9h00
La recherche en milieu polaire menée par la france : état des lieux et perspectives

Charles Giusti, préfet, administrateur supérieur des TAAF :

Le Traité sur l'Antarctique dédie le continent à la science et le Protocole de Madrid en fait une réserve naturelle consacrée à la paix et à la science. La recherche est donc au coeur du Traité sur l'Antarctique. Ce dernier confie par ailleurs la gestion des activités humaines à la Réunion consultative du traité sur l'Antarctique (RCTA) qui regroupe 54 pays. Il opère une distinction entre les 29 États parties consultatives participant à la prise de décision et les 25 États ayant un statut d'observateur. Plus précisément, les parties consultatives sont les parties au traité dont l'intérêt et l'implication scientifique justifient qu'elles bénéficient de ce pouvoir décisionnel. Le droit d'un État à participer à la prise de décision repose donc sur sa présence et sur son investissement dans la recherche scientifique. Cette présence et cet investissement sont mesurés concrètement à partir du nombre de bases établies et du nombre d'expéditions.

La France se classe au premier rang mondial pour la production d'articles scientifiques sur le Subantarctique, au cinquième rang pour la production d'articles scientifiques sur l'Antarctique et au deuxième rang pour les index de citation des articles. La France peut donc s'enorgueillir de l'excellence de sa recherche, mais la question qui demeure est de savoir comment la France peut continuer à tenir son rang. Plutôt que de la laisser encore croquer son héritage, il convient aujourd'hui d'insuffler une nouvelle dynamique.

Sur le plan international, l'Antarctique compte 76 stations et bientôt 77 avec une station chinoise en cours de construction. Sur ces 76 stations, 16 sont opérées par 11 États européens. Les coopérations scientifiques sont essentiellement bilatérales et l'Union européenne intervient en ordre dispersé. Les membres de la Commission de la convention sur la conservation de la faune et la flore marines de l'Antarctique (CCAMLR) ne sont pas tous membres de la RCTA. Il n'existe pas non plus de véritable stratégie de recherche mais l'Europe fournit en revanche des financements importants via les crédits du programme Horizon 2020, devenu Horizon Europe, en particulier à travers le projet EPICA (European Project for Ice Coring in Antarctica).

Dans ce contexte, il semblerait pertinent de mettre en place une stratégie européenne pour renforcer le soutien à la recherche européenne par le biais de leviers financiers mais aussi par le développement et la mutualisation des moyens. Un projet de brise-glace européen a par exemple été envisagé dans le passé mais n'a jamais été mené à son terme. Il est important de donner à l'Union européenne une place en Antarctique puisque l'Europe est fer de lance dans la lutte contre le changement climatique.

Deux acteurs français interviennent en Antarctique et Subantarctique. Cette double présence avait pu troubler l'OPECST à l'occasion de son premier rapport de 2007 mais ces deux structures sont complémentaires. D'une part, l'Institut polaire français est l'opérateur de recherche. C'est une agence de moyens et de compétences au profit de la recherche. D'autre part, les Terres australes et antarctiques françaises représentent les compétences régaliennes (sécurité, protection des personnes, contrôle administratif des opérateurs) et jouent le rôle d'autorité nationale compétente en Antarctique selon le Protocole de Madrid. À ce titre, les TAAF doivent recueillir les déclarations des activités temporaires ou de faible impact sur l'environnement et délivrer les autorisations pour les activités plus importantes. Elles délivrent aussi des autorisations pour la manipulation des espèces en Antarctique.

La présence française en Antarctique doit relever trois enjeux : le soutien à la recherche, la logistique et l'exemplarité de la présence française sur ce territoire.

L'Antarctique et le Subantarctique sont des territoires sans population permanente, préservés des impacts directs de l'activité humaine. Ce sont aussi des patrimoines naturels exceptionnels. Pour ces raisons, ce sont des lieux privilégiés pour les observations scientifiques réalisées en matière de sciences du vivant et de sciences de la terre et de l'univers, mais ce sont également des observatoires de météorologie, de glaciologie, de chimie de l'atmosphère, et de suivi des populations animales et végétales. Ce sont des lieux décisifs pour améliorer la connaissance du fonctionnement de la planète. En ce qui concerne la France, le soutien à la recherche passe par l'Institut polaire français dans l'Antarctique et par l'Institut polaire français, l'Ifremer et le Muséum national d'histoire naturelle (MNHN) dans l'Arctique.

Au-delà de la recherche, les Terres australes et antarctiques accueillent des activités stratégiques avec des observatoires du traité d'interdiction complète des essais nucléaires (OTICE), des stations de suivi satellitaire, notamment à Kerguelen, dans le cadre de Galileo.

Quels sont nos moyens maritimes ? Le navire Marion Dufresne se déploie dans le Subantarctique en partant de La Réunion. Ce bateau est utilisé pour un tiers de son temps pour des missions logistiques et pour deux tiers de son temps pour des missions océanographiques sous le contrôle de l'Ifremer. Le Marion Dufresne fait deux fois le tour du monde tous les ans. En Antarctique, L'Astrolabe est à la fois un navire de ravitaillement sous le contrôle de l'IPEV mais aussi un moyen de souveraineté pour le Subantarctique.

Quel rôle exemplaire devons-nous jouer ? La présence française sur ces territoires se doit d'être exemplaire pour maîtriser l'impact environnemental des implantations et des activités humaines. C'est une vraie question de crédibilité vis-à-vis des autres pays compte tenu des engagements pris par la France pour la protection de l'environnement. Le rapport de l'OPECST de 2007 avait été assez sévère sur la station Dumont d'Urville en disant ceci : « située en terre Adélie dans la zone où s'exercent plus particulièrement les activités françaises en Antarctique, la base Dumont d'Urville est le symbole majeur de notre présence. Il est de notre devoir de disposer d'une station conforme à notre rang et non une suite désorganisée de bâtiments délabrés ». Ce propos un peu excessif doit être tempéré. La base Dumont d'Urville est la vitrine de la France, mais c'est une station vieillissante. Une rénovation apparaît donc nécessaire, à la fois en tant que station scientifique à part entière et en tant que base arrière logistique des projections maritimes et terrestres. Un projet de rénovation est lancé par l'IPEV, sur lequel nous avons choisi de conjuguer nos efforts. Ce projet à 2050 vise à répondre de manière concrète aux enjeux de protection de l'environnement tout en répondant aux besoins des chercheurs.

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