Les images parlent d'elles-mêmes. La Société immobilière calédonienne (SIC) est l'un des trois bailleurs sociaux de la Nouvelle-Calédonie avec la SEM Agglo et le Fonds social de l'habitat (FSH). Ce dernier est l'équivalent d'Action Logement dans l'Hexagone et collecte non pas le « 1 % logement » mais 2 % prélevés sur les feuilles de paie des salariés au titre du FSH.
Ce sont des habitants modestes, pour certains défavorisés, qui ont acquis ces biens. Je me suis emparé de ce problème en réfléchissant sur les moyens de sortir de ce cercle vicieux dans lequel la Nouvelle-Calédonie s'est engagée depuis plus de dix ans. Par ailleurs, nous n'avons pas de crédits d'impôt et nous bénéficions de la solidarité nationale via les dispositifs de défiscalisation qui nous permettent de produire du logement social. Vous venez de voir comment sont utilisés ces dispositifs.
Je me suis également interrogé sur la manière de respecter cette solidarité nationale en optimisant les sommes qui nous sont allouées. L'objectif fondamental, comme j'ai pu le dire dans nos discussions sur les conséquences du « oui » ou du « non », ce n'est plus le montant des investissements mais comment nous les utilisons pour remplir notre mission de service public. L'exemple des Hauts de Marconi illustre cette politique de logements compulsive. Ces logements ne correspondent pas aux besoins de leurs habitants qui sont en majorité des Océaniens.
Logerions-nous un lion dans un igloo ou donnerions-nous une banane à un requin ?
Plutôt que d'adopter une stratégie de production de logements, nous devons être orientés vers les usagers et vers l'environnement. Le logement n'est que l'aboutissement d'une réflexion sur la chaîne de valeur de l'habitat et de l'urbanisme. J'ai décidé d'appréhender la question du logement, comme l'un des maillons de cette chaîne de valeur, depuis la production, qui doit répondre à des normes de qualité, jusqu'à l'usager. Le produit doit correspondre à ses besoins primaires mais aussi culturels. Pour fonctionner, tout concept doit s'inscrire et se développer sur son terrain. Nous n'allons pas planter un cocotier en pleine neige, cela n'aurait pas de sens ! Or, c'est pourtant ce que nous avons fait pendant des années.
Je cherche à sortir de ce cercle vicieux et à appréhender la question du logement dans une chaîne de valeur globale, tournée vers la performance. Dans notre contexte budgétaire contraint, la performance n'est plus une option, c'est une nécessité.
Vous vous demandez quel est le rapport avec le référentiel de construction. Dans ce cercle vertueux, nous avons essayé de rassembler tous les acteurs du logement, depuis le maçon jusqu'au maître d'ouvrage, du maître d'oeuvre jusqu'au consommateur. Nous avons réuni tous ces acteurs pour les emmener vers la qualité et le respect des normes. Comme la Nouvelle-Calédonie est une petite île, il était hors de question de nous lancer dans de grands travaux sur les normes qui exigent des moyens, des laboratoires comme le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) et des personnels formés. Par ailleurs, mes prédécesseurs ont toujours abordé la question des normes d'une manière « top/down », c'est-à-dire des normes vers les produits. Or, cette approche n'a jamais été efficace. En effet, importer des normes australiennes n'a aucun sens puisque nous sommes de culture technique française. Nous avons décidé d'adopter une démarche « bottom/up » et de travailler sur un référentiel de construction portant sur la qualité intrinsèque des produits et, à partir de ces éléments, sur une analogie avec les produits australiens ou néo-zélandais pour nous inscrire dans la région, tout en sachant que cette approche nous ramènerait vers le « grand arbre » des normes. Elle fonctionne plutôt bien et notre statut nous a permis de mettre en oeuvre nos propres lois. Nous avons ainsi une action systémique et non pas isolée et une montée en compétences des acteurs de la construction. Nous avons également travaillé avec les assurances pour qu'elles se saisissent de ce sujet, avec les importateurs de produits qui doivent aussi respecter ce référentiel de construction et enfin avec les consommateurs.
La deuxième vidéo que je vous propose présente l'appropriation de la démarche par les parties prenantes.
Projection de la vidéo « Agrément des matériaux et procédés de construction ».
J'ai évoqué une démarche « bottom/up » avec les acteurs qui remontent leurs problématiques et nous aident à définir les politiques publiques. Tous les acteurs de cette filière de la construction se sont saisis de la question. Cela n'a pas été facile, mais quand ils ont vu des documents comme Les Hauts de Marconi, ils ont eu à coeur de changer l'image donnée par leur métier. Les bailleurs sociaux se sont aussi inscrits dans cette démarche qualitative, notamment le Fonds Social pour l'Habitat (FSH).
Nous avons un statut particulier et j'ai choisi d'exploiter cette liberté législative et réglementaire pour mettre en place trois axes : des exigences de qualification pour l'exercice des professionnels de la construction ; l'adoption de normes techniques adaptées à la Nouvelle-Calédonie et la mise en place d'un processus d'agrément des matériaux et procédés de construction innovant et unique sur le territoire national ; un système assurantiel de la construction à double détente. Ce système s'inspire de la loi Spinetta en métropole qui institue une présomption de responsabilité pesant sur tous les intervenants à l'acte de construire. Ce régime de responsabilité s'accompagne d'une obligation d'assurance décennale dont le périmètre est différent du système national et qui concerne les travaux de construction et de rénovation.
Toutes ces initiatives sont au service du client final, qui sait désormais vers qui se retourner. Il n'a plus à assister à un match entre des acteurs qui se renvoient la responsabilité des défaillances. Celles-ci sont clairement identifiées par cette obligation d'assurances au plus grand bénéfice de l'usager.
Cette réforme profonde est constituée par un ensemble de textes élaborés avec les parties prenantes. J'ai veillé à ce que tous les points de vue soient pris en compte avec bienveillance, sans dévier des objectifs que j'avais fixés en termes de protection des Calédoniens. Elle est entrée en vigueur le 1er juillet dernier et les réactions des parties prenantes montrent, malgré sa complexité technique, les changements profonds qu'elle engage dans notre société et dans cette chaîne de valeur. Nos parties prenantes ont su s'y adapter et même en être les ambassadeurs.
Dans la stratégie que j'ai mise en oeuvre, il y a aussi un volet pédagogique et de la communication, via des vidéos et le site internet du Référentiel de la construction de la Nouvelle-Calédonie (RCNC). Tout est ainsi transparent pour l'usager, les acteurs de la construction mais aussi pour les politiques.
Deux des trois axes sont en régime nominal : la qualification des professionnels et la mise en place des assurances dommages et de responsabilité. Le troisième, relatif à l'agrément des matériaux et procédés relève d'une démarche extrêmement complexe. Nous avons décidé d'une phase transitoire de trois ans.
Pour que ce changement profond dans notre manière de construire soit effectif et efficace, j'ai voulu que le procédé soit agile et permette à l'ensemble des acteurs de se l'approprier. Quand, dans un bocal à poissons, les poissons tournent toujours dans un même sens, ils ont besoin de temps pour s'arrêter et tourner dans un autre sens. Ce régime transitoire est nécessaire et les acteurs doivent être respectés dans leur savoir-faire.
Pendant cette phase transitoire, nous menons un travail de fond sur la rédaction du référentiel technique d'agrément qui contextualise les référentiels de certification au contexte insulaire. Bien évidemment, il ne neige pas en Nouvelle-Calédonie, mais nous avons des problèmes liés à la montée des eaux ou à l'air salin. L'objectif est de proposer des essais qui correspondent à notre environnement géographique, nos risques climatiques, mais aussi d'aller vers une simplification, en orientant les gammes de tests sur les éléments de preuve les plus importants.
La relecture et la validation de ces référentiels seront effectuées par des organismes extérieurs reconnus car nous n'avons les moyens de créer des établissements spécifiques. Le sujet est plus l'interdépendance que l'indépendance. C'est vrai pour les nations comme pour les secteurs économiques. Ces référentiels seront donc soumis à la validation d'organismes comme le CSTB, le Centre d'études et de recherches de l'industrie du béton (CERIB) ou le centre technique industriel Forêt cellulose bois-construction (FCBA).
Nous menons également un autre travail sur la mise en place et l'accompagnement d'une filière d'auditeurs. Pour que cette chaîne de valeur soit vertueuse, nous avons besoin de compétences locales. Nous travaillons donc avec l'Université de Nouvelle-Calédonie pour former ces futurs auditeurs. L'objectif est aussi d'offrir des débouchés aux jeunes calédoniens qui reviennent sur l'île après leurs études, ce qui a pour effet d'atténuer sensiblement l'incidence financière pour les industriels. Il nous faut attirer les talents qui sont partis se former ailleurs pour construire notre territoire.
Nous cherchons également à accréditer des laboratoires régionaux (Australie, Nouvelle-Zélande, Fidji, Papouasie-Nouvelle-Guinée), qui disposent d'un système de normes différent du nôtre et qui seraient prêts à réaliser les essais prévus dans nos référentiels. L'objectif est triple : proposer aux industriels des partenaires proches, avec des coûts moindres ; analyser pour chaque test si un essai équivalent existe dans le système normatif du pays et si son niveau de pertinence est équivalent, moindre, ou supérieur. Nous pourrons ainsi mesurer leurs systèmes normatifs. Pour les essais dont le niveau d'équivalence est démontré, nos référentiels pourront être déclinés dans les deux systèmes normatifs. La sous-traitance sera plus simple, et nous aurons franchi un grand pas dans l'interopérabilité de nos systèmes normatifs avec les pays voisins, ce qui est une condition indispensable au développement d'échanges commerciaux durables.
Comme dans tout pays insulaire où les endémismes atteignent un niveau élevé, de nombreuses personnes sont prêtes à innover si nous leur en donnons les moyens. Cette démarche permet d'inscrire la Nouvelle-Calédonie dans la région. Elle est aussi le pont avancé d'une culture technique normative française dans une région représentant un tiers de la surface de la planète et largement anglo-saxonne.
Notre démarche est agile, inclusive et bienveillante, sans rien céder à la qualité ni refuser sa francité et son européanité, pour atteindre l'excellence.
Nous sommes conscients que nous n'atteignons pas la masse critique pour un équilibre financier à court terme. La vie dans une île est un challenge permanent et ne correspond en rien au mythe des vahinés et du soleil. Nous avons le devoir de réussir et d'offrir à nos industriels qui investissent et qui innovent un soutien local et des outils pour que la qualité de leurs productions soit reconnue, sans ambiguïté, à des coûts soutenables. S'il est vrai que nous avons un marché captif, nous devons également être offensifs. C'est tout l'intérêt de travailler sur l'interopérabilité de nos systèmes normatifs avec nos voisins. Nous serons ainsi offensifs dans notre approche de l'économie de la construction pour attaquer des marchés voisins anglo-saxons et le « petit poisson » calédonien pourra peut-être se frayer un chemin.
C'est un investissement dans des filières créatrices d'emplois et pour la montée en compétences générale du secteur qui offre, par un repyramidage des métiers, des perspectives d'emplois très qualifiés à nos jeunes qui achèvent des parcours de formation de haut niveau et que nous laissons trop souvent échoir trop loin de nos côtes.
La Nouvelle-Calédonie souhaite donc un accompagnement dans la mise en place de ce process, lequel doit être vu comme une évolution transposable à l'ensemble des collectivités ultramarines, quel que soit leur statut. Je remercie la Délégation sénatoriale aux outre-mer pour ce travail et j'espère qu'elle sera aussi le porte-voix de nos initiatives calédoniennes. Cette démarche « bottom/up » sur les qualités intrinsèques des produits peut aussi s'appliquer aux qualités et aux défauts de nos statuts si différents, qui parfois peuvent se compléter, à une période où la convergence doit l'emporter sur les divergences.
Cette aide pourra accompagner la mise en place d'un organe de gouvernance, qui à l'instar de certaines des missions de l'Agence Qualité Construction en métropole, serait en charge d'assurer, de façon indépendante et impartiale, en toute transparence, la régulation, l'évaluation et le pilotage des dispositifs élaborés et des nouveaux concepts et processus à venir.
Les premières estimations sont modestes et seraient de l'ordre de 500 000 euros par an durant les cinq premières années, puis le système s'équilibrerait et serait supporté par l'ensemble des acteurs.
Mon propos liminaire a été un peu long mais j'espère qu'il a touché vos esprits et votre coeur. La technique n'a de sens que si elle est teintée d'humanité, de bienveillance et de convergence.