Intervention de Jacqueline Eustache-Brinio

Mission d'information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement — Réunion du 2 juin 2021 à 16h30
Audition de Me Laurent Bayon avocat au barreau de paris et ancien conseiller du ministre de l'éducation luc chatel

Photo de Jacqueline Eustache-BrinioJacqueline Eustache-Brinio :

Merci pour vos explications qui m'ont beaucoup éclairée. Vous nous avez expliqué que vous avez mis en place de nombreux documents, des circulaires dès 2012. Que s'est-il passé depuis 2012 ? Ces préconisations et outils ont-ils été mis en oeuvre ? Tout cela date d'il y a maintenant dix ans ; qu'en est-il aujourd'hui, alors même que les choses se sont accélérées, mais aussi aggravées et que c'est un problème d'éducation nationale ?

Me Laurent Bayon, Avocat au Barreau de Paris. - La question de la violence institutionnelle est primordiale. Dès lors qu'un enfant est victime dans un établissement scolaire, que les adultes s'en moquent, c'est de la violence institutionnelle. Tous les enfants de la République passent par l'école. Il faut se saisir de ce moment pour transmettre concrètement des valeurs. La grande force des enfants est leur résilience. Mais certains sortent de l'école marqués à vie.

La société téléphonique « Orange » a fait un clip vidéo publicitaire en Espagne pour sensibiliser sur le harcèlement scolaire, dans lequel des adultes jouent le rôle d'enfants : quels adultes supporteraient ce que supportent ces enfants ?

J'ai participé à l'action d'un ministère qui vantait l'autonomie des établissements scolaires. C'est la raison pour laquelle nous n'avons jamais été directifs. Pour sensibiliser les enseignants une campagne avait été entreprise en deux temps par l'Éducation nationale : pour la rentrée 2012 puis en janvier de l'année suivante. Ce sont des outils formidables pour les enfants. Ils restent d'actualité. La victime finit par exploser et va se faire punir des adultes, car elle va s'exprimer dans un cadre qui n'est pas maîtrisé.

Ces clips traitent de sexisme, de réputation. Dix ans après, ces phénomènes ne sont pas pris en compte à la hauteur de ce qui devrait être fait. Il n'y a plus d'enquête de victimisation et la dernière concerne le lycée. Or, c'est en primaire et au collège que les choses se jouent. Les enfants sont victimes dès le primaire et cela les poursuit tout au long de leur scolarité. Ils s'enferment dans ce caractère de victime.

Nous voyons aujourd'hui comment le harcèlement au travail (moral ou sexuel) est pris en compte. Il y a une obligation dans le code du travail pour l'employeur de mettre en place toute disposition nécessaire pour prévenir les agissements de harcèlement. Un employeur peut être mis en cause s'il ne le fait pas. Le droit de chaque enfant à vivre une scolarité sans harcèlement a été consacré dans la loi pour une école de la confiance, mais aucune conséquence n'en a été tirée. Il faudrait reprendre ce qui se fait pour l'employeur dans le cadre professionnel, et se rendre compte que tout chef d'établissement a une obligation pour prévenir et sanctionner le harcèlement.

En 2012, une première décision du tribunal administratif de Rouen condamnait l'Éducation nationale pour une affaire de harcèlement à l'école. La direction des affaires juridiques du ministère souhaitait que nous fassions appel. Pour moi, cela n'était pas possible : au moment où nous allions lancer un plan de lutte contre le harcèlement, il me semblait important de donner aux parents la possibilité d'engager la responsabilité administrative de l'État pour une absence de prise en compte de harcèlement. Je ne crois pas à l'engagement de la responsabilité pénale. Le temps de la justice n'est pas le temps de l'éducation.

Le « 3020 » doit basculer et être pris en charge par la Défenseure des droits. Elle gère aujourd'hui un numéro pour les prisonniers qui peuvent appeler s'ils s'estiment victimes de faits dans l'administration pénitentiaire. La prise en charge du « 3020 » par une autorité extérieure à l'éducation nationale est nécessaire pour faire bouger les choses. Aujourd'hui, le « 3020 » est une association payée par l'Éducation nationale. Il faut pouvoir saisir une autorité indépendante qui aura la possibilité de remettre en cause l'Éducation nationale.

Je pense que la situation n'évoluera pas tant que la responsabilité ne peut pas être engagée. Aussi, s'il y a un article à écrire dans le code de l'éducation nationale, c'est celui de la responsabilité pour non-dénonciation de harcèlement scolaire. Cela permettrait de prendre en compte cette thématique au-delà du seul réflexe déontologique et forcerait les Inspé à inclure cette thématique dans leurs formations.

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