La crise sanitaire a eu un impact majeur sur la santé mentale. Ce fut une période anxiogène pour tout le monde, qui laisse la place aujourd'hui à des angoisses sur la crise économique et sociale qui pourrait s'ensuivre.
Selon la vague 22 de l'enquête CoviPrev de Santé publique France, 20 % des Français signalent des éléments évoquant un syndrome dépressif - 10 points de plus qu'avant la crise -, 20 % un état anxieux - 7,5 points de plus -, et 9 % des idées suicidaires - 4 points de plus.
Pour la première fois depuis le début du confinement, nous assistons à une légère amélioration de ces indicateurs, à la faveur des vaccins et du retour des beaux jours.
Les personnes présentant des problèmes d'addiction, en particulier sévères, souffrent généralement de vulnérabilités psychologiques et sociales. L'usage de produits psychotropes leur permet d'anesthésier leurs souffrances, de tenir le coup. On le sait, c'est un facteur de risque majeur d'une transition vers l'abus et la dépendance.
On s'attendait donc logiquement, lors du premier confinement, à une augmentation de la consommation chez les personnes dépendantes qui pourrait les mettre en danger. Nous nous sommes donc efforcés de rester ouverts, et le secteur médico-social en addictologie en est fier. Les centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (Caarud) sont restés ouverts, de même que les centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa) résidentiels. Quant aux Csapa ambulatoires, ils ont poursuivi leur activité grâce à la visioconférence.
Au début du premier confinement, à Bordeaux, de nombreuses personnes de la rue se sont rendues dans les Caarud en recherche de besoins primaires, car ils ne pouvaient plus vivre de la manche et la plupart des centres de distribution alimentaire étaient fermés. Nous avons aussi assuré la poursuite des traitements de substitution, sans interruption, afin d'éviter un excès de décès par surdosage aux opioïdes.
La direction générale de la santé (DGS) a répondu immédiatement à nos demandes d'assouplissement de la réglementation relative à la prescription et la délivrance des produits de substitution. L'accès à ces traitements n'a donc pas diminué pendant le confinement, ce qui a permis de modérer l'excès de mortalité. Les chiffres ne sont pas consolidés, mais nous constatons une augmentation de l'ordre de 10 à 15 % des décès par overdose par rapport à l'année antérieure, contre des taux d'augmentation de 100 à 200 % parfois au Canada ou aux États-Unis.
On a aussi dû inventer des systèmes d'« aller vers », car on manquait d'espace pour permettre à tout le personnel d'exercer son activité dans les centres tout en respectant les règles de distanciation sociale. Cela a permis une meilleure intégration entre notre travail et celui des équipes sociales. Nous avons aussi élaboré avec la direction interministérielle à l'habitat et à l'accès au logement (Dihal) des notes d'orientation pour les centres d'hébergement d'urgence et les centres de desserrement, de manière à permettre une application plus ouverte de leurs règlements intérieurs dans une perspective de réduction des risques : exiger l'arrêt préalable de toute consommation d'alcool mettait de côté des gens incapables de s'abstenir, surtout dans cette période anxiogène.
Au total, on a donc réussi à tenir le coup, mais on partait de loin. Notre secteur est très particulier, en dehors des radars, soumis à des objectifs de dépenses spécifiques. Au début de la crise, nous avons été oubliés en matière d'équipements de protection, mais aussi de garde d'enfants. Tout cela a pu être corrigé : notre visibilité pendant la crise nous a permis de rentrer dans les clous des politiques de santé. Nous sommes aujourd'hui intégrés dans les circuits de distribution officiels de tests et de vaccins, nous pouvons jouer notre rôle auprès des populations précaires.
Pour faire face aux problèmes de précarité, l'important était de ne pas se cantonner à une offre technique de soins ; il fallait une approche globale, avec une offre d'hébergement adaptée, mais aussi des dispositifs de retour au travail.
Quant aux jeunes, dans un contexte général déjà anxiogène, ils ont payé un tribut particulièrement lourd : l'adolescence est la tranche d'âge où l'on a le plus besoin de contacts avec son groupe de pairs. La période de confinement a généré un isolement vis-à-vis des autres jeunes et de la communauté éducative, des craintes quant aux examens, à l'apprentissage, à l'avenir professionnel. Enfin, cet enfermement dans des espaces familiaux parfois très resserrés a causé une augmentation majeure des problèmes parmi les publics les plus vulnérables. Ainsi, les services pédopsychiatriques de Bordeaux ont connu une hausse de 70 % des demandes d'hospitalisation ! Cela a aussi entraîné parmi les jeunes une hausse des usages de cannabis, mais aussi des écrans et des jeux d'argent, ainsi qu'un arrêt de la diminution du tabagisme. On peut aussi relever l'arrêt des pratiques sportives et des phénomènes de prise de poids.
Selon une étude américaine, la diminution des déplacements a permis une réduction des admissions aux urgences. Cependant, la part relative des admissions liées aux addictions, aux tentatives de suicide, aux troubles du comportement et aux violences familiales a beaucoup augmenté : nous avons essayé de présenter à M. Véran l'importance de cette « syndémie », la spirale dangereuse de problèmes sanitaires et sociaux causée par l'épidémie, entre santé mentale et addictions : il faut mettre l'accent sur les personnes en situation de grande vulnérabilité sociale.