En tant que soignant, je ne suis pas déprimé : nous aidons et nous soignons énormément de gens. Leur évolution est généralement favorable, mais elle est longue. On ne le dit pas assez, mais les actions de prévention commencent à porter leurs fruits, ce qui est un élément de satisfaction, notamment chez les jeunes. Le retard de l'expérimentation du produit, la diminution de la prévalence tabagique et des usages d'alcool chez les jeunes sont les signes d'une évolution.
Nous sommes évidemment favorables à la dépénalisation de toutes les drogues, quasiment depuis toujours. Nous ne pensons pas que faire de la consommation de drogues un délit pénal ait une quelconque efficacité, bien au contraire. C'est une source de stigmatisation, de mise à l'écart. Certaines interdictions sont certainement nécessaires, mais il ne faut pas en faire des délits.
Il faut évidemment lutter contre les trafics et les violences qui se multiplient dans certaines villes, mais sans se concentrer uniquement sur une réponse répressive et policière. Une articulation est nécessaire entre des actions de prévention et de soin et une politique globale. Il est illusoire d'imaginer éradiquer des phénomènes sociaux ou comportementaux uniquement par une réponse policière.
Le plan crack, qui est un plan global, n'a pas véritablement été mis en oeuvre pour les raisons évoquées. Les usagers de crack sont des gens extrêmement marginaux, désinsérés socialement, chez qui la prévalence de troubles mentaux caractérisés est très importante. Ce public appelle de toute évidence des politiques globales, intégrant des dimensions à la fois médicales, psychiatriques et addictologiques, mais également sociales, en matière d'hébergement et de travail.
À cet égard, je salue le fait que les salles de consommation soient adossées, comme à Paris et à Strasbourg, à des hôpitaux. C'est utile en cas d'overdose ou d'incident aigu. En revanche, un effort reste à faire s'agissant de l'adossement à des circuits sociaux addictifs et de santé mentale. Il faut arriver à faire travailler ensemble des structures qui n'en ont pas l'habitude. Il faut pousser les différents acteurs - ARS, directions départementales de la cohésion sociale - à réellement décloisonner leurs pratiques afin qu'ils soutiennent la mise en place d'équipes intégrées. C'est ce que nous essayons de faire actuellement, à la suite du Ségur de la santé.
L'exemple belge des chambres de traitement est tout à fait intéressant. Nous avons également fait un travail sur ce sujet, en partenariat avec la justice. Pour notre part, nous sommes tout à fait favorables à la mise en place de dispositifs adaptés. Lorsque l'on demande à des gens qui avaient un problème de dépendance ce qui les a poussés à vouloir le résoudre, ils invoquent leurs responsabilités vis-à-vis de leurs proches, mais aussi le fait d'avoir été confrontés à un rappel d'interdit par la justice. Il faut donc faire en sorte que ce rappel soit bénéfique. Le souci permanent de la médecine de faire en sorte que le remède ne soit pas pire que le mal devrait aussi être celui de l'appareil judiciaire.
Bernard Jomier a évoqué le ciblage des jeunes. Sur ce sujet également, il faut s'inspirer de ce qui se fait aux États-Unis, où les lois sont appliquées rigoureusement. En France, les règles sont moyennement appliquées. Il faut également tenir compte de l'évolution du mode de consommation des jeunes. La consommation quotidienne - le vin de table - de nos grands-parents est clairement en voie d'extinction. La consommation des jeunes aujourd'hui est proche de celle des Anglo-Saxons : ils recherchent l'ivresse avec des alcools forts ou de la bière, c'est une consommation de psychotropes. Aujourd'hui, ce n'est plus la société qui pousse tout le monde à boire de l'alcool. La pression est juvénile et renforcée par la publicité.
Il faut donc compléter les actions à l'intention du grand public par des actions beaucoup plus ciblées sur les jeunes. Il faut promouvoir et développer les consultations pour les jeunes consommateurs afin que ceux d'entre eux qui font des ivresses répétées puissent y être reçus et bénéficier d'une évaluation psychologique et sociale. Il faut développer à leur intention des campagnes de prévention plus ludiques, qui soient axées non pas sur l'abstinence, car cela n'a aucun sens pour eux, mais sur la réduction de la consommation.
Jusqu'où l'interdiction peut-elle être préventive ? Dans un monde qui honnit le principe d'autorité, je pense qu'elle peut l'être lorsqu'elle est fondée sur des éléments rationnels et pragmatiques. Sachant que l'usage du cannabis chez les jeunes, surtout avant l'âge de 15 ans, a des effets délétères sur le fonctionnement cognitif et sur le risque de développer un trouble psychotique, il est logique d'invoquer ces données pour justifier le maintien d'un interdit. Il en va de même pour les risques au travail, au volant, etc.
Nous suivons les expériences américaines de très près. Quand on dérégule complètement, quand on tolère des teneurs en THC très élevées, qu'on mène une politique de prix bas, le marché noir est fortement contrarié - même s'il s'adapte, car il a des capacités de résilience importantes -, mais on obtient de bons résultats économiques. En revanche, on a de mauvais résultats en santé publique : augmentation des passages aux urgences, des accidents de la route, des usages chez les adultes.
S'agissant de la consommation de cannabis par les jeunes, l'interdiction, mieux respectée qu'en France, demeure aux États-Unis. Dans les États de la côte Est et dans certains États du Canada, plus sensibles aux enjeux de santé publique, des règles plus contraignantes sont appliquées et, en conséquence, la légalisation a un impact plus faible sur les recettes économiques. Le marché noir y reste actif.
D'aucuns m'ont interrogé sur le lien entre consommation de crack, santé mentale et précarité. J'ai le regret de vous indiquer que nous ne sommes pas conviés aux Assises de la santé mentale et de la psychiatrie. Avec les familles, nous nous en sommes étonnés. Pourquoi n'inviter que la psychiatrie publique alors que la santé mentale comporte également une dimension sociale et médico-sociale ? Je n'ai, hélas, aucune information...
Oui, le temps passé par les jeunes enfants devant des écrans augmente. Si le risque addictif demeure faible, celui d'altération cognitive apparaît réel chez les enfants de moins de trois ans, comme l'indique une récente étude de l'Inserm.
Je ne dispose pas d'élément précis sur l'ouverture prochaine de nouvelles SCMR, mais il semblerait que de tels projets soient envisagés à Marseille et à Strasbourg.
Quid de la cigarette électronique comme traitement de substitution ? Plusieurs études montrent qu'elle peut aider certains usagers, parfois aidés d'un patch, au sevrage - un lien plus ou moins ténu existe entre réduction des risques et soin chez les consommateurs. Pour autant, le bénéfice de la cigarette électronique réside davantage dans la réduction des risques sanitaires liés à la consommation de tabac. J'émettrai toutefois un bémol : chez les jeunes - nous le voyons aux États-Unis -, la vaporisation de tabac et de cannabis constitue souvent une porte d'entrée vers la consommation. Il convient donc de rester vigilant.
Le tabac et l'alcool - les statistiques le prouvent - représentent un danger pour les femmes enceintes en ce qu'ils portent, pour le foetus, un risque de naissance prématurée, d'intoxication aiguë et de développement insuffisant. Une consommation nulle ne constitue certes pas un objectif nécessaire - les pratiques de nos mères et de nos grands-mères et leurs conséquences sur notre santé le montrent -, mais elle représente un message plus facile à comprendre et à partager.
La suppression des plus gros billets peut être une bonne piste pour lutter contre le trafic de drogue, mais ce n'est guère mon domaine d'expertise.