Sur la question de l'approche du sujet covid par l'Europe, en comparaison des États-Unis ou de l'Angleterre par exemple, une très bonne chose est à souligner : l'Europe a choisi de centraliser les commandes très tôt, en juillet 2020. Une autre gestion avec une compétition entre pays européens aurait été délétère. Cependant, l'Europe n'ayant pas d'outil de financement préexistant pour ce type de crises, les négociations avec les industriels se sont faites en juillet mais les premiers contrats ont été signés en septembre, octobre, novembre 2020. Or, la course pour les vaccins devait nécessairement démarrer dès le premier trimestre 2020.
Les États-Unis, qui ont un outil qu'est la Barda, avec une dotation de plusieurs milliards de dollars, ont pu financer à risque six programmes dont notamment celui de Sanofi, de Moderna, de Novavax, d'Astra Zeneca. Cela a permis de mettre sur chacun 500 millions d'euros, soit la somme nécessaire pour aller de la phase 1 à la phase 3 et financer tout ou partie de l'industrialisation. Les doses achetées au troisième et quatrième trimestresd e 2020 par l'Europe avaient en réalité principalement été financées à risque par le Barda et non par l'Europe.
Nous nous sommes retrouvés dans une situation intermédiaire : du fait de notre implantation en Écosse, le Royaume-Uni a considéré que c'était un positionnement stratégique, a cru très vite en notre vaccin inactivé et a trouvé intéressant de pouvoir financer très vite. Le pays a décidé d'un financement à risque, non remboursable, de 470 millions d'euros, dont nous avons déjà reçu la moitié.
La leçon que j'en tire c'est que ce n'est pas un défaut de ressources de l'Europe : l'Europe va commander et dépenser probablement autant que les États-Unis. Le problème est un problème d'outil, il faudrait un outil équivalent au Barda. Des discussions sont en cours pour créer une agence européenne HERA. Il faut, pour qu'elle soit effective, qu'elle soit dotée de 10 à 20 milliards d'euros. Il faudrait qu'elle soit autonome en décision, comme la Banque centrale, et n'ait pas besoin de l'avis de chacun des 27 avant de lancer des investissements et paris dans tel ou tel vaccin avec en contrepartie des doses. C'est à mon sens la leçon de l'histoire : le point positif était la centralisation des commandes, la lacune était l'absence d'agence européenne équivalente au Barda.
Nous avons aujourd'hui un financement nous permettant d'être en phase 3, nous avons un financement total pour une nouvelle usine. Nous n'en serions pas là sans soutien ; sans le Barda nous n'aurions sans doute pas été si vite. Il faut absolument une agence européenne autonome, bien dotée et en capacité de réagir très rapidement en cas de crise sanitaire. En ce qui concerne la grippe pandémique, nous avons constaté jusqu'ici des agents très infectieux mais peu pathogènes ou très pathogènes mais peu infectieux. Il y a un risque que les deux soient un jour cumulés. Une prochaine crise pandémique peut arriver ; l'Europe a tout à fait les moyens de s'y préparer, il faut les outils institutionnels pour y répondre.
En matière d'essais cliniques, nous sommes confrontés à un problème culturel. L'innovation dans le domaine des biotechnologies repose forcément sur de nouvelles approches, de nouveaux types de médicament, et emprunte souvent un nouveau mode de « delivery ». Par essence, la plupart des innovations en biotechnologie sortent des cases, de ce qui est déjà connu. Or, en France mais pas seulement, on privilégie une approche « to the book » : si on ne rentre pas dans les cases, dans des choses déjà décrites, on demande un niveau de protection maximal, alors que d'autres pays adoptent une approche plus pragmatique du rapport bénéfices-risques. Ce n'est donc pas une question d'infrastructures pour réaliser des essais, dont la France est très bien dotée. Un certain nombre de processus doivent être accélérés, mais le principal enjeu est bien culturel.
La covid-19 l'a montré : les approches ont été plus ou moins pragmatiques selon les pays et les agences, dans un contexte particulier. En termes de soutien et de rapidité dans l'accès au marché, la phase d'essais cliniques constitue un enjeu majeur pour les biotechs, car le fait de pouvoir arriver sur le marché en six ans plutôt que huit est un facteur de compétitivité déterminant. Beaucoup de sociétés françaises de biotechnologie vont réaliser leurs essais ailleurs, le problème est donc bien principalement culturel.
Les essais précliniques coûtent entre deux et cinq millions d'euros, un essai de phase 1 peut requérir quatre à cinq millions d'euros, quand un essai de phase 2 nécessite vingt millions. Pour ces étapes, on trouve des financements au travers notamment de capitaux-risqueurs. La banque publique d'investissement (BPI) est à cet égard très performante : elle a, par exemple, contribué à la fusion et la création de Valneva dont elle détient 10 % du capital.
Les biotechs françaises et européennes rencontrent cependant des blocages pour devenir les laboratoires pharmaceutiques de demain et arriver sur le marché par elles-mêmes. Nous faisons partie des rares sociétés en Europe qui disposent de leur propre réseau commercial. Le défi est de trouver le financement d'une phase 3 qui va coûter, grosso modo, entre 500 et 600 millions d'euros. Est alors requise l'intervention d'investisseurs prêts à injecter 50 à 100 millions d'euros pour une phase 3 dont le risque d'échec est de 50 %.
L'Europe compte un ou deux fonds capables de réaliser de tels investissements, contre 30 à 35 fonds aux États-Unis. C'est à ce niveau que le verrou se situe. France Biotech milite depuis dix à quinze ans pour qu'une partie de l'assurance-vie - 2 à 4 % - soit redirigée pour alimenter des fonds dotés de plusieurs milliards d'euros capables de réaliser ce type d'investissements pour accompagner les biotechs dans cette dernière phase. Il ne s'agit pas de demander des aides à l'État mais bien des incitations fiscales pour encourager cette allocation. L'enjeu est français et, plus largement, européen.
On a en Europe, à la différence des États-Unis, un problème de remboursement des médicaments. À l'heure actuelle, toutes les biotechs qui commercialisent leurs produits réalisent grosso modo 60 % de leur chiffre d'affaires aux États-Unis, avec 70 à 75 % de la profitabilité qui est réalisée dans ce pays. Cette profitabilité sert à réinvestir dans la recherche et développement (R&D). Sur dix phases 1 lancées, un seul médicament connaît le succès : le risque est donc significatif. L'Europe a, en général, opté pour une politique de remboursement économe. C'est un sujet puisque, aujourd'hui, l'essentiel de la profitabilité est réalisée aux États-Unis. Or les centres de recherche ont tendance à être localisés à proximité des clients finaux importants. C'est donc un point très sensible politiquement.