Je serai moins pessimiste sur les essais cliniques : les choses évoluent plutôt favorablement, d'abord du côté de l'agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) pour les phases précoces. Il est en effet important que les phases précoces se réalisent en France car le choix du pays est clé pour le développement. On peut se réjouir que les choses aient progressé à l'ANSM en termes de délais et d'instruction, avec la mise à disposition d'équivalents temps plein pour l'examen des essais de phase précoce.
Le premier point d'amélioration concerne les comités de protection des personnes (CPP). Une réforme porte sur leur tirage au sort. Quand on dépose une demande d'essai clinique, l'ANSM en juge la recevabilité en examinant la sécurité du produit et le CPP examine la méthodologie et les questions éthiques. Le tirage au sort des CPP conduisait à ce qu'une demande d'essai en neurologie peut être adressée à un CPP plutôt spécialisé sur la dermatologie.
Un autre point de faiblesse est le résultat de certains scandales sanitaires : la question des conflits d'intérêts dans l'expertise. La grande crainte est que ceux qui ont travaillé avec l'industrie soient en situation de conflits d'intérêts et ne puissent participer à l'expertise. Souvent l'industrie fait appel aux gens les plus compétents, si bien qu'on peut se retrouver avec des personnes qui ne sont pas forcément les plus compétentes sur les domaines ciblés par les essais. En outre, une autre difficulté réside dans le fait que c'est au CPP de s'estimer compétent ou non. Il est toujours difficile pour un être humain de se juger non compétent dans tel ou tel domaine. On espère que les choses évolueront pour que le tirage au sort tienne compte des compétences des personnes qui sont dans ces CPP. N'oublions pas que les CPP reposent sur des bénévoles qui bien souvent sont des hospitaliers avec une charge de travail importante.
Ces éléments peuvent constituer un frein, d'abord en termes de délais dans un environnement international compétitif. Interrogés sur la réalisation d'essais de phase 2 internationaux, nos adhérents estiment que l'inclusion du premier patient français est sans doute la plus tardive par rapport à d'autres pays.
Quand on contractualise avec les centres hospitaliers, on doit établir un contrat unique valable pour tout le monde. Reste un point de faiblesse : dans l'annexe financière qui résulte d'une phase de négociation, parfois avec une dizaine de centres en France, peut prendre des délais importants. Les industriels ne sont pas fermés à la possibilité de revaloriser ce contrat unique si, en contrepartie, cela permet de réduire les délais.
Sur le financement, la mobilisation de l'épargne française est un peu l'arlésienne. Le développement d'un médicament peut nécessiter entre dix à douze ans à partir de l'identification de sa cible, et entre un et 1,5 milliard d'euros, chiffre qui tient compte de l'attrition due au taux de succès. C'est un domaine particulier pour les investisseurs. Nos sociétés sont bâties sur des jalons de création de valeur, comme la démonstration d'apport pour le patient ou encore de sécurité, et non sur des métriques financières classiques, de revenus, de chiffre d'affaires... Il faut donc acculturer les investisseurs à cette industrie.
Vous avez sans doute entendu parler du dispositif développé par Philippe Tibi, professeur d'économie de l'école poytechnique qui a écrit un essai sur le financement de la 4e révolution industrielle de la France, en passant par les technologies. En France, on a bien identifié l'enjeu des phases précoces d'amorçage qui sont désormais plutôt bien dotées. Le défi est désormais centré sur les phases de « scale up » : il manque les financements pour soutenir les étapes plus tardives de passage à la phase industrielle, notamment les phases 2b et 3 et de pré-enregistrement. Pour ces phases, des montants de plusieurs centaines de millions d'euros sont à sécuriser.
Philippe Tibi a mis en place, face à 22 assurantiels et parapublics, 33 fonds opérant dans le domaine des biotechnologies, dont neuf interviennent dans le domaine de la santé. Ces investisseurs assurantiels se sont engagés à mettre plus de six milliards dans le domaine de la technologie. Certains ont mobilisé entre 400 et 450 millions d'euros, comme le fonds Jeito, dirigée par Rafaèle Tordjman, avec une capacité d'investissement d'une cinquantaine de millions d'euros par entreprise. Avec une telle dynamique, vous attirerez d'autres investisseurs internationaux. D'une façon générale, par rapport à d'autres domaines technologiques, les investisseurs généralistes assurantiels ont plus de mal à s'engager dans la santé car il y a besoin de cette acculturation et de mieux comprendre ce que sont les caractéristiques de notre secteur.