Au sujet des essais de phases 1 et 2, je confirme que l'ANSM a changé son état d'esprit en profondeur depuis l'an dernier. Peut-être est-ce lié au changement de direction. C'est en tout cas de bon augure pour la suite.
En effet, par définition, l'innovation, c'est de l'incertitude, ce que j'avais dû expliquer à l'ancien directeur de l'ANSM dans une lettre ouverte lors de mon arrivée chez Carmat. C'est dommage, car c'est ce que l'agence doit traiter tous les jours... Dans la recherche et l'innovation, on a un dessein et un plan mais on ne sait pas ce qu'on va trouver et, bien sûr, des problèmes peuvent survenir. Face à cela, on peut soit se cloîtrer, soit réfléchir aux meilleures façons de continuer à avancer.
Donc, depuis trente ans que je travaille dans les dispositifs médicaux, je n'ai jamais fait d'étude en France car on s'y heurte à des lenteurs pour les approbations puis à des blocages incessants en cours de processus.
Je pense que cette frilosité s'explique par le manque de personnels compétents pour traiter les dossiers. Ils ne sont pas assez nombreux et ont des périmètres de compétences bien trop larges, pouvant aller, par exemple, des cosmétiques au coeur artificiel. Nos interlocuteurs n'ont donc à la fois pas assez de temps ni assez d'expertise pour être pleinement efficaces, ce qui les frustre d'ailleurs. Dès lors, soit on fait confiance et on laisse aller soit on freine, ce qui est plutôt la règle pour Carmat du fait de notre médiatisation et de l'enjeu de vie ou de mort attaché à nos produits.
De fait, lorsque nous sommes partis de France, il y a cinq ans, notre environnement a changé. Soudain, nous avions en face de nous des personnes qui savaient vraiment ce qu'est l'innovation et nous pouvions avancer sans entraves. C'est bien dommage pour nos médecins car, ainsi privés de contact avec l'innovation, ils ne peuvent participer de manière utile aux congrès et aux débats qui font avancer leur discipline.
Finalement, nous sommes revenus en France où nous avons traité deux patients. Nous avons alors eu deux petites alarmes, vraiment anodines ; cela a pourtant engendré une quantité d'appels, de réunions, etc. à n'en plus finir. Toutes choses que l'on ne retrouve pas dans les autres pays. Même si tout s'est bien fini pour nos deux patients, j'ai donc vraiment retrouvé cette frilosité qui caractérise la France, essentiellement, je le redis, parce que nous ne sommes pas assez outillés au niveau de l'expertise publique.
Au sujet des structures publiques, on veut quelque part copier les États-Unis dans le cadre du programme d'investissements d'avenir (PIA). Or les modèles sont trop différents pour que cela fonctionne bien.
Nous ne travaillons avec des laboratoires qu'en cas de nécessité. Les laboratoires publics sont à la traîne. Nous travaillons très vite et, pour eux, le rythme est différent faute de moyens. Lorsque j'étais à San Francisco, un chercheur polytechnicien a quitté un laboratoire français : il était frustré car le maximum de financement était de 500 000 euros pour un projet de deux ans. Il est parti dans un laboratoire américain, public, au nord de San Francisco. Il avait besoin de 5 millions, on a considéré qu'il lui fallait au moins 20 millions et on lui a finalement proposé... 25 millions. C'est la différence : il y a un problème budgétaire flagrant et, en conséquence, un découragement des gens qui veulent faire de la recherche fondamentale. Les rythmes sont différent et, lorsque nous travaillons avec des laboratoires, c'est jonché de RTT...