Intervention de Justine Atlan

Mission d'information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement — Réunion du 10 juin 2021 à 10h35
Audition des représentants de l'association e-enfance association de protection de l'enfance sur internet

Justine Atlan, directrice générale de l'association e-Enfance :

Vous touchez un problème central avec les messages dits « privés ». De fait, dès lors que les messages sont qualifiés de « privés » par le réseau social, ils échappent aux règles de modération définies pour les messages publics - d'ailleurs Pharos n'agit que sur ces messages publics. Cependant, des messages qui sont adressés à des milliers voire des centaines de milliers de personnes sont, en réalité, des messages publics. Il y a un débat sur le sujet qui touche directement à la liberté d'expression. Le droit européen, qui est en cours de définition, privilégie le caractère privé des échanges, c'est un point sur lequel il faut avancer car les contenus comptent évidemment, surtout quand on parle de harcèlement, qui est illégal. Cette politique de e-privacy privilégie la protection des données personnelles, mais pas une vraie protection des personnes. Les réseaux sociaux ont réagi différemment aux règles européennes, certains les ont appliquées à la lettre en refusant d'intervenir pour supprimer des contenus, sauf si c'est un membre du réseau qui leur en fait la demande ; d'autres réseaux sociaux ont accepté d'intervenir à notre demande, devant l'illégalité des contenus. Dans le débat sur le rôle de la médiation, qui concerne l'ensemble des échanges sur internet, nous faisons valoir que les contenus illégaux doivent être retirés au nom de la protection de l'enfance, la question de la liberté d'expression ne se pose pas comme pour les adultes.

Je suis confiante dans la capacité d'action des réseaux sociaux, je pense qu'ils mesurent l'ampleur du phénomène. Cependant, ce sont des entreprises privées, leur priorité va à leur développement économique, elles n'ont généralement pas assez investi dans la modération et elles courent derrière la réalité. Les choses s'améliorent cependant, avec des outils individuels de protection qui permettent d'ajouter des filtres de modération, je crois que c'est une solution d'avenir. Une difficulté se pose cependant avec le fait que les mineurs ne disent pas qu'ils sont mineurs, ce qui empêche l'efficacité du filtrage. La question de l'identité numérique, à cet égard, est importante : il faut savoir si les internautes sont majeurs ou non.

M. Samuel Comblez, directeur des opérations de l'association e-Enfance. - Beaucoup reste à faire sur la formation des enseignants et des équipes éducatives au sens large. Aujourd'hui, la décision de former relève du seul chef d'établissement : l'action dépend donc de l'importance qu'il attache au sujet. Je crois important de former tous les personnels d'éducation, chacun étant en position de repérer les dérives.

Il faut, ensuite, sortir de l'idée que le harcèlement est d'abord scolaire : il est partout, au club de sport, au centre de loisir, dans la rue... ce qui implique qu'il faut intervenir partout également. Le thème du cyberharcèlement est désormais connu dans la population en général, mais lorsque cela touche un proche, surtout son enfant, on ne sait pas quoi faire, on se trouve face à une jungle de services, alors que la réponse doit aller très vite. Les conséquences du cyberharcèlement sont graves, dévastatrices, nous voyons des jeunes marqués à vie, comme une maladie qu'on va garder avec soi malgré les soins, des jeunes adultes portent cette croix de la dévalorisation d'eux-mêmes qui va influencer leur vie entière.

Sur les 12 millions d'enfants scolarisés, un sur dix serait harcelé, mais nous recevons environ 15 000 appels. C'est dire que nous sommes encore loin de couvrir les besoins - en réalité, nous sommes surpris du nombre de personnes qui nous découvrent trop tard, même des personnels de l'Éducation nationale ne connaissent pas notre numéro. Nous sommes pourtant facilement joignables : notre priorité est l'accessibilité et nous voulons faciliter la tâche des parents et des victimes. Il est vrai qu'on peut observer une superposition de services - qui se complètent.

Nous travaillons avec des jeunes qui connaissent le numérique car ce domaine nécessite une mise à jour quotidienne. Nous sommes très sensibles aussi au harcèlement en général, pour traiter la totalité demande plutôt que renvoyer vers un autre service, y compris en cas de harcèlement scolaire.

Nous sommes favorables à un numéro unique ; il est salutaire pour les parents épuisés par le côté permanent d'internet, de trouver un interlocuteur qui comprenne la situation - et le seul lieu francophone où l'on soit tout de suite compris en matière de cyberharcèlement, c'est notre association, c'est le 30 18. C'est particulièrement vrai pour les jeunes victimes, qui peuvent avoir du mal à dire ce qui leur arrive à leur entourage proche et à leurs parents en particulier - 60 % des appels que nous recevons concernent le corps ou la sexualité, des thèmes que les jeunes n'ont pas souvent envie d'aborder avec leurs parents, nous sommes donc des référents plus faciles dans ces cas-là.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion