Intervention de Franck Riester

Commission des affaires économiques — Réunion du 19 mai 2021 à 16h40
Politique commerciale — Audition de M. Franck Riester ministre délégué auprès du ministre de l'europe et des affaires étrangères chargé du commerce extérieur et de l'attractivité

Franck Riester, ministre délégué :

Oui, les clauses miroirs doivent s'appliquer à tous nos partenaires, et pas simplement dans les accords de libre-échange. Nous voulons des garanties sur l'application des normes de l'Union européenne. L'intérêt de ces clauses miroirs est justement qu'on ne soit pas obligé de les négocier à chaque nouvel accord. Je ne maîtrise pas assez le sujet de la viande de cheval pour vous répondre, mais je sais que la question du bien-être animal est un enjeu qui figure dans les accords commerciaux, par lesquels nous incitons nos partenaires à rehausser leurs exigences en la matière. Notre politique commerciale fait levier de l'attrait que revêt l'ouverture de notre marché pour engager nos partenaires dans des évolutions qui nous tiennent à coeur, et qui peuvent imposer des coûts supplémentaires à leurs producteurs.

En ce qui concerne l'OMC, il y a plusieurs chantiers. Celui du règlement des différends nécessite de débloquer l'Organe d'appel. Les Américains bloquent son fonctionnement par leur veto sur la nomination de juges. Nous devons essayer de trouver des solutions pour lever ce veto. Par ailleurs, il est clair qu'une réforme du traitement spécial et différencié (TSD) de certains pays en développement est nécessaire. Un tel statut est utile pour les pays qui sont vraiment en voie de développement. Pour la Chine, qui est très développée, et en avance sur bien d'autres pays, il n'y a pas de raison qu'elle continue de bénéficier de ce type d'avantages. Il faudra de la négociation, de la discussion, mais c'est un point clé. Enfin, il faut rendre à l'OMC un fonctionnement plus efficace en matière de négociations. L'OMC est avant tout un lieu de négociations pour faire avancer un certain nombre de sujets au niveau multilatéral. La question de la pêche illégale, par exemple, renvoie à la gestion des stocks de poissons dans le monde, et doit donc se régler au niveau global, au-delà des actions prises au niveau européen. C'est pourquoi nous aimerions obtenir des résultats dans ce dossier avant la conférence ministérielle dite MC12 de la fin d'année. Ce serait une belle avancée, qui montrerait que l'OMC redémarre dans ses différentes composantes. J'en profite pour dire que la France et l'Europe ont soutenu la nomination du Docteur Ngozi Okonjo-Iweala comme nouvelle directrice générale, et que la France a obtenu la nomination d'un directeur général adjoint, au titre de l'Europe : il s'agit de l'ambassadeur Jean-Marie Paugam.

En ce qui concerne l'extraterritorialité, le « règlement de blocage » a au moins le mérite d'exister, même s'il n'est pas suffisamment opérant. Il a été mis en place dans la foulée du règlement de 1996, pris suite à la loi américaine dite Helms-Burton sur Cuba. Il a été utile dans un certain nombre de situations, mais il est insuffisant, et doit être réformé. Nous devons aussi utiliser tous les leviers dont nous disposons, en veillant à bien articuler entre elles, sur ce point, les politiques européennes.

Sur le Brexit, j'ai dit ce que je pensais de l'attitude des Britanniques. Il est vrai que nos échanges commerciaux avec eux diminuent, même s'il est trop tôt pour voir les conséquences de long terme du Brexit. En tous cas, il est certainement plus complexe de faire du commerce avec les îles britanniques à présent qu'elles ne sont plus dans l'Europe. Nous tâchons de maintenir le meilleur niveau possible d'activité pour nos exportateurs, après avoir tout fait pour minimiser les dégâts du Brexit. À cet égard, le fait qu'il ait été décalé dans le temps nous a aidés à être mieux préparés. Il y a encore beaucoup d'accompagnement à faire, et beaucoup d'entreprises, notamment des petites et des moyennes, ont des difficultés pour continuer à avoir une activité fluide avec les îles britanniques. J'ai demandé à Business France de renforcer son soutien, et un dispositif a été mis en place à Londres à cet effet qu'on appelle Easy Brexit. Il faut mobiliser d'autant plus d'énergie que les Britanniques essaient de diviser les Européens sur un certain nombre de sujets.

Oui, le réseau des CCIFI joue un rôle considérable. Dès que je vais dans un pays, j'essaie de rencontrer ses équipes et de les mettre en valeur. Je n'ai pas renoncé à leur trouver des crédits pour faire face aux difficultés de l'année 2020 et du début de l'année 2021. Nous pouvons aider les CCIFI à bénéficier d'un prêt garanti par l'État. Nous les avons accompagnées, ainsi que les conseillers du commerce extérieur de la France, pour la création d'EFE international, grâce à quoi les entreprises françaises de l'étranger pourront bénéficier du volontariat international en entreprise (VIE). Nous devons veiller à ce que la concurrence entre Business France et CCIFI soit saine et loyale, et je regarderai de près les preuves d'éventuelles pratiques déloyales : la complémentarité entre public et privé est justement ce qui fait la force de la Team France Export.

Les entreprises françaises de l'étranger (EFE) sont des entreprises de droit local. Les ambassades ont été très mobilisées pour donner des informations aux entrepreneurs français, afin qu'ils puissent avoir accès aux dispositifs locaux. C'est vrai que dans certains pays, il y en avait peu... Le Parlement a voté un budget de 50 millions d'euros abondant un fonds de solidarité pour les entrepreneurs qui auraient des difficultés dans le monde entier. Il ne peut pas y avoir de prêts directs, mais des garanties sur les prêts octroyés par des banques locales dans les pays en voie de développement, via Proparco. Plus largement, je souhaite qu'on associe davantage les EFE à notre déploiement à l'international. Les entrepreneurs français à l'étranger connaissent parfaitement leur marché et leur pays, dans lequel ils ont des réseaux et des relais. On ne les sollicite pas suffisamment. Pourtant, ils font partie de la « Team France », de l'équipe de France à l'international. Nous devons les recevoir davantage, les animer davantage, leur donner davantage d'informations. Certains ne sont pas intéressés, mais d'autres s'étonnent qu'on ne les sollicite pas davantage.

L'emploi et la formation sont évidemment très importants. Les accords commerciaux de l'Union comportent, dans les chapitres consacrés au développement durable, des engagements de respect des droits sociaux. En effet, le dumping social est problématique pour nos entreprises. Nous devons être plus exigeants vis-à-vis de nos partenaires, mais aussi de nos entreprises. J'ai évoqué déjà le devoir de vigilance concernant la responsabilité sociale et environnementale (RSE) - le commissaire européen Didier Reynders y travaille, et nous l'incitons à aller plus loin, notamment pour prendre en compte les questions de formation. Le programme Erasmus est crucial. Nous devons continuer à investir dessus. Plus largement, nous devons donner davantage de culture de l'international à nos jeunes étudiants. Depuis ma nomination, je ne cesse de me déplacer dans des écoles, des universités, des BTS, pour sensibiliser les étudiants au commerce international, à la nécessité de parler anglais et plusieurs langues. Je mobilise beaucoup d'énergie sur le volontariat international en entreprise (VIE) : j'ai oeuvré pour que le plan de relance permette de baisser son coût pour les entreprises. Ainsi, nous pourrons donner l'opportunité à des jeunes de vivre une expérience incroyable à l'international, à la fois professionnellement et personnellement. C'est une ouverture exceptionnelle pour comprendre le monde, utile même si l'on déploie ensuite toute sa carrière entre Coulommiers et Melun !

Nous ne pouvons pas rester dans la situation actuelle en matière de commerce extérieur. D'abord, il nous faut une meilleure compétitivité, une meilleure attractivité pour les investisseurs étrangers. Il n'y a pas de secret : pour que nos entreprises exportent davantage, il faut qu'elles fabriquent des produits innovants, qui fassent la différence, qui soient de bonne qualité, et vendus à un prix raisonnable. Pour cela, les entreprises doivent être plus compétitives, dans un pays où elles peuvent innover. La compétitivité est absolument décisive : on ne peut pas imaginer réduire notre déficit commercial si nous ne sommes pas compétitifs.

Il faut aussi une stratégie industrielle. Cela nous manque depuis des années, alors que les Italiens ou les Allemands en ont une. Avec Bruno Le Maire et Agnès Pannier-Runacher, nous mettons en place une stratégie industrielle puissante, avec des moyens lourds, dans le cadre du plan de relance, pour investir sur les technologies d'avenir et sur des secteurs d'avenir. Il ne s'agit pas de développer des outils pour suivre les autres, mais de figurer parmi les leaders, comme nous avons su le faire avec Airbus. Les Chinois essaient toujours de produire des avions civils capables de rivaliser avec Airbus : ils n'y arrivent pas. Ce qui a fait la différence, c'est l'innovation dès le départ. C'est pourquoi nous investissons massivement dans le calcul quantique, l'hydrogène, l'intelligence artificielle ou les biotechs.

Le troisième levier est la politique commerciale. Nous ne pouvons pas continuer d'exposer nos entreprises à une concurrence déloyale, et nous devons mieux les accompagner à l'international. Il y a 130 000 entreprises exportatrices en France, contre 220 000 en Italie et 300 000 en Allemagne. Résultat : nous avons un déficit commercial de 65 milliards d'euros, quand les Italiens ont dégagé, en 2020, 63 milliards d'euros d'excédent commercial et les Allemands, plus de 180 milliards d'euros.

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