Intervention de Paul Toussaint Parigi

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 9 juin 2021 à 9h10
Contrôle budgétaire — Rôle et moyens du haut conseil pour le climat - communication

Photo de Paul Toussaint ParigiPaul Toussaint Parigi, rapporteur spécial :

Je consacre mon premier contrôle budgétaire à un organisme encore jeune, dont l'importance ne cesse de croître : le Haut Conseil pour le climat. Créé par le Président de la République fin 2018, cet organisme est chargé d'apporter un éclairage indépendant sur les politiques publiques en matière de climat. Il est rattaché à France Stratégie, organisme de prospective lui-même placé sous l'autorité du Premier ministre, qui héberge le Haut Conseil dans ses locaux et lui fournit un appui administratif et logistique.

Le HCC est composé de treize experts nommés par décret, qui se réunissent au moins une journée par mois et touchent une indemnité mensuelle de 500 euros. Il dispose, depuis sa mise en place en 2019, d'un secrétariat permanent de 6 équivalents temps plein (ETP), ainsi que d'un budget annuel de fonctionnement de 500 000 euros, qui lui permet notamment de commander des études extérieures afin d'appuyer ses travaux.

Parallèlement à la prise de conscience croissante des enjeux climatiques et aux besoins que nous avons d'y répondre collectivement, le HCC voit son rôle évoluer de manière importante et fait aujourd'hui l'objet de nombreuses sollicitations.

Dans ce contexte, j'ai voulu comprendre en détail le rôle précis dévolu à cet organisme qualifié par certains de « comité Théodule » au moment de sa création, afin d'évaluer si les moyens attribués étaient à la hauteur des ambitions affichées pour le climat et d'apprécier les difficultés auxquelles ce jeune organisme fait face.

Je vais d'abord revenir brièvement sur les missions qui lui ont été confiées, dans un premier temps par décret, avant d'être reprises fin 2019 dans la loi Énergie-climat.

Le HCC a pour mission principale d'évaluer de manière indépendante l'action de l'État et des collectivités territoriales au regard des engagements climatiques de la France, en particulier de l'accord de Paris de 2015 et de l'objectif de neutralité carbone à l'horizon de 2050, qui figure dans la loi depuis 2019. Il peut émettre des avis et des recommandations sur un projet ou une proposition de loi, ou sur toute question ayant trait aux enjeux climatiques, comme la question de l'impact environnemental de la 5G ou celle de la rénovation énergétique des bâtiments. Il peut être saisi par le Gouvernement, par le président de l'Assemblée nationale, du Sénat ou du Conseil économique, social et environnemental (CESE) ; il peut également décider de s'autosaisir, comme il l'a fait dernièrement sur le plan de relance ou sur le projet de loi Climat et résilience.

Au-delà des avis ponctuels qu'il est amené à émettre, il publie également chaque année un rapport général sur le respect de la trajectoire de baisse des émissions de gaz à effet de serre, qui bénéficie d'un écho médiatique important. Ce rapport passe en revue les contributions au respect de la trajectoire bas-carbone de différents secteurs d'activité économique et de différentes politiques publiques. Il intègre de nombreuses recommandations en vue d'améliorer l'action climatique de l'État et des collectivités. Malgré des moyens limités, j'y reviendrai, le HCC a ainsi produit une douzaine de publications depuis sa mise en place en 2019.

S'il est encore trop tôt pour établir un constat définitif, le premier bilan que l'on peut dresser est extrêmement positif. Alors qu'il n'a que deux années d'existence, il bénéficie déjà d'une expertise largement saluée, qui en fait aujourd'hui un acteur majeur de la gouvernance et du débat public en matière de lutte contre le changement climatique.

Les treize membres qui composent le collège du Haut Conseil sont des experts reconnus par leurs pairs dans leurs domaines respectifs. On peut citer les noms de Mme Laurence Tubiana, l'une des architectes de l'accord de Paris de 2015, de la climatologue Mme Valérie Masson-Delmotte ou encore de l'économiste M. Jean-Marc Jancovici. Le HCC constitue ainsi une sorte de mini-groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) - dont est par ailleurs membre la présidente du Haut Conseil pour le climat, Mme Corinne Le Quéré - et couvre un large éventail d'expertise dans les domaines liés directement ou indirectement au climat, allant de la climatologie à l'économie, en passant par l'agronomie ou encore la géographie. Le personnel administratif qui accompagne ces treize experts est lui aussi particulièrement qualifié, puisque le secrétariat du Haut Conseil est intégralement constitué d'agents de catégorie A, dont les deux tiers de catégorie A+, pour la plupart contractuels.

Outre l'écho médiatique positif dont bénéficie le Haut Conseil, le constat est unanime parmi les personnes auditionnées au cours de mes travaux. Toutes saluent le sérieux et l'indépendance de l'institution, qui ne se prive jamais de souligner dans ses rapports les insuffisances de l'action de l'exécutif en matière de climat. Son rapport annuel a même été cité comme base de référence par les juges du Conseil d'État dans une récente décision que de nombreux observateurs ont qualifiée d'historique, dans laquelle le Conseil d'État a pour la première fois enjoint à l'État de justifier, dans un délai de trois mois, du respect de ses obligations climatiques.

Au-delà de son rôle d'évaluation des politiques publiques, le Haut Conseil est également une force de propositions et a contribué à plusieurs avancées récentes en matière de lutte contre le changement climatique. À titre d'exemple, on peut citer la création de plans d'action climat pour chaque ministère et, surtout, l'intégration de nombreuses mesures au sein du volet écologie du plan de relance, directement issues de recommandations émises par le Haut Conseil.

La concrétisation des ambitions climatiques affichées par l'exécutif implique néanmoins de donner au HCC les moyens nécessaires pour exercer pleinement son rôle. Or, il est encore loin de disposer des moyens lui permettant de remplir de façon satisfaisante ses missions actuelles et, a fortiori, les missions nouvelles que lui confient progressivement l'exécutif et le Parlement. En effet, il est en quelque sorte victime de son succès et parvient difficilement à répondre aux sollicitations croissantes. Vous vous souvenez sans doute des débats houleux suscités, il y a un peu plus d'un an, par la question de l'impact environnemental de la 5G. Le président du Sénat avait alors formellement saisi le Haut Conseil pour le climat au mois de mars, afin d'obtenir une expertise détaillée sur cette question. Ce dernier n'avait cependant pas été en mesure de rendre son rapport avant le mois de décembre, trois mois après le début du processus d'attribution des fréquences 5G. Ce retard a limité la portée de son rapport, qui émettait pourtant de nombreuses réserves. La présidente du Haut Conseil s'en était expliquée dans un courrier adressé au président Larcher, ainsi que devant nos collègues de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, en évoquant des ressources humaines insuffisantes. Il y a trois semaines, le directeur exécutif du Haut Conseil pour le climat, M. Olivier Fontan - que j'ai auditionné - a annoncé son départ, en évoquant lui aussi publiquement des moyens trop restreints.

Tous ces signaux doivent nous alerter sur le manque criant de moyens du HCC. Non seulement ce dernier ne parvient pas toujours à publier ses rapports dans des délais satisfaisants, mais il a également été contraint de laisser de côté des sujets essentiels qui relèvent de sa compétence, comme, par exemple, l'hydrogène ou les puits de carbone. Il apparaît donc urgent de renforcer ses moyens humains, afin de lui permettre d'exercer pleinement ses missions actuelles, mais également celles à venir.

Dans le cadre du projet de loi Climat et résilience actuellement examiné par le Sénat, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable propose, en effet, de confier au HCC une mission d'évaluation annuelle de la mise en oeuvre du projet de loi. Je soutiens cette position, car il me semble qu'une telle évaluation doit, d'une part, être confiée à un organisme public indépendant et, d'autre part, reposer sur des éléments scientifiques solides, à savoir un chiffrage précis de l'impact de ces dispositions sur les émissions de gaz à effet de serre. À l'heure actuelle, seul le HCC semble remplir ces deux conditions. Je déplore que l'évaluation ex ante de l'impact carbone du projet de loi Climat ait été confiée par l'exécutif à un cabinet de conseil international plutôt qu'au Haut Conseil lui-même. Au-delà, il me semble que l'expertise reconnue du HCC mériterait d'être mise à profit plus largement, lorsque le sujet s'y prête, dans l'évaluation des lois et de leur impact climatique, qu'il soit positif ou négatif.

Le manque de moyens du Haut Conseil pour le climat ne saurait justifier le recours, pour ce type de mission, à des organismes dont l'expertise ou l'indépendance - parfois les deux - peuvent être remises en question ; c'est pourquoi les moyens de cet organisme doivent être renforcés.

Le HCC dispose depuis sa création d'un secrétariat de 6 ETP. À titre de comparaison, c'est cinq fois moins que son équivalent britannique, qui dispose de plus d'une trentaine d'agents permanents, pour une structure - à savoir un conseil scientifique indépendant - et des missions similaires.

Au cours des auditions que j'ai menées, les services du Premier ministre ont reconnu la nécessité d'augmenter les effectifs du Haut Conseil pour le climat et ont indiqué envisager un renforcement du secrétariat à hauteur de 4 ETP, vraisemblablement en 2022. Cela va évidemment dans le bon sens, mais me paraît encore bien trop faible au regard à la fois des fortes tensions auxquelles est soumise l'institution et de nos ambitions en matière de gouvernance climatique. En tant que rapporteur spécial, je veillerai donc à ce que ses moyens soient renforcés à hauteur d'une dizaine d'ETP dès 2022, dans le cadre de l'examen du prochain projet de loi de finances, pour atteindre un total de 16 ETP, l'objectif à moyen terme devant être de parvenir à un total de 24 ETP en 2023 ou 2024. Je rappelle que la commission de l'aménagement du territoire avait proposé, lors de l'examen du dernier projet de loi de finances, une hausse de 18 ETP dès l'année 2021. J'espère donc que la proposition d'une augmentation de 10 ETP en 2022 apparaîtra raisonnable à notre commission.

Afin d'évaluer au mieux les gains que doit permettre ce renforcement, je suggère, en outre, de l'accompagner de la création d'un indicateur de performance relatif au délai moyen de publication des rapports du Haut Conseil pour le climat, hors rapport annuel bien entendu.

En résumé, je tire de mes travaux un bilan extrêmement positif de la création du HCC. En deux ans à peine, ce jeune organisme a su se constituer une expertise solide et s'imposer comme un outil incontournable d'évaluation et de stimulation des politiques climatiques. Son expertise mériterait, à mon sens, d'être davantage mise à profit, en particulier en matière d'évaluation ex ante et ex post des lois, et sa montée en puissance devra rapidement s'accompagner des moyens nécessaires. Sur le long terme, il conviendra également de veiller à consolider la place du Haut Conseil dans le paysage institutionnel, en assurant son autonomie fonctionnelle et budgétaire ; c'est ce que permettrait notamment de garantir le statut d'autorité administrative indépendante. Il me semble donc qu'une réflexion pourrait, le moment venu, être engagée à ce sujet.

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