Intervention de Sylvie Robert

Réunion du 9 juin 2021 à 15h00
Bibliothèques et développement de la lecture publique — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Sylvie RobertSylvie Robert :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, fallait-il une loi sur les bibliothèques ? Cette question peut paraître provocante : puisque je propose à vos suffrages ma proposition de loi relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique, la réponse semble aller de soi.

En réalité, cette question témoigne du long cheminement qui a émaillé la réflexion autour de l’opportunité d’une loi sur les bibliothèques.

Que de débats parmi les professionnels ! Préciser, mais ne pas brider ; encadrer, mais ne pas enfermer : l’équilibre à trouver n’a pas été si évident. Il a d’ailleurs requis d’intenses réflexions avec le ministère de la culture. Je veux ici l’en remercier très sincèrement et saluer en particulier, au sein de la direction générale des médias et des industries culturelles, le Service du livre et de la lecture. Mais nous avons aussi mené notre réflexion avec les professionnels, les collectivités territoriales et les élus.

Cette proposition de loi est l’expression d’un compromis, que je pense pouvoir dire unanime, en faveur de la reconnaissance de l’importance des bibliothèques et des bibliothécaires.

Elle est aussi l’expression de mon attachement profond aux bibliothèques et de ma reconnaissance pour les personnels qui les font vivre et pour les millions de nos concitoyens qui, chaque jour, en poussent les portes, peu importe la raison.

On va dans les bibliothèques pour lire, pour en parcourir les rayons, bien sûr, mais aussi pour écouter un auteur, visiter une exposition, participer à un débat ou à un atelier, pour refaire son CV ou pour réviser le bac, pour participer à un tournoi de jeux vidéo, pour aller sur internet, et pour tant d’autres activités encore qu’il me faudrait une discussion générale entière et, en tout cas, plus de vingt minutes, pour être exhaustive.

En somme, la bibliothèque est une expérience culturelle et ludique, mais aussi sociale. Elle est un lieu unique, exceptionnel, qui ouvre à tous les possibles.

C’est la bibliothèque-univers qu’Umberto Eco décrit dans son opuscule De Bibliotheca : « Si la bibliothèque est, comme le veut Borges, un modèle de l’Univers, essayons de le transformer en un univers à la mesure de l’homme, autrement dit une bibliothèque où l’on ait envie d’aller et qui progressivement se transforme en une grande machine pour le temps libre. » C’est un lieu de livres, évidemment, mais également un lieu de vie.

Saint Thomas d’Aquin écrivait : « Je crains l’homme d’un seul livre. » Dans notre époque marquée par la violence du débat politique, par le dogmatisme, par l’enfermement dans des certitudes souvent faciles, les bibliothèques s’imposent comme des lieux indispensables de respiration citoyenne et civique, comme des lieux d’émancipation où chacune et chacun peuvent se forger un esprit critique ; en somme, aujourd’hui plus que jamais, comme des lieux de raison et de libertés.

Je ne crois d’ailleurs pas que ce soit un hasard si Adolphe Thiers, lors de la construction de notre hémicycle en 1837, a choisi de faire édifier une bibliothèque au plus près de la salle des séances. Nous avons encore aujourd’hui la chance de siéger à quelques mètres de l’une des plus belles bibliothèques de France, qui nous offre, dans un cadre privilégié, l’occasion de prendre un peu de recul vis-à-vis de notre action politique et un peu de distance face à la vitesse de notre actualité.

Plus concrètement, avec ma proposition de loi, j’ai souhaité porter deux objectifs : ancrer profondément les bibliothèques dans notre droit, d’une part ; conforter leur lien avec les collectivités territoriales, dans le plein respect de leur liberté de gestion, et renforcer les politiques publiques en matière de lecture publique, d’autre part.

J’ai souhaité tout d’abord ancrer profondément dans notre droit les bibliothèques. Les dispositions qui les concernent ne représentent aujourd’hui que cinq articles dans le code du patrimoine, sans même une définition de leur mission, soit douze fois moins que pour les archives. En réalité, mes chers collègues, il n’y a jamais eu dans notre pays de loi sur les bibliothèques !

Telle est la finalité de ma proposition de loi, qui constitue, pour ces établissements, une consécration législative et, pour moi, l’aboutissement de plusieurs années de travail et de multiples rencontres, ainsi que de réflexions nourries par mes travaux parlementaires et par mon expérience d’élue chargée de la culture à Rennes et en Bretagne.

Mon rapport de 2015 sur l’adaptation et l’extension des horaires d’ouverture des bibliothèques a permis la mise en place d’un dispositif de soutien financier de l’État à destination des collectivités territoriales.

Parallèlement, le sujet s’est imposé dans le débat public, comme en a témoigné la mission Orsenna-Corbin, en 2017 et 2018, ainsi que le lancement par le ministère de la culture d’un plan bibliothèques visant à ouvrir plus et mieux. Ce plan s’accompagnera d’une augmentation de la dotation générale de décentralisation de 8 millions d’euros, soit un investissement total de 88 millions d’euros.

Enfin, avec Colette Mélot, j’ai présenté en juillet dernier à notre commission de la culture un rapport d’information consacré à l’évaluation de la politique publique en faveur de l’extension des horaires des bibliothèques. Ce rapport a été très intéressant à élaborer.

De cette réflexion au long cours est née la certitude qu’il fallait enfin donner un cadre, un statut et des missions aux bibliothèques municipales, intercommunales et départementales, qui font vivre nos territoires.

Il était impératif de fixer plusieurs grands principes, qui ont d’ailleurs parfois été remis en cause, y compris ces dernières semaines, alors même qu’ils sont au fondement des bibliothèques : le pluralisme des courants d’idées et d’opinion, l’égalité, la liberté et la gratuité d’accès, la neutralité du service public.

Dans la très grande majorité des cas, ces principes sont déjà pratiqués au quotidien, si bien que les énoncer les renforce et les conforte. En outre, ils apportent une sécurité juridique et peuvent prévenir certaines dérives que nous avons vues à l’œuvre récemment.

Avec cette proposition de loi, j’ai également voulu souligner le lien entre les collectivités territoriales et leurs bibliothèques.

Je n’ai pas voulu imposer de contraintes supplémentaires ni de dépenses nouvelles. Nous savons trop bien, comme élus locaux, qu’il vaut mieux laisser l’initiative au plus proche du terrain et qu’il est préférable que la loi fixe les grands principes et les objectifs généraux, tout en laissant aux collectivités de la latitude pour les remplir.

Pour autant, je souhaite que les élus s’emparent pleinement du sujet et établissent dans leurs cités une véritable politique culturelle et éducative, qui fasse rayonner les bibliothèques sur leur territoire.

En effet, comme élus, nous entendons tous des témoignages convergents. La semaine dernière encore, en commission, nous avons pu constater la capacité remarquable des bibliothécaires à réinventer leur métier et leur passion dans nos territoires. Les témoignages de mes collègues étaient véritablement très touchants.

En effet, on sait bien que les bibliothécaires pratiquent une évolution permanente ; elles – j’emploie volontairement le féminin ! – font preuve d’une capacité à s’adapter et à créer, parfois avec peu de moyens, qui doit être saluée. C’est aussi grâce à elles et à eux que les bibliothèques sont des endroits vivants qui ont su accompagner l’évolution des usages, avec le numérique, mais aussi inventer, créer et innover ; je veux associer à cette idée Erik Orsenna et Noël Corbin.

Au-delà des symboles, les bibliothécaires attendaient depuis longtemps l’inscription dans la loi des missions des établissements. Je veux profiter de cette tribune pour leur témoigner ma reconnaissance, à la fois amicale et admirative pour leur travail quotidien : leur sens du service public s’accorde parfaitement avec leur mission de service public.

Les bibliothèques constituent en effet le seul service public où vous pouvez venir en toute liberté et rester, toute la journée si vous le voulez, sans que personne vienne vous solliciter pour autre chose que, peut-être, un conseil. Ce sont des lieux de sociabilité et de croisement de toutes les populations, des lieux d’accueil, de bienveillance et même, si je puis dire, d’hospitalité.

Si j’ai volontairement recherché, dans cette proposition de loi, le consensus le plus large, il n’en reste pas moins que des sujets essentiels attendent encore d’être traités. Il conviendrait également de consolider le chaînage vertueux qui existe entre les collectivités territoriales et les bibliothécaires.

La première lecture de ce texte par le Sénat constitue pour moi un moment très important. Je m’adresse à vous, madame la ministre, car je sais pouvoir compter sur votre engagement et sur votre force de conviction : vous l’avez déjà démontré en m’accordant que ce texte soit examiné en procédure accélérée, et je vous en remercie sincèrement. Mais ce texte est aussi une première étape, qui en appelle au moins deux autres avant la fin de cette année.

Tout d’abord, nous aurons à reparler très prochainement des bibliothèques départementales et assurément de la situation en outre-mer, probablement dans le cadre de l’examen du projet de loi dit 4D ou 3D», qui aura lieu en juillet au Sénat.

Ensuite, mes chers collègues, il nous faudra nous assurer tous ensemble, dans le cadre du prochain projet de loi de finances, de la pérennisation des moyens des bibliothèques qui ont bénéficié, ces dernières années, de crédits supplémentaires au sein de la dotation générale de décentralisation.

Cet effort ne doit pas rester sans lendemain ; il faut que ces crédits deviennent pérennes, tant les premiers résultats enregistrés ont été spectaculaires en matière d’adaptation et d’ouverture au public ; nous avons pu le constater, lors des travaux que j’ai conduits avec Colette Mélot.

Voilà, madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’esprit qui anime et qui fonde la proposition de loi que j’ai l’honneur et le plaisir de vous présenter aujourd’hui.

Je suis sensible également à la concomitance de l’examen de ce texte avec celui de la proposition de loi de ma collègue Laure Darcos sur l’économie du livre, qui a été adoptée hier à l’unanimité de notre assemblée.

Cette séquence sénatoriale que nous traversons autour et en faveur du livre et de la lecture publique me semble importante.

En deux jours, le Sénat se sera honoré en débattant pleinement de l’ensemble de la chaîne du livre, ce qui témoigne une nouvelle fois de notre engagement sans faille en faveur de la culture et de toutes celles et tous ceux qui la font vivre. Mes chers collègues, je vous en remercie très sincèrement.

6 commentaires :

Le 24/06/2021 à 11:16, aristide a dit :

Avatar par défaut

" Dans notre époque marquée par la violence du débat politique, par le dogmatisme, par l’enfermement dans des certitudes souvent faciles,"

Par la censure plus ou moins dissimulée sur les sites politiques...

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

Le 24/06/2021 à 11:17, aristide a dit :

Avatar par défaut

"Ce sont des lieux de sociabilité et de croisement de toutes les populations, des lieux d’accueil, de bienveillance et même, si je puis dire, d’hospitalité."

Ce ne sont pas des lieux de sociabilité, puisqu'il est interdit aux lecteurs de se parler.

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

Le 24/06/2021 à 11:19, aristide a dit :

Avatar par défaut

"Les bibliothèques constituent en effet le seul service public où vous pouvez venir en toute liberté et rester, toute la journée si vous le voulez, sans que personne vienne vous solliciter pour autre chose que, peut-être, un conseil."

Assis sur un banc dans un parc, vous pouvez aussi rester de longues heures, quelle est la différence ?

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

Le 24/06/2021 à 11:21, aristide a dit :

Avatar par défaut

"En effet, on sait bien que les bibliothécaires pratiquent une évolution permanente ; elles – j’emploie volontairement le féminin ! – font preuve d’une capacité à s’adapter et à créer,"

C'est interdit aux hommes d'être bibliothécaires ? Conception bizarre de la culture.

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

Le 24/06/2021 à 11:23, aristide a dit :

Avatar par défaut

"elles – j’emploie volontairement le féminin !"

Les femmes s'occupent des livres, tandis que les hommes font des boulots sérieux...

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

Le 24/06/2021 à 11:32, aristide a dit :

Avatar par défaut

"Saint Thomas d’Aquin écrivait : « Je crains l’homme d’un seul livre. »"

Écrire un livre, c'est une chose, être publié, c'en est une autre autre, dans notre époque marquée par la censure à outrance et la police intellectuelle des maisons d'édition.

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

Inscription
ou
Connexion