Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la solidarité nationale est l’application concrète du principe de fraternité inscrit au fronton de nos mairies.
Ainsi, nous ne pouvons que souscrire à l’objectif du texte présenté aujourd’hui : s’assurer que la solidarité nationale atteigne tous ceux qui en ont besoin, afin de faire vivre cette fraternité qui sous-tend le pacte républicain.
Depuis 1945, notre pays s’honore de cette solidarité. La protection sociale a été maintenue et développée par tous les gouvernements successifs, aboutissant à augmenter le panel des bénéficiaires pour s’adapter aux situations financière, familiale et professionnelle de chacun et répondre au plus près aux besoins.
Néanmoins, comme le soulignent les auteurs de la proposition de loi, nous observons un important phénomène de non-recours : certains de nos concitoyens ayant droit à des aides sociales n’en profitent pas. Les raisons sont diverses, mais une majorité de cas trouvent leur origine dans une méconnaissance du système, faute de communication suffisante, dans une appréhension face à la complexité des démarches ou, enfin, dans un accès moindre ou nul aux outils informatiques.
Une telle situation de non-recours aux droits doit être combattue ; je crois que nous nous accordons tous sur ce point. Au demeurant, s’y résoudre et ne rien proposer en retour aggraverait la situation de celles et ceux qui sont déjà fortement fragilisés.
Président du conseil départemental de l’Oise entre 2015 et 2017, j’ai toujours eu à cœur de m’assurer que les aides gérées par cette collectivité soient les plus accessibles possible, tout en rappelant – c’est aussi ma responsabilité – qu’il s’agit non pas d’argent gratuit, mais du fruit du travail des Français. J’ai donc pris part à la réflexion visant à améliorer l’accès au système d’aides sociales, afin de remplir la promesse que la République a faite à ses enfants les plus fragiles.
Dans ce cadre, la mesure proposée s’appuie sur une classification des prestations en deux catégories : les aides liées à un handicap, d’une part, les aides liées à de faibles ressources, d’autre part. À partir de cela, on établit des ponts entre les différentes prestations, afin que l’accès à une prestation sociale déclenche automatiquement l’examen d’éligibilité aux autres.
Cependant, aussi séduisant que ce dispositif peut apparaître, il ne nous satisfait pas complètement. Comme cela a été très bien relevé en commission par notre collègue Philippe Mouiller, une telle mesure exclut certaines prestations, comme l’allocation de solidarité aux personnes âgées ou l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé.
Trois autres limites sont également à signaler.
La première tient à la question, largement sous-estimée, de la mise en œuvre. En effet, les responsabilités qui sont aujourd’hui réparties entre les différents organismes délivrant les différentes prestations deviendraient confuses. Jusqu’où irait la responsabilité de l’organisme se bornant à notifier à une personne son éligibilité à une prestation délivrée par un autre organisme, qui s’appuierait lui-même sur autre chose, puisque tout est automatisé ?
Rendre automatique le système revient à diviser les responsabilités et nécessite un changement en profondeur, que nous ne pouvons pas atteindre aujourd’hui.
La seconde limite concerne le coût financier de cette opération. Si l’accès à une prestation déclenche automatiquement un examen d’éligibilité à d’autres prestations, dépendantes d’autres organismes, alors doit être organisé un très important transfert de données entre les organismes.
De ce côté, tout reste à faire, car, aujourd’hui, les données sont plutôt cloisonnées et ne circulent pas assez. Or leur transfert et leur traitement nécessitent davantage de moyens humains et techniques et donc un budget sûrement bien supérieur à ce que l’État peut aujourd’hui proposer.
Enfin, nous pouvons et nous devons nous interroger sur l’efficacité du dispositif proposé. En effet, si le constat de ce phénomène de non-recours est réel et regrettable, les efforts faits sont eux aussi réels.
Aujourd’hui, d’autres acteurs, associatifs en particulier, participent à la solidarité nationale en étant présents là où l’État ne l’est que peu ou pas du tout. Mme Annie Le Houerou a cité par exemple dans son exposé en commission les rapports du Secours catholique, mais sont actifs également les Restos du cœur, la Croix-Rouge française, la Fondation Abbé-Pierre et d’autres encore.
Ces organismes délivrent des aides sociales de tout type, alimentaire, humanitaire, sanitaire, etc., et méritent d’être encouragés. Or automatiser un dispositif revient à le placer entièrement sous la responsabilité de l’État, et ainsi à enrayer l’action de ces associations, lesquelles, pourtant, se portent volontaires pour supporter les contraintes que la lutte contre le non-recours impose.
Cela manifeste le dernier point qui fonde cette troisième raison : faut-il accroître le poids que représente cette lutte sur les services de l’État si d’autres acteurs sont prêts à se mobiliser et se mobilisent d’ailleurs déjà ?
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, telles sont donc les raisons pour lesquelles ce dispositif ne semble pas convenir et a été repoussé en commission.