Intervention de Michelle Meunier

Réunion du 9 juin 2021 à 15h00
Protection sociale globale — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Michelle MeunierMichelle Meunier :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteure, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Rachid Temal a un objectif simple : rendre concrètes et palpables les aides auxquelles ont droit celles et ceux qui répondent aux critères retenus pour leur attribution, rendre concret le fruit de la solidarité nationale, par le versement d’allocations ou de prestations de sécurité sociale.

Loin d’être des mécanismes de simple assistanat, souvent décriés à la droite de cet hémicycle, il s’agit de dispositifs découlant de ce que certaines situations, d’origines diverses, ouvrent des droits.

Ces situations sont parfois liées à la condition du bénéficiaire : la perte d’autonomie dans les actes du quotidien provenant du vieillissement, du handicap, ou de la maladie ; parfois au faible montant de ses revenus, qui nécessite, de la part de la société, une redistribution, selon les cas, au titre de l’aide au logement, des allocations familiales, de l’incitation à la reprise d’activité ou de la souscription d’une complémentaire de santé.

La rapporteure Annie Le Houerou a énuméré ces diverses aides : APA, CMU, APL, PCH, RSA, etc. Leur description nous rappelle dans quel but nous avons su tisser des mécanismes de protection mutuelle, combien les conquêtes de notre histoire sociale sont précieuses et combien leurs spécificités permettent d’approcher un sur-mesure qui ne laisse personne au bord du chemin de la concorde sociale.

Pourtant, nous savons que tout le monde ne parvient pas à s’en sortir, et, en même temps, nous mesurons que de nombreuses personnes qui pourraient être épaulées par la solidarité nationale, au travers de la redistribution de l’impôt, ou prises en charge par la sécurité sociale, grâce à la mutualisation des moyens de tous pour faire face aux besoins de chacun, ne le sont pas. Beaucoup n’ont pas accès à ces aides, faute de faire instruire leurs droits.

Ce triste phénomène porte le nom de non-recours aux droits. Cela revient à avoir droit en théorie, mais à ne rien percevoir en pratique, faute d’avoir su, faute d’avoir pu, le demander. Ce n’est pas anecdotique : cela concerne un cas sur dix pour les aides au logement, un sur trois pour la CMU complémentaire, deux sur trois pour l’aide à la complémentaire santé.

La solution que nous proposons, par son automaticité, entend répondre à une partie du problème du non-recours, l’instruction insuffisante des dossiers au regard des informations dont on dispose.

Jusqu’alors, j’ai bien l’impression que nous partageons tous cette vision, si je me réfère à nos débats en commission.

Pourtant, pour nos collègues majoritaires au Sénat, l’urgence à agir semble relative : la solution proposée ne serait pas idéale, telle aide serait oubliée, tel organisme de sécurité sociale décrié, telle charge pèserait injustement sur les collectivités. Pour d’autres, une instruction automatique, donc la perception d’un cumul d’aides, éloignerait de la valeur travail.

Certains d’entre eux se targuent de veiller à l’équilibre des comptes sociaux, d’autres préfèrent conditionner toute aide à un accompagnement, terme parfois commode pour ne pas dire « contrepartie », voire « bénévolat ».

Entendons-nous bien : nous, socialistes, ne faisons pas de cette automaticité l’alpha et l’oméga de notre approche sociale. En premier lieu, nous dénonçons les réformes qui ne visent qu’à diminuer le montant des prestations. Le gouvernement actuel en a fait sa spécialité : baisse des APL en début de mandat, contemporanéité des aides au logement ensuite, qui conduit à des économies sur le dos des plus précaires, notamment des jeunes actifs. Nous avions mis en garde ; le premier bilan nous donne – hélas ! – raison.

Nous croyons à l’approche humaine, nous militons pour développer les moyens et les ressources permettant d’embaucher des professionnels dans les services sociaux, des conseillers en économie sociale, au plus près de toutes les formes de familles, de toutes les formes de précarité, en maraude dans nos rues, en veille dans les établissements scolaires ou à la sortie d’une hospitalisation.

Mettre en place cette instruction automatique, c’est justement libérer du temps pour ces personnes qui accompagnent, afin qu’elles puissent se consacrer à l’effectivité des droits des plus précaires et un peu moins à leurs papiers.

Enfin, nous sommes convaincus que la mise en place d’un tel dispositif ne doit pas nous empêcher d’interroger en permanence les périmètres et les pertinences de nos politiques sociales. Nous ne souhaitons ni figer le paysage de l’aide sociale ni nous dispenser de poursuivre les recherches en sciences sociales sur les raisons qui conduisent au non-recours intentionnel.

L’Observatoire des non-recours aux droits et services, l’Odenore, assure cette mission avec utilité et justesse. Il nous apprend que, pour certains bénéficiaires potentiels, devoir faire la démarche est un acte dégradant en lui-même, une posture stigmatisante à laquelle ils se refusent. Pour cette raison, pour le respect de ces personnes, faisons en sorte que le terme « fraternité », qui honore notre République, ne rime pas avec « indignité ».

Les collectivités locales ont bien progressé dans ce domaine ; Philippe Warin, fondateur de l’Odenore, le rappelle : « Les élus ont compris que ne pas lutter contre le non-recours revenait à s’exposer, pour les années à venir, à des dépenses supplémentaires. ». Pour cette raison seulement, cela vaut la peine d’adopter ce texte !

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