Intervention de Jacques Fernique

Réunion du 8 juin 2021 à 14h30
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 24 et 25 juin 2021

Photo de Jacques FerniqueJacques Fernique :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, peut-on se laisser entraîner par la petite musique française dans la belle symphonie européenne du monde d’après qui commence ? Si oui, ce serait fait : l’Europe aurait carrément changé de logiciel !

L’Europe de la jungle concurrentielle, des contraintes du pacte de stabilité et de croissance, celle de l’obsession austéritaire, c’était avant ! Cap à présent sur le pacte Vert et la neutralité carbone, sur l’Europe sociale pour concrétiser la tenue des objectifs de Porto, sur les investissements dans les transitions d’avenir, avec l’élan de la relance, les promesses des ressources propres et de l’ajustement carbone aux frontières ! Cap sur la justice fiscale, avec le dispositif européen imposant la transparence aux multinationales et, surtout, avec l’avancée historique que constituerait la fixation, par le G7, d’un taux minimal d’imposition des sociétés au plan mondial à 15 % !

Monsieur le secrétaire d’État, comme on aimerait que se déroule aussi bien ce beau tapis vert de l’avenir européen et comme on voudrait que notre gouvernement joue véritablement un rôle moteur pour toutes ces belles avancées. Comme vous l’aurez compris, nous n’en sommes pas tout à fait convaincus.

Je concentrerai mon propos sur les deux enjeux que constituent la question fiscale et la question climatique en lien avec le pacte Vert.

Le tour des parlements nationaux de la décision sur les ressources propres – cela a été dit – a enfin été bouclé, débloquant ainsi la relance. Ces ressources propres doivent maintenant être mises en place progressivement. Mais avance-t-on vraiment au rythme programmé ? Déjà, la proposition législative qui devait être présentée en juin serait repoussée.

La taxation des entreprises a certes été spectaculairement relancée par le Président américain, qui a donné l’impulsion qu’on attendait – comme d’ailleurs il l’avait fait, à sa manière, sur les vaccins. Quelle leçon pour notre Europe, trop souvent poussive ! Le Président Biden avait d’ailleurs proposé 21 % de taxation au minimum. Qui a freiné, qui a réduit cette ambition, qui a proposé 12, 5 %, pour finalement arriver à 15 % ? Non, notre pays ne passe pas pour moteur face à cette opportunité au niveau mondial de s’attaquer au règne du moins-disant fiscal ! D’un côté, Bruno Le Maire déclare que « l’Europe ne peut pas accepter des modèles économiques fondés sur le dumping fiscal », mais, de l’autre, il pose des actes qui sapent un peu l’ambition d’agir au bon niveau.

S’agissant de l’ajustement carbone aux frontières et de la taxe sur les transactions financières, la contribution française sera-t-elle du même ordre, avec un tel écart entre les discours et les actes ? L’ajustement carbone aux frontières n’est-il pas en passe d’être fragilisé, dénaturé, si la ligne française de maintien des quotas gratuits à nos industries les plus polluantes l’emporte ?

La future directive en faveur d’un reporting public et obligatoire des multinationales s’avérerait extrêmement efficace, puisqu’elle permettrait de vérifier que les impôts sont bien payés là où ils doivent l’être ; elle permettrait d’identifier les lacunes du système, de disposer des données pour agir afin de garantir la justice fiscale et de mettre fin à la concurrence déloyale fondée sur l’abus du système.

Nous ne voulons pas que soit réduite cette ambition. C’est pourquoi, comme je l’ai déjà indiqué, nous n’acceptons pas le principe de la clause de sauvegarde portée par le Gouvernement. Permettre aux multinationales de garder secrètes pendant cinq ou six ans des informations comptables basiques sous prétexte d’un possible préjudice à leur position commerciale affaiblirait considérablement l’exigence de transparence. Nous attendons des dirigeants européens qu’ils assurent un dispositif robuste pour s’attaquer avec sérieux au fléau de l’évasion fiscale.

Sur le pacte Vert et l’enjeu climatique, nous attendons le paquet législatif européen et le détail du partage de l’effort pour concrétiser la trajectoire d’une baisse de 55 % des émissions pour 2030 et la neutralité carbone d’ici à trente ans. Ce sera la contribution européenne au rendez-vous de Glasgow. Elle crédibilisera l’accord de Paris, de façon à peser, pour entraîner, si possible dans une même dynamique, les autres grands destructeurs du climat.

Où en est le pays garant des accords de Paris ? Tient-il pleinement son rôle leader exemplaire ? Le paquet législatif européen devra être au niveau, mais notre propre loi Climat ne peut être autant en deçà. Nos efforts nationaux de transition doivent être inscrits concrètement dans l’objectif européen de baisse de 55 %. Notre Sénat va, je le souhaite, afficher cette exigence. Il est nécessaire que notre gouvernement, par son action européenne sur l’enjeu climatique comme sur les défis fiscaux, se reprenne.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion