Intervention de André Gattolin

Réunion du 8 juin 2021 à 14h30
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 24 et 25 juin 2021

Photo de André GattolinAndré Gattolin :

Angela Merkel, qui quittera prochainement ses fonctions, est d’ailleurs le seul dirigeant européen, depuis le grand élargissement de 2004, à avoir présidé par deux fois cette instance. Seul M. Viktor Orban, s’il était réélu une nouvelle fois en 2022, pourrait espérer égaler cet exploit. Brrr… Entre nous, je ne suis pas sûr qu’il s’agisse là d’une perspective très réjouissante pour l’avenir de l’Europe.

Au-delà des enjeux de politique interne immanquablement associés à chaque présidence tournante, ceux de nature proprement européenne sont de loin les plus importants, car ils portent ni plus ni moins sur la capacité de notre Union à répondre aux défis auxquels nous sommes collectivement confrontés. Or ces défis partagés – vous le savez, monsieur le secrétaire d’État – ne sont ni minces ni en nombre réduit. Quand on considère le temps que prennent les négociations pour trouver des accords à vingt-sept et le temps législatif nécessaire à la mise en œuvre des décisions prises, les six petits mois d’une présidence paraissent à la fois des plus succincts et d’une intensité presque angoissante. Aussi, le succès d’une présidence de ce type, outre son devoir de réagir avec dextérité à une éventuelle crise imprévue, repose sur sa préparation en amont, sur sa capacité à faire aboutir des initiatives engagées par les présidences antérieures et, enfin, sur sa faculté à proposer et à articuler des réponses nouvelles à des questions d’ampleur jusque-là peu ou insuffisamment traitées à l’échelon européen.

Pour en venir, après tous ces prolégomènes, à l’ordre du jour proprement dit du prochain Conseil européen, je dirai que les sujets mis en discussion illustrent, pour une fois, assez bien plusieurs des enjeux qui comptent parmi les plus structurants de l’Union aujourd’hui. Évidemment, on y parlera covid-19, notamment sous l’angle des campagnes de vaccination, de la question des nouveaux variants et du rétablissement de la libre circulation au sein de l’UE. La relance économique et l’état d’avancement du plan européen seront également à l’ordre du jour.

Les deux sujets – pandémie et relance de l’économie – sont assez étroitement liés. Sans qu’on puisse encore présager aujourd’hui une issue heureuse à très court terme, qui se traduirait par une pandémie durablement jugulée et par une reprise forte des économies européennes, ces dernières semaines ont tout de même apporté un lot appréciable de bonnes nouvelles.

Sous l’effet notamment de l’amplification des campagnes nationales de vaccination, la pandémie semble enfin régresser assez significativement dans toute l’Europe. L’adoption du pass sanitaire européen devrait rapidement permettre une large réouverture des frontières intraeuropéennes, facilitant notamment la reprise de l’industrie du tourisme, déterminante pour l’économie globale de nombreux États membres.

La ratification, au cours des deux dernières semaines, par des États membres qui ne l’avaient pas encore fait, du plan de relance européen ouvre enfin la voie à sa mise en œuvre officielle. Plusieurs pays, dont le nôtre, connaissent déjà un frémissement qui devrait s’amplifier au cours du second semestre de cette année.

À ces avancées indiscutables de l’Union, j’ajouterai volontiers la décision historique, prise la semaine passée par le G7, d’établir enfin une fiscalité minimale à l’encontre des grandes multinationales, ainsi qu’une meilleure répartition de la valeur entre les territoires qui sont à l’origine de la création de celle-ci. La mise en œuvre de cette décision reste encore à discuter, mais elle constituerait une réponse importante à la question du remboursement de la dette publique souscrite pour faire face à cette crise sans précédent depuis quatre-vingts ans.

Si l’Union et ses États membres ont à présent quelques bonnes raisons de renouer avec l’optimisme, il n’en demeure pas moins que des incertitudes continuent de peser et que certains points d’ombre pourraient entacher une très attendue sortie de crise.

Concernant le plan de relance européen et les plans nationaux qui lui sont adjoints, bien que d’une envergure sans précédent, ceux-ci ont été conçus au second semestre de 2020, à un moment où l’on pensait voir la pandémie refluer et la reprise très vite s’engager. Les prévisions de croissance de la Commission à l’époque n’envisageaient-elles pas un rebond de 6 % à 7 % de la croissance en 2021 ?

Avec les vagues successives de covid-19 qui se sont développées depuis et les incertitudes que font peser les nouveaux variants, pensez-vous, monsieur le secrétaire d’État, que les plans de relance conçus l’an passé sont encore à la hauteur des enjeux ? Devons-nous dès à présent envisager la préparation d’un second plan, et comment pourrions-nous le financer ? Les réticences déjà exprimées l’an passé par certains États ne risquent-elles pas de faire échouer, cette fois-ci, une telle initiative ?

Les migrations sont également à l’ordre du jour de ce Conseil, ce qui m’amène à faire un lien avec le point concernant la pandémie de covid-19. La vaccination constitue un enjeu colossal pour les pays en développement, particulièrement pour l’Afrique. Si nous échouons à nous montrer à la hauteur des besoins de nos partenaires africains, ne risquons-nous pas de nous trouver face à une vague renforcée de migration à destination de notre continent ?

Tout le monde s’accorde à dire aujourd’hui que les politiques de régulation des migrations de l’Union ne sont plus adaptées aux enjeux actuels et que le règlement Dublin II est une source de tensions dangereuses entre les États membres. Monsieur le secrétaire d’État, pensez-vous que nous serons en mesure de nous accorder sur une réforme de l’espace Schengen avant que l’Union européenne ne soit frappée par une nouvelle crise migratoire d’ampleur ?

Enfin – et ce n’est pas la moindre des ombres qui pèsent sur notre continent –, l’Union est aujourd’hui confrontée à quelques voisins au comportement des plus agressifs et inquiétants : Russie, Turquie, Biélorussie. À cette liste, on pourrait aisément ajouter la Chine, qui se comporte chaque jour davantage en rivale systémique plutôt qu’en partenaire de confiance.

Pour le coup, il faut saluer le fait que l’ordre du jour du prochain Conseil européen ne soit cette fois-ci ni à rebours ni hors sol. Il devrait être l’occasion d’un passage en revue approfondi de nos relations avec la Fédération de Russie ; c’est une bonne chose. On le sait, cet important voisin procédera en septembre prochain à des élections législatives dont on peut malheureusement penser qu’elles ne seront ni libres ni équitables. On sait aussi que nos approches entre États membres à son endroit sont loin de converger.

Là encore, monsieur le secrétaire d’État, pensez-vous que nous serons en mesure d’accorder nos violons lors de ce Conseil européen ou faudra-t-il attendre l’issue des élections fédérales en Allemagne, et les longues négociations de construction d’une coalition gouvernementale qui suivront, pour harmoniser nos positions ?

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