Intervention de Cyril Pellevat

Réunion du 8 juin 2021 à 14h30
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 24 et 25 juin 2021

Photo de Cyril PellevatCyril Pellevat :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, le Conseil européen se réunira les 24 et 25 juin prochain et examinera la question de la liberté de circulation, notamment la réforme de l’espace Schengen ou encore le pacte sur la migration et l’asile, sujet que j’aborderai dans un second temps. Bien évidemment, la question des déplacements au sein de l’Union européenne en cette période de crise sanitaire sera également évoquée. C’est sur ce thème que je souhaite ouvrir mon propos, même si beaucoup d’éléments ont déjà été rappelés.

Si l’épidémie commence à perdre de l’ampleur en Europe, notamment grâce aux campagnes de vaccination, il faut rester vigilant et prendre certaines mesures pour limiter les risques de reprise. C’est l’une des raisons pour lesquelles il a été décidé de mettre en place un certificat dit « vert ». Celui-ci permettra aux citoyens européens de prouver, soit qu’ils sont vaccinés, soit qu’un test a montré qu’ils étaient négatifs à la covid, soit qu’ils se sont remis de la maladie et possèdent donc des anticorps. Les ressortissants européens disposant de ce certificat pourront alors circuler dans l’Union européenne, mais aussi en Islande, au Liechtenstein et en Norvège, ainsi qu’en Suisse si les négociations aboutissent.

Il faut saluer le fait que la vaccination ne sera pas obligatoire pour circuler. En offrant la possibilité de voyager également en présence d’un test ou d’un certificat de récupération, l’Union européenne laisse plusieurs options à ses citoyens. Il me semble qu’un arbitrage équilibré a été trouvé entre libertés fondamentales et sécurité sanitaire.

Plusieurs garanties ont en outre été mises en place, telles que la limitation aux seules données médicales permettant d’attester de l’absence de contamination à la covid-19, la protection des données personnelles ou encore la limitation de la durée durant laquelle le certificat pourra être exigé. Cependant, il reste à mon sens quelques points de vigilance, ainsi que des écueils à éviter si nous souhaitons préserver au maximum les libertés de nos concitoyens.

Ainsi, la question de la gratuité des tests se pose. Si les ressortissants français disposent de tests gratuits lorsqu’ils les effectuent en France, tous les États membres n’ont pas fait le même choix. Il existe par exemple des pays où les tests sont gratuits uniquement en cas de symptômes de la covid, mais pas lorsque le test est effectué en vue d’un déplacement. Pourtant, en l’absence de généralisation de la gratuité des tests dans l’ensemble de l’Union européenne, nous prenons le risque de favoriser les personnes ayant les moyens de faire des tests, tandis que les plus défavorisés ne pourront en réalité pas jouir pleinement de leur liberté de circulation, puisqu’ils n’auront pas les fonds nécessaires pour se faire tester. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous indiquer si la France soutiendra la gratuité des tests dans l’ensemble des États membres ?

Je souhaite aborder, en second point, la question des régions transfrontalières. Comme vous le savez certainement, le sujet me tient à cœur en raison de la proximité de mon département, la Haute-Savoie, avec la Suisse et l’Italie.

Il existe à ce jour une règle dite « des bassins de vie frontaliers », qui a été une réussite. Celle-ci prévoit que, pour les personnes résidant à moins de trente kilomètres d’une frontière, la présentation d’un justificatif n’est pas nécessaire pour se rendre dans le pays frontalier. Il était en effet obligatoire non seulement de permettre aux travailleurs frontaliers de se rendre à leur travail, mais également de permettre aux habitants de ces régions de conserver leurs habitudes de vie, en les laissant aller voir leurs proches dans l’autre pays ou encore continuer à effectuer leurs achats dans l’État de leur choix.

Cette règle était nécessaire pour préserver la liberté des habitants de zones frontalières. Je tiens à souligner l’importance de son maintien a minima. Je pense même qu’elle devrait être assouplie. Je vous ai d’ailleurs envoyé un courrier à ce sujet, monsieur le secrétaire d’État, sans réponse à ce jour.

De fait, si la limite de trente kilomètres était justifiée au plus fort de la pandémie, elle semble désormais trop limitative. Il paraît en effet injuste que les personnes situées à seulement quelques kilomètres au-delà de cette limite ne puissent pas jouir des mêmes droits que les personnes se trouvant dans le même bassin de vie. À titre d’exemple, sur les deux cent soixante-dix-huit communes du département de la Haute-Savoie, il n’en existe qu’une seule dont aucun des habitants n’est frontalier. Plusieurs d’entre elles se situent à plus de trente kilomètres d’une frontière, et même les habitants qui ne travaillent pas en Suisse s’y rendent de manière assez régulière pour diverses raisons.

Puisque la situation sanitaire est désormais plus stable, il serait opportun d’étendre cette dérogation à l’ensemble des habitants d’un département ayant une frontière avec un autre État. La Suisse semble y être favorable.

Les restrictions de liberté que cette règle instaure paraissent aujourd’hui disproportionnées. Imposer à ces habitants de présenter un certificat vert chaque fois qu’ils souhaitent se rendre dans un État voisin est trop contraignant et porte une atteinte trop importante à leur liberté de circulation.

L’été dernier, une exonération de justificatif avait été mise en place pour les habitants des départements frontaliers : aucune difficulté particulière n’avait été constatée. Rien ne semble donc s’opposer à ce que cette règle « du bassin de vie » soit abandonnée au profit d’une exonération pour l’ensemble des résidents d’un département frontalier.

Monsieur le secrétaire d’État, lors du Conseil européen, le Gouvernement plaidera-t-il en faveur d’un assouplissement des règles de circulation pour les habitants des départements frontaliers ?

Dans un autre registre, je voudrais aborder la question de la réforme de l’espace Schengen, ainsi que celle du pacte sur la migration et l’asile.

Si l’espace Schengen est l’une des principales réalisations de l’Union européenne et une avancée incontestable pour le marché intérieur, nous en connaissons tous les lacunes. Les menaces terroristes ayant émergé ces dernières années, la crise migratoire de 2015 ou encore la pandémie ont mis en lumière les défaillances de ce système. Sans bien entendu revenir dessus, il est absolument nécessaire de prévoir des ajustements pour les pallier.

La situation est bloquée depuis l’échec de la réforme du code Schengen de 2017. Il est urgent que la Commission apprenne des erreurs qu’elle a commises avec ce premier projet, et ce tout particulièrement si l’on veut une application plus flexible des règles conduisant au rétablissement des contrôles aux frontières intérieures. Sinon, il est certain que la réforme sera un nouvel échec.

L’interopérabilité, qui avait été promise pour 2019, mais dont nous n’avons toujours pas vu la couleur, doit également être mise en œuvre le plus rapidement possible.

Enfin, la coopération policière et le renforcement de Frontex et d’Europol seront primordiaux si nous souhaitons faire preuve d’une réelle efficacité au niveau des contrôles aux frontières extérieures et, ainsi, éviter un rétablissement trop fréquent des contrôles aux frontières intérieures, dont les effets négatifs pèsent sur le fonctionnement de l’espace Schengen.

Concernant le pacte sur la migration et l’asile, il est là encore nécessaire de tirer les conclusions de l’échec du paquet Asile de 2016.

La gestion de la situation migratoire reste insuffisante. Seule une réforme en profondeur permettra d’y remédier. Les discussions restent compliquées à ce jour, alors que la question devient de plus en plus urgente, comme en témoigne l’arrivée de milliers de migrants à Ceuta il y a quelques semaines. Bien que l’on ne puisse que saluer la volonté du Portugal de trouver une solution d’ici à la fin de sa présidence du Conseil de l’Union européenne, je suis malheureusement pessimiste quant à la possibilité d’obtenir un accord rapide, en raison des dissensions internes que nous ne connaissons malheureusement que trop bien.

La Slovénie prendra prochainement la présidence du Conseil, mais il est une fois de plus peu probable qu’un accord soit trouvé durant ce mandat. Les espoirs reposent donc sur la présidence française qui débutera en 2022 : il est absolument nécessaire que le Gouvernement anticipe et prenne le leadership à ce sujet.

Pourtant, j’ai cru comprendre que votre ministère ne pensait pas parvenir à un accord d’ici à 2022 et pencherait davantage en faveur d’une solution externe, via des partenariats avec des pays tiers. Bien sûr, aucune piste ne doit être laissée de côté. Loin de moi l’idée de fustiger ces partenariats, mais nous avons constaté les limites de cette politique lors des récentes actions de la Turquie et du Maroc. C’est pourquoi je souhaite insister sur l’absolue nécessité de ne pas relâcher nos efforts pour parvenir à un accord en interne.

Aussi, monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous assurer que la voie qui mène à un accord interne ne sera pas abandonnée sous la présidence de la France ? Par ailleurs, quelle sera la position du Gouvernement en ce qui concerne la réforme de l’espace Schengen et, plus précisément, les règles entraînant le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures ? Plaiderez-vous pour l’accélération de la mise en œuvre de la réforme ?

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