Intervention de Christine Lavarde

Réunion du 8 juin 2021 à 14h30
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 24 et 25 juin 2021

Photo de Christine LavardeChristine Lavarde :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je m’attarderai plus longuement sur le premier point de mon intervention, la lutte contre la covid-19 et la libre circulation des personnes au sein de l’Union européenne, que sur les suivants. En effet, avec deux de mes collègues, René-Paul Savary et Véronique Guillotin, nous avons rédigé un rapport au nom de la délégation sénatoriale à la prospective, qui montre tout l’intérêt des outils numériques pour tenter de tempérer les effets d’une crise comme celle que nous vivons.

À l’occasion du Conseil européen, monsieur le secrétaire d’État, vous allez très certainement discuter du passeport sanitaire, à ne pas confondre avec le pass sanitaire qui sera nécessaire en France pour accéder à certains lieux. Certes, moins « high-tech » que les algorithmes de contact tracing, mais sans doute beaucoup plus importants pour la sortie de crise, ces deux dispositifs numériques reprennent tout simplement le principe ancien du carnet de vaccination au format papier, en y ajoutant d’autres critères comme les tests et la preuve d’infection, et en garantissant un haut niveau de sécurité et de fiabilité. Il s’agit nécessairement d’instruments clés en vue de la réouverture des frontières.

Le 17 mars 2021, la Commission européenne a présenté son projet de « certificat vert numérique », dont l’objectif est de faciliter la libre circulation, en toute sécurité, à l’intérieur des frontières de l’Union européenne. Le projet présenté par la Commission européenne a été adopté par le Parlement européen le 29 avril. Deux jours plus tôt, la France, qui y était initialement opposée, devenait le premier État membre à présenter par anticipation un dispositif correspondant partiellement – je précise bien : « partiellement » ; j’y reviendrai. Si les négociations ne sont pas tout à fait terminées à ce jour, le certificat vert devrait en principe permettre aux Européens de voyager au sein de l’Union européenne à compter du 1er juillet 2021.

On a constaté des évolutions sensibles au sein des États membres. À l’instar de la France, l’Allemagne ou les Pays-Bas avaient eux aussi exprimé de fortes réserves sur un tel dispositif, en insistant notamment sur les risques que celui-ci ferait peser en termes de droits et de libertés. À l’inverse, les pays très dépendants du tourisme, comme la Grèce, l’Italie, l’Espagne et le Portugal, ont très tôt appelé à la mise en place d’une solution de ce type au niveau européen. Ils l’ont parfois même déjà adoptée à l’échelon national. La Grèce a par exemple signé un accord bilatéral avec Israël en ce sens.

Le certificat vert européen a vocation à être intégré dans les différentes applications nationales : d’un point de vue technique, on ne développe donc pas d’application européenne. En revanche, le projet prévoit la mise en place d’un portail européen pour assurer la compatibilité des pass nationaux entre eux, afin que les autorités d’un État membre puissent vérifier l’authenticité du document présenté par le ressortissant d’un autre État.

Le développement de cette infrastructure a été confié à deux entreprises allemandes, qui étaient déjà à l’origine de l’application allemande Corona–Warn–App – l’équivalent de notre application TousAntiCovid –, ainsi que du portail permettant l’interopérabilité de toutes les applications de contact tracing, à l’exception de la nôtre, TousAntiCovid.

Monsieur le secrétaire d’État, je voudrais revenir sur ce point et vous demander si la France est prête à adopter une solution technologique que je qualifierais d’« européenne ». En effet, le choix français d’un protocole souverain – pour les plus initiés, il s’agit du protocole Robert – interdit toute interopérabilité avec les applications d’un autre pays. Ainsi, toutes les applications européennes sont compatibles entre elles, sauf la nôtre : une personne voyageant dans un autre pays européen que le sien n’aura pas à télécharger de nouvelle application, sauf si elle vient en France ! Elle devra alors télécharger l’application TousAntiCovid. Pendant la crise, permettez-moi de remarquer que cette spécificité française n’a pas aidé à l’identification des chaînes de contamination.

Que les infrastructures informatiques des différents systèmes de santé ne soient pas compatibles entre elles, c’est un fait contre lequel on ne peut pas grand-chose à court terme. En revanche, il me semble que les smartphones sont les mêmes partout au sein de l’Union européenne : refuser d’en tirer profit est un choix difficilement justifiable.

Par ailleurs, la Commission européenne indique que le certificat vert constitue une mesure temporaire, qui sera suspendue dès que l’OMS aura déclaré la fin de l’urgence sanitaire internationale. Je me demande pourquoi, puisqu’il a été mis en place sur le plan technique, on ne maintient pas a minima ce système en état de veille : il serait ainsi prêt à être réactivé facilement en cas de nouvelle menace épidémique.

La flexibilité et la fiabilité du dispositif en font un candidat naturel pour remplacer les multiples dispositifs existants, tels que le carnet de vaccination ou encore le certificat jaune mis en place sous l’égide de l’OMS pour la fièvre jaune. Il serait ainsi possible d’attester très facilement du respect des milliers de critères sanitaires fixés par tous les pays du monde et d’intégrer l’ensemble aux systèmes d’information des compagnies aériennes et des gestionnaires d’infrastructures, ce qui contribuerait ainsi à fluidifier le parcours des voyageurs.

La politique européenne en la matière dépend également des mesures de réciprocité appliquées par certains pays. Or il est probable que d’autres pays feront le choix de se doter d’un dispositif pérenne, à commencer par la Chine, qui l’a annoncé très tôt, ou les pays dont la situation sanitaire le requiert.

Bien entendu, si le passeport sanitaire devait à terme devenir aussi nécessaire pour voyager qu’un titre d’identité, il faudrait alors répondre à de nombreuses questions, notamment celles qui concernent la protection des droits et des libertés des voyageurs.

Voilà, monsieur le secrétaire d’État, des réflexions qui pourraient être menées avec nos partenaires européens.

Je passerai plus rapidement sur le sujet de la relance économique, car un certain nombre de points ont déjà été soulevés. Je voudrais simplement formuler deux remarques à propos du financement du plan Next Generation EU.

S’agissant de la future recette tirée du système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre de l’Union européenne, j’ai rappelé en commission des finances, lors de la présentation de mon rapport pour avis sur le projet de loi Climat et résilience, que près de 44 % des quotas sont aujourd’hui attribués gratuitement au secteur aérien. Il faudrait que nous et nos partenaires européens conduisions une réflexion d’ensemble. La délivrance de ces quotas à titre gratuit pourrait en effet permettre d’atteindre l’objectif que nous nous fixons avec l’article 35 du projet de loi Climat, à savoir de faire en sorte que les entreprises du transport aérien s’acquittent d’un prix du carbone suffisant en privilégiant un dispositif européen.

Ma seconde remarque porte sur la révision à la baisse de certains budgets pour financer la relance, tout particulièrement le secteur clé de la recherche. Le programme Horizon Europe, dont le montant initial devait atteindre 150 milliards d’euros en 2017, s’élève aujourd’hui à 95 milliards d’euros après plusieurs rabotages successifs. Certains observateurs soulignent le décalage entre les plans de relance européen et états-unien. L’Europe donne parfois l’impression d’avoir du retard, notamment dans certains domaines stratégiques comme celui des semi-conducteurs, dans lequel les États-Unis investissent 50 milliards d’euros.

Le Président de la République, Emmanuel Macron, et le président du Conseil italien, Mario Draghi, ont tous deux appelé au lancement d’un plan d’investissement à la suite du plan de relance, afin de permettre à l’Europe d’atteindre ses objectifs, notamment celui de la neutralité carbone en 2050. Le ministre de l’économie, des finances et de la relance, Bruno Le Maire, a tenu des propos analogues devant la commission des finances, citant pêle-mêle plusieurs secteurs dans lesquels la France et l’Europe devraient investir.

Je partage cette vision, et j’ai eu l’occasion de le dire la semaine dernière à l’occasion du débat sur le pacte Vert européen. Seule l’innovation permettra de réduire nos émissions de gaz à effet de serre.

Pour conclure, je souhaite évoquer un dernier sujet en tant que président du groupe interparlementaire d’amitié France-Liban. Je voudrais savoir si le prochain Conseil européen sera l’occasion d’aborder la situation du Liban. En effet, la France a décidé, pour l’instant seule, de mettre en place des sanctions vis-à-vis des personnalités politiques responsables du blocage politique actuel. Ce sujet a été évoqué à plusieurs reprises, notamment au sein du groupe Maghreb-Machrek du Conseil puis lors du conseil Affaires étrangères du 10 mai dernier. Pouvez-vous nous indiquer si ce thème sera à l’ordre du jour de la réunion ?

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