Intervention de Laure Darcos

Réunion du 8 juin 2021 à 14h30
Amélioration de l'économie du livre — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Laure DarcosLaure Darcos :

Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteure – chère Céline –, madame la rapporteure pour avis – chère Martine –, mes chers collègues, « le livre de pierre, si solide et si durable, allait faire place au livre de papier, plus solide et plus durable encore. […] Ceci tuera cela ». Chacun connaît la prophétie de Victor Hugo, qui voit le livre comme l’élément premier et constitutif de la civilisation moderne, comme sa pierre angulaire. Y attenter, c’est mettre un pied dans le vide ou tout déconstruire. Tel est l’enjeu !

Quarante ans après le vote de la loi Lang, qui institua un principe d’équité, je vous propose tout simplement, sur le même principe, de continuer à sauvegarder ce fondement vital de toute culture. Ce propos ne relève pas d’une posture de circonstance. Mon engagement en faveur du livre ne date pas d’aujourd’hui. C’est un secteur d’activité dans lequel j’ai évolué durant bien des années et dont je connais les lignes de force et les fragilités. C’est aussi un univers dont j’apprécie les valeurs et les acteurs, qui œuvrent sans relâche et avec beaucoup d’intelligence pour défendre trois causes essentielles à mes yeux : la connaissance, la création et la diversité des modes d’expression culturelle.

Cette proposition de loi est le fruit de très nombreuses heures de consultations, de débats et de rencontres avec les acteurs de la chaîne du livre et de l’édition musicale : auteurs, éditeurs, détaillants et responsables de syndicats professionnels. Je les remercie de leur disponibilité et de leur engagement à mes côtés pour bâtir un texte équilibré et – je l’espère – pertinent à l’heure de grands bouleversements sanitaires, économiques et technologiques.

Je tiens également à remercier le président du Sénat, Gérard Larcher, le président de la commission de la culture, Laurent Lafon, ainsi que le président de mon groupe politique, Bruno Retailleau : ils ont accepté, non seulement de saisir le Conseil d’État afin de solliciter son expertise juridique, mais également, une fois l’avis de cette instance connu, d’inscrire très rapidement cette proposition de loi à l’ordre du jour de notre assemblée.

Ma gratitude va aussi à mes amies et collègues la rapporteure au fond, Céline Boulay-Espéronnier, et la rapporteure pour avis, Martine Berthet, qui m’ont rejointe dans ce monde du livre et dans l’intérêt passionné qu’il suscite forcément.

Enfin, j’adresse mes chaleureux remerciements à Mme la ministre de la culture, à son cabinet et aux responsables du service du livre et de la lecture. Nous nous connaissons de longue date. Ils m’ont constamment encouragée et accompagnée.

En préambule, je rappellerai que la dernière loi consacrée au livre date de 2014. Le législateur avait alors jugé nécessaire d’intervenir pour encadrer les conditions de la vente à distance des livres. Il avait notamment posé l’interdiction de la décote de 5 % sur le prix fixé par l’éditeur lorsque le livre est expédié à l’acheteur ; sept ans après cette loi de régulation, la proposition de loi que je soumets à votre appréciation est marquée du sceau de la transparence, de la confiance et de la projection dans l’avenir.

La transparence des règles du jeu concurrentiel sur le marché du livre est indispensable. Pour vous en convaincre, je tiens à rappeler que le commerce de détail de livres neufs est caractérisé par une rentabilité médiocre, la plus faible des branches du commerce.

Le bénéfice annuel d’une librairie de taille moyenne employant trois salariés représente 1 % de son chiffre d’affaires, soit environ 5 000 euros. Beaucoup de librairies indépendantes peinent à atteindre l’équilibre et sont menacées de disparition. De nombreux facteurs exogènes pèsent sur leur rentabilité, notamment les loyers, particulièrement élevés dans les centres-villes. Faute de fonds propres suffisants, certains libraires renoncent à moderniser leur magasin ; près des deux tiers ne peuvent avoir recours à des sites de vente à distance et gagner ainsi en visibilité.

Agir pour plus de transparence comme je le propose, c’est en premier lieu mettre fin à une distorsion de concurrence contraire à l’esprit de la loi du 10 août 1981 : la quasi-gratuité des frais de livraison pratiquée par certaines plateformes de e-commerce. La mise en œuvre d’un tarif réglementé de livraison de livres à domicile, tenant compte de la réalité des tarifs des prestataires de services postaux, m’a d’emblée paru une solution d’équité pertinente.

Mes chers collègues, nous le savons tous, Amazon est un acteur important du marché du livre et pratique la livraison à 1 centime d’euro, quel que soit le montant du panier d’achat, obligeant ses concurrents à s’aligner sur ce tarif. Amazon est clairement déficitaire sur ce marché, mais n’en a cure, puisque l’optimisation fiscale qu’il pratique lui permet d’écraser toute concurrence.

Je regrette également que l’Autorité de la concurrence n’ait rien trouvé à redire à une telle anormalité, car cette distorsion de concurrence empêche bel et bien les libraires de développer une offre internet compétitive et de qualité, complémentaire de l’offre en magasin.

Lors des auditions, j’ai entendu l’argument selon lequel Amazon serait le défenseur de la ruralité et des plus modestes. Cette assertion ne convaincra personne à la lumière des chiffres dont nous disposons : si Amazon dessert effectivement les territoires ruraux, son marché principal se trouve dans les grandes agglomérations et auprès des catégories socioprofessionnelles favorisées, lesquelles sont parfaitement capables d’absorber une augmentation des tarifs de livraison.

Ce sont bien la préservation de la diversité culturelle, le maintien de l’accès de tous les citoyens à la culture et la vitalité de l’économie locale dans les centres-villes et les centres-bourgs qui sont ici en jeu.

Agir pour plus de transparence, c’est également garantir au consommateur un affichage du prix du livre cohérent et dépourvu de toute ambiguïté sur les sites de vente à distance de livres neufs et d’occasion. Trop souvent, l’acheteur doit faire face à une confusion, parfois volontairement entretenue, en matière de prix. Or – faut-il le rappeler ? – le prix du livre neuf est un prix unique, fixé par l’éditeur ou l’importateur, conformément aux dispositions de la loi Lang. Je propose une clarification en la matière.

Agir pour plus de transparence, enfin, c’est mieux encadrer la pratique des soldes de livres et empêcher le contournement de la loi par un éditeur qui, sans modifier le prix fixé par lui en tant qu’éditeur, voudrait procéder à des ventes directes à prix cassé comme détaillant.

Ma proposition de loi est également marquée du sceau de la confiance à l’égard des acteurs du livre et de l’édition musicale.

L’article 3 s’emploie à faire évoluer certaines règles applicables aux relations entre auteurs et éditeurs dans les domaines du livre et de la musique, avec l’objectif d’établir entre eux des relations à la fois loyales et équilibrées.

Parmi les mesures favorables aux auteurs dans le secteur du livre, je propose, d’une part, l’amélioration de l’information qui leur est due sur l’exploitation de leurs œuvres et le montant de leurs droits en cas de cessation d’activité d’une maison d’édition ; d’autre part, la reprise de ses droits par l’auteur lorsque la maison d’édition avec laquelle il est sous contrat a cessé son activité depuis plus de six mois ou lorsqu’une liquidation judiciaire a été prononcée.

Ma proposition de loi tire par ailleurs les conséquences du nouvel accord interprofessionnel signé le 29 juin 2017 entre le Conseil permanent des écrivains et le Syndicat national de l’édition. Cet accord porte à la fois sur la provision pour retours d’exemplaires invendus et sur la compensation des droits issus de l’exploitation de plusieurs livres, plus communément appelée compensation intertitres. Désormais, le contrat d’édition ne pourra prévoir la provision pour retours qu’à condition d’en déterminer le taux et l’assiette ou, à défaut, la méthode de calcul. La compensation intertitres est quant à elle exclue, sauf convention contraire conclue entre l’auteur et l’éditeur et distincte du contrat d’édition.

Ma proposition de loi ouvre enfin la possibilité, pour les auteurs et les organisations de défense des auteurs, de saisir le médiateur du livre en cas de litige portant sur l’application des lois du 10 août 1981 relative au prix du livre et du 26 mai 2011 relative au prix du livre numérique. Curieusement, la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation ne les avait pas mentionnés. L’élargissement de la saisine du médiateur du livre fait consensus et concourt au renforcement de la confiance entre auteurs et éditeurs.

Concernant les relations entre auteurs et éditeurs dans le secteur de l’édition musicale, le présent texte complète le code de la propriété intellectuelle afin de tirer toutes les conséquences de l’accord signé le 4 octobre 2017 par les organisations professionnelles représentatives des éditeurs de musique et des auteurs d’œuvres musicales. Cet accord, qui prend la forme d’un code des usages et des bonnes pratiques de l’édition d’œuvres musicales, clarifie les relations contractuelles entre ces parties.

En préambule, j’évoquais la nécessité de se projeter dans l’avenir. Se projeter dans l’avenir, c’est conforter la présence du livre au cœur même de nos communes et préserver sur l’ensemble du territoire un réseau dense de détaillants. Les 3 300 librairies indépendantes de France sont un joyau qu’il nous faut défendre et soutenir sans faillir contre la dictature de l’algorithme et l’uniformisation des contenus, inhérente au modèle économique d’une grande plateforme.

Regardons les choses en face : c’est la diversité culturelle qui est ici en jeu. Rien ne remplace le contact avec le libraire, qui, par ses conseils, joue un rôle d’éveil et éclaire le choix du lecteur. C’est pourquoi j’ai souhaité que nos collectivités territoriales aient la faculté d’accorder des subventions à leurs libraires, comme elles le font pour les petites salles de cinéma grâce à la loi dont notre collègue Jean-Pierre Sueur prit l’initiative.

Enfin, ma proposition de loi modernise les règles du dépôt légal numérique. Il s’agit de permettre aux grands opérateurs que sont la Bibliothèque nationale de France, le Centre national du cinéma et de l’image animée et l’Institut national de l’audiovisuel de poursuivre, avec toute l’efficacité voulue, les missions qui leur sont dévolues : la collecte et la conservation pour les générations futures du patrimoine documentaire de la France.

Lors de l’entrée en vigueur de la loi du 1er août 2006 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, les contenus numériques étaient très largement accessibles et leur collecte était dépourvue de dispositifs de cryptage. Cette gratuité n’est plus de mise aujourd’hui. De nombreux services et contenus sont devenus payants, à tel point que les organismes dépositaires rencontrent de plus en plus de difficultés pour en organiser eux-mêmes la collecte automatisée. Afin de pallier ces difficultés, je propose de créer, à la charge des déposants, une obligation de transmission des documents numériques non accessibles tout en leur laissant le choix de la procédure de dépôt.

Mes chers collègues, tels sont les enjeux auxquels tend à répondre ma proposition de loi et les objectifs d’équité qu’elle vise. J’espère que vous partagerez mon analyse et que vous pourrez vous associer à ma démarche en faveur du dynamisme culturel de nos territoires et du plus large accès possible de nos concitoyens à la culture. Sinon, je vous répondrai ce que disait Churchill à ceux qui tergiversaient face à l’investissement culturel ou qui ne voyaient là qu’un débat subalterne : « Alors, pourquoi nous battons-nous ? » Telle est la question que je vous pose aujourd’hui !

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