Intervention de Céline Boulay-Espéronnier

Réunion du 8 juin 2021 à 14h30
Amélioration de l'économie du livre — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Céline Boulay-EspéronnierCéline Boulay-Espéronnier :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission – cher Laurent Lafon –, mes chers collègues, Laure Darcos a mis dans sa proposition de loi visant à améliorer l’économie du livre et à renforcer l’équité entre ses acteurs l’enthousiasme et le talent que nous lui connaissons tous. En tant que rapporteure, j’ai moi-même pu mesurer, durant les auditions et tables rondes que j’ai menées, que ce texte était très attendu par tous les acteurs concernés. Il propose en effet la première réforme d’ampleur du monde de l’édition depuis 2014. Nous le savons bien à la commission de la culture, les auteurs, les éditeurs, les libraires, ceux qui font vivre au quotidien le livre, doivent être entendus et préservés comme partie intégrante de notre exception culturelle.

Avec la loi sur le prix unique de 1981, dont nous fêtons les quarante ans cette année, la France s’est dotée d’une législation protectrice, copiée depuis dans de nombreux pays, justifiée par le caractère très singulier du livre dans notre culture. En effet, nous sommes un pays littéraire. C’est d’ailleurs à quelques mètres de notre hémicycle, au détour d’une allée du Luxembourg, que Gérard de Nerval célébrait de sa prose la beauté d’une passante « vive et preste comme un oiseau ». Victor Hugo, qui a siégé ici même, a fait naître dans ce jardin l’amour entre Marius et Cosette dans Les Misérables, et William Faulkner y a imaginé la dernière scène de Sanctuaire.

En un mot, dans notre pays pétri de littérature, et plus encore sur ces travées, il est normal que l’écrit recueille toute l’attention des pouvoirs publics. Dès lors, le politique doit prendre ses responsabilités, car il est essentiel de protéger et de valoriser les acteurs qui font vivre l’écrit.

Avec sa réjouissante ironie, Guy Bedos disait : « Le seul prix qui intéresse vraiment un écrivain, c’est le prix du livre. » §Faut-il y voir un hommage à la loi sur le prix unique ? Peut-être… En tout cas, cette proposition de loi a le mérite de saisir la logique économique du secteur du livre, qui va de l’auteur au lecteur en passant par l’éditeur, le libraire et tant d’autres.

Demain, nous examinerons une proposition de loi de Sylvie Robert, très complémentaire, qui propose une réforme d’ampleur des bibliothèques : c’est ainsi tout le livre qui est valorisé.

Cette économie du livre, remarquons-le, est sans cesse menacée et constamment ressourcée.

Mes chers collègues, revenons quelques années en arrière. À l’arrivée de la télévision, combien de parents ont cru, désespérés, que leurs enfants ne liraient plus ? Il y a dix ans, le livre numérique ne devait-il pas tout emporter sur son passage ? Aujourd’hui, internet et les réseaux sociaux ne suscitent-ils pas une vive inquiétude, tant l’attrait des écrans est grand ? Ces derniers ont même pénétré nos vies. Pourtant, force est de constater qu’à chaque fois l’objet livre survit. Mieux, il se développe, insensible aux modes et au temps qui passe.

C’est à la lueur de ces constats que notre collègue Laure Darcos a déposé une proposition de loi dont l’ambition est d’adapter le monde du livre à notre époque. Son article 1er permet de restaurer une concurrence plus saine et loyale entre les libraires et les grandes plateformes de vente en ligne. Si la vente à distance permet la distribution de livres sur l’ensemble du territoire, pour certains difficiles à se procurer – on ne peut pas le nier –, avec une qualité de service appréciable, nous avons néanmoins cherché à préserver le choix dans le mode d’acquisition de l’ouvrage.

Autrement dit, il était important de réinstaurer un équilibre entre les différents acteurs de la vente à distance et, ce faisant, d’encourager nos concitoyens à aller plus fréquemment dans les librairies. Le journaliste François Busnel décrit très justement cette expérience : « Une librairie, c’est l’endroit où l’on pense trouver ce que l’on cherche et dont on ressort souvent avec des livres auxquels on n’avait jamais songé. » Là est la vraie diversité culturelle. Notre collègue Julien Bargeton notait d’ailleurs dans son rapport pour avis sur le dernier projet de loi de finances une division par trois du nombre de références vendues entre novembre 2019 et novembre 2020, conséquence de la fermeture des librairies pendant une partie de l’année.

Gardons bien à l’esprit que la librairie, c’est la liberté de flâner et de se laisser surprendre, alors que la vente en ligne, c’est la liberté de trouver précisément ce que l’on cherche et seulement cela. L’article 1er vise donc à pérenniser cette distinction, ce qui implique de protéger notre réseau de libraires indépendants, qui, eux, sont présents dans tous les territoires.

Participe également de cet effort l’article 2, qui ouvre aux communes et intercommunalités la possibilité d’aider financièrement les libraires.

L’article 3, pour sa part, procède à une rénovation du contrat d’édition. Il permet de conforter la confiance qui doit exister entre l’auteur et son éditeur, relation aussi nécessaire que complexe. On peut d’ailleurs se féliciter que l’article transpose dans la loi l’accord conclu entre les associations d’auteurs et d’éditeurs en 2017, ce qui signifie que le dialogue social se déroule sans trop d’encombres – tel n’a pas toujours été le cas.

Enfin, l’article 5 actualise et modernise le dépôt légal. Comme je le soulignais en introduction, il s’agit là aussi d’une manière d’adapter la collecte de notre mémoire, de toutes nos mémoires, au monde numérique. Si le champ de l’article dépasse le domaine de l’écrit, il n’en est pas moins intéressant, car il transpose finalement au numérique la politique de préservation instaurée en 1537 par François Ier.

Mes chers collègues, vous le constatez, ce texte ne manque ni de souffle ni d’ambition !

Avant de terminer, je tiens à souligner que j’ai pu bénéficier d’aides précieuses pour vous présenter aujourd’hui mon analyse sur cette proposition de loi.

Tout d’abord, je pense au Conseil d’État, qui, saisi par le président du Sénat, a remis un avis très positif. Je le remercie de la clarté de son propos et du respect qu’il a manifesté à cette occasion pour l’initiative parlementaire.

Ensuite, je pense aux services du ministère de la culture, dont je salue l’aide précieuse. Ils m’ont permis de bien appréhender la complexité de ce secteur et de mener, dans des délais très brefs, un travail passionnant que j’espère abouti.

Enfin, je remercie sincèrement notre collègue Martine Berthet, rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques. Si nos opinions ont parfois pu diverger, nous avons mené un travail d’écoute, nous avons eu des échanges passionnants, de grande qualité, et nous nous sommes rejointes sur l’essentiel, à savoir la nécessité de préserver un cadre équilibré et spécifique pour le commerce des livres.

Je sais que nos débats de ce jour seront le reflet de ce travail riche, mené dans le sens de l’intérêt général.

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