Intervention de Martine Berthet

Réunion du 8 juin 2021 à 14h30
Amélioration de l'économie du livre — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Martine BerthetMartine Berthet :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des affaires économiques s’est saisie pour avis de l’article 1er de cette très intéressante proposition de loi de Laure Darcos.

L’article 1er opère trois modifications. Plus particulièrement, nous nous sommes penchés sur la disposition qui prévoit la fixation, par arrêté ministériel, d’un tarif plancher des frais d’envoi de livres devant obligatoirement être facturé au client. La commission a adopté un amendement qui vise à supprimer cette mesure. Je souhaite vous expliquer le raisonnement qui a conduit à ce choix.

L’article 1er part d’un constat que nous faisons tous : la vente en ligne de livres se développe rapidement – elle atteint à présent environ 20 % du marché, soit 70 millions de livres par an – et peut représenter un danger pour la pérennité de nos librairies indépendantes. Dans ce domaine, le principal acteur, qui fut d’ailleurs initialement une librairie aux États-Unis, vend environ 40 millions de livres par an en France.

Aussi, la question qui se pose est la suivante : comment les librairies indépendantes peuvent-elles rivaliser avec de grands acteurs mondiaux, surtout numériques, lorsque ces plateformes pratiquent des frais d’envoi à 1 centime d’euro ? L’article 1er propose d’y répondre en fixant par arrêté ministériel un tarif plancher des frais d’envoi de livres, obligatoirement facturé au client.

Après analyse, nous pensons que la mesure proposée présentera d’importants effets de bord. Elle devrait conduire à une hausse drastique des prix des livres, qui enrichira directement et massivement les grandes plateformes que l’on essaie justement de réguler sans que les libraires gagnent des clients pour autant. En effet, cette mesure repose sur une hypothèse à laquelle la commission ne souscrit pas : les clients des plateformes vont soudainement les quitter lorsqu’ils devront payer les frais d’envoi, pour se rendre dans des librairies physiques ou sur le site internet d’une librairie.

Selon nous, les consommateurs qui se rendent sur ces plateformes de ventes en ligne ne recherchent pas simplement la quasi-gratuité des frais de livraison : ils en sont clients pour d’autres raisons, comme la profondeur de l’offre ou la rapidité de la livraison. Nous pensons donc qu’ils resteront clients de ces plateformes, d’autant qu’ils appartiennent souvent aux catégories aisées. Aussi, nous sommes face au schéma suivant : le lecteur paiera quelques euros de plus par livre tout en continuant d’acheter sur les plateformes de commerce en ligne. En conséquence, les grands gagnants de cette facturation obligatoire seront les géants du numérique eux-mêmes. Ils pourront facturer 2 ou 3 euros de plus par livre sans perdre de client.

Pour ne prendre qu’un exemple, Amazon vend 40 millions de livres par an en France. S’il touche demain 2, 50 euros de plus par livre, du fait de cette mesure, Amazon verra son chiffre d’affaires augmenter de 100 millions d’euros d’un coup sans rien faire.

La commission a donc proposé de rejeter ce chèque en blanc donné, certes involontairement, aux grandes plateformes.

En outre, la hausse des prix sera immédiate et massive : un tarif plancher de 2, 50 euros représenterait une augmentation de 25 % pour un livre neuf, payé en moyenne 10 euros. Nous ne sommes pas convaincus qu’une telle hausse des prix soit un signal que nous devrions envoyer en ces temps troublés.

Par ailleurs, cette mesure créera une inégalité entre lecteurs : ceux qui habitent les centres-villes pourront échapper aux frais en se rendant dans une librairie physique ; ceux qui vivent en zone rurale ou périurbaine ne le pourront qu’en prenant leur voiture pour faire plusieurs kilomètres ou en se rendant dans les grandes surfaces, dont l’offre est par nature bien plus réduite. Seul le lecteur urbain de centre-ville verra donc sa situation inchangée.

Ces dispositions pourraient être un peu plus acceptables si elles bénéficiaient aux libraires. Mais, là également, le bât blesse : les librairies ne gagneront pas de clients ou elles n’en gagneront que très peu. Un tel cadeau aux grandes plateformes n’est donc pas justifié, a fortiori de la part du législateur.

Aussi, nous avons proposé la suppression de cette mesure. Non seulement nous voulons éviter une hausse massive des prix, mais nous refusons de donner, sans la moindre contrepartie, des dizaines de millions d’euros à des plateformes qui, pour certaines, pratiquent cette optimisation fiscale qui nuit tant à nos commerçants.

Madame la ministre, nous avons entendu les annonces du Président de la République pour un prix véritablement unique du livre. Compte tenu des difficultés que soulève l’article 1er, quelles sont les modalités opérationnelles auxquelles le Gouvernement réfléchit ? Comment atteindre cet objectif sans faire de cadeau aux géants du numérique ?

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