Intervention de Roselyne Bachelot

Réunion du 8 juin 2021 à 14h30
Amélioration de l'économie du livre — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Roselyne Bachelot :

Madame la présidente, monsieur le président de la commission – cher Laurent Lafon –, madame la rapporteure Céline Boulay-Espéronnier, madame la rapporteure pour avis Martine Berthet, madame l’auteure de la proposition de loi – chère Laure Darcos –, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le livre n’est pas un bien comme les autres. C’est autour de cette conviction essentielle que s’est structuré, depuis les années 1980, le soutien de l’État à la filière du livre.

Par l’instauration d’un prix unique du livre ou le soutien constant aux différents maillons de la chaîne du livre au travers des aides du Centre national du livre, la France a su, au cours des quarante dernières années, protéger cette filière tout en accompagnant ses mutations.

S’il ne faisait aucun doute que les Français étaient attachés au livre et à la lecture, la crise sanitaire a été l’occasion de le rappeler et de mettre en lumière notre première industrie culturelle.

Les libraires et les maisons d’édition ont été particulièrement touchés par les périodes de confinement, mais le soutien public a été une nouvelle fois au rendez-vous. En complément des dispositifs transversaux, le ministère de la culture a su rapidement déployer de nombreuses mesures sectorielles : fonds de soutien aux librairies indépendantes et aux maisons d’édition, prise en charge des frais d’expédition, modernisation des équipements, etc.

Le retour en nombre des clients à l’issue du confinement a une nouvelle fois montré la soif de lecture qui anime nos concitoyens ; et le développement des ventes par internet a permis de limiter la chute des ventes en 2020 – ces dernières ont reculé de 3, 3 % en moyenne par rapport à 2019, selon le syndicat de la librairie française.

Le soutien au secteur du livre doit être constant : c’est le sens des crédits importants que j’ai souhaité lui dédier dans le cadre du plan de relance. En 2021 et 2022, 53 millions d’euros seront ainsi déployés afin de poursuivre la modernisation des librairies et des bibliothèques, de généraliser le dispositif Jeunes en librairie et de renforcer les achats publics de livres.

Au-delà de cet accompagnement financier indispensable, la filière connaît de grandes mutations depuis dix ans – vous l’avez souligné, chère Céline Boulay-Espéronnier. Je pense en particulier à l’accroissement des ventes en ligne. Il était ainsi indispensable d’adapter l’arsenal législatif existant. C’est le sens de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui et qui comprend donc des dispositions très attendues. Le Gouvernement y attache une importance particulière. C’est précisément pourquoi il a demandé qu’elle fasse l’objet d’une procédure accélérée.

Cette proposition de loi concerne à titre principal l’économie du livre, mais elle va au-delà : une de ses dispositions porte sur le contrat d’édition dans le secteur de la musique enregistrée et un article est consacré à la modernisation de l’outil du dépôt légal des œuvres. Ce n’est pas seulement un hasard du calendrier si elle est examinée la veille de la proposition de loi de Mme Sylvie Robert, que je salue. Je sais combien les deux sénatrices ont travaillé ensemble sur la politique du livre et de la lecture, dont les enjeux sont très largement transpartisans.

Ce texte bienvenu vient compléter et moderniser la régulation du secteur du livre en adaptant les deux grands types de normes dont il bénéficie : les règles économiques et les règles du droit d’auteur.

En matière économique, tout d’abord, il contient un certain nombre de mesures visant à moderniser et à adapter notre loi de prix fixe. La loi Lang du 10 août 1981, dont nous fêtons cette année le quarantième anniversaire, a su démontrer son rôle essentiel dans le maintien de la diversité des réseaux de distribution du livre et de la diversité éditoriale.

Nous nous devons bien sûr de faire vivre cette loi, cette mesure d’exception culturelle structurante. Or les équilibres que doit préserver cette législation sont fragilisés par le développement de certaines pratiques, qu’il faut encadrer au fur et à mesure qu’elles se développent et s’installent dans le paysage du commerce du livre. Chère Laure Darcos, vous avez parfaitement décrit les difficultés et les défis que doivent affronter nos libraires.

La proposition de loi que nous examinons ensemble aujourd’hui prévoit des dispositions visant à un renforcement très important de notre régulation du prix de vente du livre. Il s’agit en effet de compléter et de parfaire l’encadrement des pratiques de vente à distance, qui avait été introduit par le législateur en 2014.

L’impact de cette législation de 2014 n’a pas été nul, loin de là. Toutefois, il paraît aujourd’hui insuffisant, des conditions inéquitables de concurrence perdurant sur ce marché. Un opérateur propose systématiquement la livraison quasi gratuite des livres, quelle qu’en soit la quantité et quel que soit le montant d’achat, aucun autre acteur ne parvenant à proposer une telle aubaine au lecteur. Cette extraordinaire politique tarifaire, cette étrange générosité, cet opérateur ne la propose de surcroît que pour les livres.

Depuis 1981, nous avons, au regard de la nature spécifique du livre, limité la concurrence par les prix au sein de ce marché. Le seul geste commercial possible, c’est la ristourne de 5 % maximum que tous les détaillants peuvent se permettre. La pratique commerciale dont nous parlons, celle que cette proposition de loi vise à prohiber, constitue indubitablement une nouvelle forme de concurrence par les prix, qui ne permet plus à la loi de 1981 de produire son plein effet.

Ces dispositions sont utiles et même nécessaires. Le Gouvernement les soutient pleinement. Je sais qu’un certain nombre de doutes et d’inquiétudes ont été exprimés en amont de l’examen en séance publique de ce texte. J’espère que nos débats permettront de les lever.

Par ailleurs, il paraît essentiel aujourd’hui de renforcer l’information du consommateur, en clarifiant la distinction entre livres neufs et livres d’occasion dans la vente en ligne. Conformément aux préconisations du médiateur du livre, il s’agit d’éviter que soit entretenue dans l’esprit du consommateur une confusion tendant à brouiller la perception du principe du prix unique du livre neuf.

Nous devons également veiller, comme nous l’a recommandé le médiateur du livre, à resserrer la pratique des soldes de livres dans le cadre de ventes directement opérées par les éditeurs, afin de ne pas fragiliser l’économie des libraires.

Ces mesures proposées par Laure Darcos sont tout à fait cohérentes avec l’économie générale de la loi sur le prix unique du livre.

Le principe d’équité qui sous-tend cette proposition de loi doit également guider la recherche de solutions pour ce qui concerne les relations entre un auteur et son éditeur. J’ai présenté en mars dernier un programme de mesures qui permettront d’améliorer les conditions de création des auteurs. L’une d’entre elles vise à accompagner les négociations professionnelles sur l’équilibre de la relation contractuelle, notamment dans le secteur du livre.

Dans le prolongement du long processus de concertation interprofessionnelle dont est issue la réforme fondamentale de l’économie des relations contractuelles de 2014, j’ai confié au professeur Pierre Sirinelli une nouvelle mission de médiation, afin d’accompagner les organisations professionnelles représentant les auteurs et les éditeurs dans le travail d’évaluation et de révision de l’accord du 1er décembre 2014 entre le Conseil permanent des écrivains et le Syndicat national de l’édition sur le contrat d’édition dans le secteur du livre. Cet exercice de révision doit permettre de régler les difficultés nées de l’application de cet accord et de tenir compte de l’évolution des usages professionnels, ainsi que des mutations induites par les technologies numériques.

Il faut laisser à cette nouvelle étape du dialogue interprofessionnel le temps de prospérer et d’aboutir à la construction de solutions consensuelles que les différents acteurs pourront s’approprier. Cependant, certains sujets consensuels tels que les problématiques spécifiquement liées à la cessation d’activité des entreprises d’édition ne sont pas dans le champ de l’accord de 2014 et nécessitent sans attendre une adaptation de la loi. La proposition de loi doit permettre, en cas de cessation d’activité de l’éditeur, d’une part, d’améliorer l’information des auteurs sur l’exploitation des œuvres éditées et, d’autre part, de faciliter la reprise de ses droits par l’auteur en simplifiant les conditions de résiliation dudit contrat.

Ce texte offre également une base législative à l’accord interprofessionnel signé par le Conseil permanent des écrivains et le Syndicat national de l’édition en 2017 et relatif à l’encadrement des pratiques de la provision pour retours d’exemplaires invendus et de la compensation intertitres.

Toutes ces mesures permettront d’améliorer l’équilibre et la transparence dans les relations entre auteurs et éditeurs.

Enfin, ce texte apporte un complément très attendu au cadre légal du dépôt légal des œuvres à l’ère du numérique. Depuis l’ordonnance royale du 28 décembre 1537, le dépôt légal constitue un dispositif essentiel pour la constitution de la mémoire documentaire de la France. Il assure l’entrée dans les collections nationales de la production éditoriale diffusée sur le territoire national et sa conservation pérenne pour les générations à venir. Or le dispositif mis en place par la loi du 1er août 2006 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, qui a permis la collecte automatique des services de communication au public en ligne, à savoir les sites web, ainsi que leur contenu numérique, ne permet plus de garantir l’effectivité du dépôt légal pour les œuvres qui ne sont pas librement accessibles.

Parce qu’elles sont protégées par des mots de passe ou des systèmes d’achat en ligne, de nombreuses œuvres numériques ne sont plus collectées automatiquement par les robots des organismes dépositaires que sont la Bibliothèque nationale de France, l’Institut national de l’audiovisuel et le Centre national du cinéma et de l’image animée. Pour pallier cette difficulté et permettre rapidement la complétude du dépôt légal, il est donc nécessaire d’opérer dès maintenant une modification du cadre légal, pour que les éditeurs et producteurs de contenus numériques non librement accessibles puissent déposer eux-mêmes ces derniers auprès desdits dépositaires, à l’instar de ce qui est opéré pour les documents physiques. La France rejoindrait ainsi les autres pays qui opèrent déjà la collecte des documents numériques de manière complète.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, c’est donc un texte important qui est soumis à votre examen, et je veux saluer Laure Darcos qui en a pris l’initiative, ainsi que Céline Boulay-Espéronnier pour son travail en tant que rapporteure. Cette proposition de loi permet d’adapter le monde du livre à l’ère numérique, de rééquilibrer les relations souvent complexes entre éditeurs et auteurs, de consolider l’attachement profond de notre pays au secteur. C’est un beau symbole qu’elle soit examinée l’année de la célébration des quarante ans de la loi Lang.

Vous l’aurez compris, le Gouvernement est résolument favorable à ce texte. Vous pouvez compter sur ma mobilisation pour permettre la poursuite du processus législatif à l’Assemblée nationale.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion