Intervention de Jérémy Bacchi

Réunion du 8 juin 2021 à 14h30
Amélioration de l'économie du livre — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Jérémy BacchiJérémy Bacchi :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans deux mois, nous fêterons les quarante ans d’une loi essentielle pour l’industrie du livre et les libraires, la fameuse loi Lang relative au prix du livre. Cette dernière a marqué un tournant majeur à plus d’un titre : elle a sécurisé les libraires à l’égard des éditeurs, en fixant un prix unique à une œuvre, quel que soit le vendeur ; elle a permis aux Françaises et aux Français d’acheter le même livre au même prix, qu’il soit disponible à côté de chez eux ou à l’autre bout du pays ; enfin, elle a sacralisé le livre en tant que bien culturel d’exception, qu’il convient de protéger et de diffuser le plus largement possible.

Malheureusement, quarante ans plus tard, malgré les apports de la loi de 2011, les mutations technologiques et l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché n’ont pas eu les effets escomptés. En effet, on aurait pu penser que la multiplication des médias et des canaux de diffusion aurait permis de démocratiser l’accès au livre et à la lecture, tout en préservant les acteurs historiques. À l’inverse, on a assisté à une sorte de cannibalisation au sein de la distribution du livre, dont on peut craindre, à terme, une raréfaction des possibilités d’achats de livres.

Ce qui est en jeu avec ce texte – je salue à cet égard le travail de notre collègue Laure Darcos –, c’est la préservation des librairies indépendantes par rapport aux géants du net, la préservation du patrimoine culturel de la France, ainsi que la protection des auteurs. Pour ces trois chantiers, il y a urgence.

L’arrivée dans le secteur des géants du net, mais aussi le déploiement numérique des grandes chaînes culturelles comme Fnac Darty, met sous pression les librairies. Ces dernières, qui pâtissent d’une rentabilité nette extrêmement faible, sont pourtant des cœurs de ville essentiels aux communes et à la culture. C’est d’ailleurs ce que note le Conseil d’État dans son avis : les 3 300 librairies indépendantes et leurs 13 000 salariés sont une part essentielle de l’exception et de la diversité culturelles françaises.

L’accord permettant à Amazon d’expédier ses livres à un centime d’euro de frais de port tient d’une logique de captation par laquelle l’entreprise profite de sa taille pour imposer des conditions sur lesquelles les libraires, même en réseau, ne pourront pas s’aligner. Cette dynamique existe déjà mais, faute de régulation, elle ne pourra que s’amplifier ; certains Français n’auront plus d’autre choix que de commander leurs livres en ligne.

De la même manière, la confusion entretenue entre livres neufs et livres d’occasion « en état neuf » fait partie d’une stratégie d’évitement de la loi. Rien de neuf sous le soleil, me direz-vous, pour ces géants d’internet qui ont décidé depuis des années que leur loi était la bonne. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Amazon veut imposer, en matière de livre numérique, « son » prix unique. Ainsi, sur Kindle, c’est l’entreprise de Seattle qui fixerait son prix, et non plus les éditeurs.

Comme il ne peut y avoir de livres sans auteurs, cette proposition de loi vise par ailleurs à sécuriser leur position. Certes, il convient de rester mesuré : cela ne réglera pas les nombreux problèmes que connaissent ces professionnels. On le sait, la moitié des auteurs environ gagnent moins que le SMIC. On le sait aussi, la considération de leurs revenus comme revenus du patrimoine et non du travail a des conséquences néfastes, notamment en matière de cotisations sociales.

Si cette proposition de loi ne répond pas à ces problématiques structurelles, qui demanderaient une réforme de plus grande ampleur, elle va néanmoins dans le bon sens. Elle permet de rééquilibrer le rapport entre éditeurs et auteurs. Les cas de la compensation intertitres et des provisions pour retours d’invendus sont emblématiques de la situation actuelle.

Mes chers collègues, quelques éléments méritent d’être rappelés pour illustrer le déséquilibre flagrant qui règne entre éditeurs et auteurs au profit des premiers. Les auteurs perçoivent en moyenne 7, 2 % de droits ; un quart d’entre eux ne reçoivent pas d’à-valoir ; lorsqu’il existe, ce dernier est de toute façon, dans la majorité des cas, extrêmement faible. Pendant ce temps, le secteur enregistre malgré tout un chiffre d’affaires proche des 4 milliards d’euros sur l’année 2020.

Je conclurai en évoquant la réforme du dépôt légal. On le sait – ils nous le disent –, les organismes dépositaires ont de plus en plus de mal à capter les contenus numériques afin d’en garder une copie pour l’histoire. Lorsque le modèle du dépôt numérique a été pensé, tout ou presque était encore disponible assez facilement.

Aujourd’hui, les organismes dépositaires doivent faire, d’une part, avec les mesures de blocage prises par les éditeurs et, d’autre part, avec l’expansion d’internet, qui est si riche en contenus qu’il devient difficile de cibler sa recherche. De la conservation, nous sommes passés à l’instantanéité.

Cette proposition de loi apporte une réponse intéressante au problème que nous avons à traiter. C’est donc sans réserve que mon groupe et moi-même la soutiendrons.

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