Intervention de Sylvie Robert

Réunion du 8 juin 2021 à 14h30
Amélioration de l'économie du livre — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Sylvie RobertSylvie Robert :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, chère Laure Darcos, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans la tradition des textes importants visant à protéger la filière du livre et ses acteurs, et à l’adapter au monde contemporain, à commencer par la loi Lang dont on fête cette année le quarantième anniversaire. Après cette première loi, d’autres ajustements législatifs importants ont suivi, en 2011, puis en 2014, accompagnés de la mise en place de plusieurs mesures de soutien.

La société a néanmoins radicalement évolué sous l’effet de la révolution numérique et avec elle, bien sûr, l’économie, notamment celle du livre. C’est dans cette perspective de modernisation que la loi du 8 juillet 2014 encadrant les conditions de vente à distance des livres a été votée à l’unanimité. Rappelons-le, l’objectif était de lutter contre les pratiques des opérateurs en ligne qui proposaient, en plus de la remise de 5 % autorisée sur le prix du livre, la gratuité des frais de port. Cette pratique, clairement déloyale à l’égard des librairies traditionnelles, mettait en péril à terme la viabilité de celles-ci.

En somme, la main du législateur n’a jamais tremblé lorsqu’il s’est agi de porter secours à une filière aussi menacée que vitale pour notre rayonnement culturel et nos territoires.

Aujourd’hui, mes chers collègues, dans un contexte sanitaire et économique encore tendu, et face à l’appétit toujours croissant des grandes plateformes, il s’avère de nouveau urgent de nous pencher sur la situation des librairies et des artistes-auteurs, qui n’ont connu aucune réforme structurelle depuis maintenant dix ans.

C’est dans cet esprit – protéger et consolider l’ancrage de nos librairies, accroître le soutien apporté à nos auteurs – que nous examinons la proposition de loi de notre collègue Laure Darcos, dont je tiens à saluer amicalement l’engagement constant et combatif pour la filière du livre. Il y va, avec cette proposition de loi, de trois enjeux majeurs.

Le premier est celui du soutien économique apporté à nos librairies et de la lutte contre les inégalités concurrentielles qu’elles subissent du fait des grandes plateformes, et tout particulièrement d’Amazon.

Le deuxième a trait à un meilleur équilibre de la relation contractuelle qui unit artistes-auteurs et éditeurs.

Le troisième enjeu porte sur l’adaptation de notre droit en matière de collecte des œuvres numériques sur internet.

Cette proposition de loi prévoit en outre des mesures fortes pour assurer la pérennité de nos librairies.

Durant la crise sanitaire, chacun a pu mesurer l’importance que les Françaises et les Français attachent à leurs librairies, ces commerces de proximité permettant d’accéder au savoir et à l’émancipation – nous nous souvenons tous du tollé provoqué lorsqu’ils furent déclarés « non essentiels ».

Mais ce secteur, peut-être plus qu’un autre, a été soumis à rude épreuve par l’avènement du numérique. Pour rappel, en volume comme en valeur, Amazon, la Fnac et France Loisirs représentent environ les trois quarts des achats en ligne, tous réseaux confondus. La part de marché d’Amazon représenterait environ la moitié de ce total, soit 10 % du marché du livre en France.

C’est face à ce type de « mastodontes » que nos librairies indépendantes doivent lutter, et c’est pour leur donner les moyens d’affronter cette concurrence que l’article 1er de cette proposition de loi a été rédigé. En effet, en l’état, Amazon profite de sa surface mondiale et des marges financières qu’elle dégage dans d’autres secteurs pour offrir des frais de livraison proches de zéro, allant, de fait, à l’encontre du principe de concurrence loyale, car il est évident que nos libraires ne peuvent suivre.

À ce coût économique s’ajoutent également un coût social et un coût environnemental. Nous savons pertinemment que le système de livraison d’Amazon repose sur un approvisionnement continu des dépôts, assuré par une rotation permanente de routiers.

Par ailleurs, notre chambre est aussi celle des territoires, et en tant que membres de la représentation nationale, nous devons veiller à ce que nos décisions ne participent pas à creuser les inégalités. Certains estiment que l’article 1er serait de nature à isoler nos territoires ruraux et à créer une inflation du prix du livre ; qu’en est-il ?

Pour ce qui est des territoires, selon des données tirées du panel Kantar sur le marché du livre neuf imprimé pour 2019, nous constatons que les clients établis dans des communes de moins de 2 000 habitants n’ont réalisé que 12 % de leurs achats en valeur sur Amazon. En revanche, 20 % des sommes dépensées par nos concitoyens ruraux l’ont été en librairie, et autant dans les espaces culturels Leclerc.

En outre, si 23 % des sommes dépensées sur Amazon proviennent de clients établis en zone rurale, cette proportion est toutefois moindre que celle attribuable aux clients urbains des différentes agglomérations de notre pays. Il est ainsi faux d’affirmer que les espaces ruraux seraient pénalisés par l’adoption de cet article 1er.

Concernant le risque d’inflation du prix du livre, là aussi, il convient de garder raison. En effet, depuis les années 2000, on observe une baisse quasi ininterrompue du prix relatif du livre. Il faut aussi, en la matière, mettre en exergue le rôle stabilisateur joué par la loi Lang, qui constitue un amortisseur.

Le vote de l’article 1er sera un acte fort en faveur de l’équité, de la préservation de l’environnement, de la défense de la diversité culturelle et littéraire, et surtout du soutien aux librairies indépendantes qui maillent l’ensemble de nos territoires. Le Sénat s’honorera à voter cet article.

L’autre grande mesure de soutien à nos libraires proposée ici trouve son fondement dans l’article 2 : il ouvre aux collectivités la faculté d’accorder une subvention aux librairies indépendantes dans la limite de 30 % de leur chiffre d’affaires.

Ce dispositif est calqué sur celui qui fut créé en 1993 par notre collègue Jean-Pierre Sueur et qui visait, de la même façon, à subventionner partiellement les cinémas indépendants afin de maintenir un maillage cinématographique du territoire au niveau local.

Le deuxième axe de cette proposition de loi a pour objet d’assurer un meilleur équilibre dans la relation contractuelle qui unit artistes-auteurs et éditeurs, cette relation s’établissant encore trop souvent au détriment des premiers.

Le rapport Racine, intitulé « L’auteur et l’acte de création », avait d’ailleurs parfaitement identifié ces problèmes : « La relation qui lie l’artiste-auteur aux acteurs de l’aval (éditeurs, diffuseurs, producteurs) apparaît profondément déséquilibrée, ce qui conduit, le concernant, à mettre en cause dans de nombreux cas l’idée même de liberté contractuelle. »

Pensant qu’une publication de son œuvre est toujours souhaitable, y compris à des conditions déraisonnables pour lui, l’auteur estime parfois qu’il n’a pas d’autre choix que d’accepter les termes du contrat. Le rapport précité insiste sur la nécessité, pour pallier cet écueil, d’une « transparence systématique et régulière de la part des cessionnaires de leurs droits envers les auteurs ».

Ainsi, en vue d’une telle transparence, l’article 3 de la proposition de loi propose la reddition systématique et complète des comptes en cas de cessation d’activité par l’éditeur. Cette mesure permettra en effet à l’auteur de mieux appréhender les dynamiques économiques entourant la vente de ses livres et, dans une certaine mesure, de se projeter financièrement dans l’avenir, mais il ne s’agit que d’un premier pas qu’il nous faudra sans doute amplifier, en tout cas compléter.

Le troisième axe est celui de l’adaptation de notre droit en matière de collecte des œuvres numériques sur internet.

Comme explicité dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, le développement du numérique est allé de pair avec une multiplication des œuvres numériques ; or une part de plus en plus importante de ces œuvres se révèle difficile à collecter dans le cadre du dépôt légal numérique, celles-ci étant publiées dans des espaces privés.

L’article 5 a donc pour objet de doter les responsables de ces opérations de collecte de moyens juridiques adaptés qui leur permettront de continuer à remplir correctement leur mission. Là encore, nous sommes tout à fait favorables à l’objectif recherché, à savoir sauvegarder pour les générations futures un exemplaire de chaque élément de la production éditoriale française, qu’il soit de nature écrite, graphique, sonore, cinématographique ou audiovisuelle – nous y sommes d’autant plus favorables, bien sûr, que ladite production élargit nos imaginaires.

Je pourrais égrener beaucoup d’autres mesures très substantielles de cette proposition de loi mais, pour conclure, j’aimerais insister sur le rôle essentiel qu’a eu le livre pendant les périodes de confinement. Le livre s’est rappelé à notre bon souvenir en tant qu’objet à part entière dans et pour notre imaginaire, capable de nous transporter dans d’innombrables lieux, dans de multiples univers, capable aussi de nous faire vivre et ressentir toute la palette des émotions, capable de nous instruire, de nous faire penser et de nous élever. Sa défense n’est plus à faire ; mais de cette loi, il avait besoin.

Vous l’aurez compris, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera sans réserve et avec enthousiasme cette proposition de loi. Nous ne pouvons que saluer le travail législatif précis et de très grande qualité de notre collègue Laure Darcos.

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