Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la question qui nous réunit autour de ce débat est ô combien importante, et je l’étendrai du reste aux centres-bourgs. Il s’agit d’un véritable enjeu de société qui doit dépasser les clivages politiques. C’est pour cette raison que notre assemblée s’en est emparée dès le mois de mai 2017.
Le constat dressé par le rapport que j’ai rendu conjointement avec notre ancien collègue Martial Bourquin était sans appel : « nos cœurs de ville et de bourg se meurent » !
De nombreuses villes comptent plus de 20 % de vacance commerciale, jusqu’à 30 % dans des villes comme Calais. Au total, nous avions recensé près de 700 villes et plusieurs centaines de bourgs pôles de centralité en grande difficulté.
Ce constat alarmant avait débouché sur un Pacte national pour la redynamisation des centres-villes et centres-bourgs issu d’une proposition de loi. Nous avions voulu prendre le problème à la racine, à la différence du programme gouvernemental Action cœur de ville, qui était concentré sur le volet financier.
Monsieur le secrétaire d’État, il n’y a pas, et il n’y aura pas, de solution à l’échelle de l’enjeu qui ne soit pas structurelle et/ou systémique.
Douze des trente dispositions issues de notre initiative sont désormais en vigueur, car elles ont été inscrites dans la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite ÉLAN. Je suis particulièrement attaché à leur suivi, et c’est essentiellement dans cet esprit que s’inscrira mon intervention.
S’agissant de la gouvernance des commissions départementales d’aménagement commercial (CDAC), nous avions, par un amendement devenu article 163 de la loi ÉLAN, modifié leur composition afin qu’elles permettent aux représentants du tissu économique et commercial, à savoir les membres des chambres de commerce et d’industrie (CCI), des chambres de métiers et de l’artisanat (CMA) et des chambres d’agriculture, d’y siéger. Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d’État, nous confirmer que la composition de l’ensemble des CDAC a bien été mise à jour en ce sens ?
Sur le système de régulation des implantations commerciales, nous avions rénové en profondeur le mécanisme, en faisant en sorte que l’autorisation d’implantation soit conditionnée à l’absence d’impact négatif sur le tissu économique et commercial existant, notamment en centre-ville. Pour cela, le demandeur de l’implantation commerciale doit produire une analyse d’impact du projet réalisée par un organisme indépendant habilité par le préfet.
Êtes-vous en mesure de nous dresser un bilan de ces dispositions ? Vous êtes-vous assuré de leurs effets sur les centres-villes, en particulier les centres-bourgs ?
Sur ce même volet, nous avions aussi renforcé les pouvoirs du préfet, en lui permettant de s’assurer de la remise en état des surfaces commerciales abandonnées pour éviter la prolifération des friches.
De même, nous avons attribué au préfet le pouvoir de prononcer un moratoire sur les demandes d’autorisation d’exploitation commerciale, sur requête motivée d’un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre ou de communes signataires d’une convention d’opération de revitalisation de territoire (ORT). Pouvez-vous nous faire un état des lieux de l’usage de cette compétence ?
Avec la levée des compensations financières liées aux restrictions sanitaires se posera la question de la survie de nombreux petits commerces qui sont majoritaires dans les centres-villes et centres-bourgs.
C’est une autre dimension qui vient s’ajouter au sujet qui nous occupe et qui rend plus que nécessaire l’encadrement des implantations commerciales dans les prochains mois, pour éviter que ces dernières ne viennent « tuer à petit feu » le commerce de centre-ville et que la crise sanitaire ne joue un effet accélérateur, car malgré tous nos efforts la dévitalisation continue…
Permettez-moi de me référer, pour illustrer mon propos, à la situation de la ville de Bourges qui malheureusement est loin d’être un cas isolé. On y constate un phénomène que je qualifie de « désertion commerciale en centre-ville » et qui marque bien la polarisation des implantations commerciales en dehors des cœurs de ville.
À Bourges, la FNAC joue en effet un véritable rôle de locomotive commerciale pour les commerces du centre. Or sa direction souhaite désormais déserter le cœur de ville pour rejoindre un centre commercial implanté en dehors. Ce changement de fusil d’épaule m’interpelle, car j’avais autrefois auditionné le directeur stratégique du groupe FNAC, lequel tenait à souligner le rôle sociétal de cette enseigne dans la redynamisation d’un cœur de ville.
C’est pourquoi j’estime qu’il est urgent que nous conduisions une réflexion afin de trouver un mécanisme de régulation pour ces grandes enseignes implantées dans un centre-ville qui décident du jour au lendemain de le quitter au profit de la périphérie, parfois à cause de loyers trop élevés, parfois à cause d’une fiscalité trop importante en cœur de ville, parfois à cause d’une absence de logique urbaine qui prive le centre-ville de parking.
D’autres pistes permettraient de bonifier ces cœurs de ville et de bourgs. Elles peuvent trouver appui sur les dispositifs d’accompagnement à la rénovation de logement.
Je pense bien évidemment aux dispositifs Pinel-Denormandie et Denormandie dans l’ancien qui permettent de bénéficier d’exonérations et de réductions d’impôts locaux pour la rénovation d’un bien d’habitation. Pourquoi ne pas étendre ces dispositifs à la rénovation de locaux commerciaux implantés en centre-ville, afin de les embellir et attirer davantage les consommateurs ?
Enfin, il n’est pas possible d’étudier la question de la revitalisation des centres-villes sans traiter du sujet du commerce non physique.
Nous savons tous que les grandes entreprises de commerce électronique bénéficient de conditions fiscales iniques par rapport aux entreprises de commerce physique.
La pandémie de la covid-19 est venue renforcer cette distorsion de concurrence, en troquant les activités physiques par des alternatives en ligne. Jusqu’à présent, nous avons mené de nombreux travaux pour tenter de rééquilibrer la concurrence entre ces deux formes de commerce. Nos réflexions ont souvent traité, avec plus ou moins de réussite, du volet fiscal : projet de taxe sur les livraisons, assujettissement des entrepôts à la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom)…
Néanmoins, nous avons oublié au préalable de soumettre l’implantation des entrepôts de ces géants du e-commerce à l’avis des CDAC. Je rappelle que les membres de ces dernières sont des acteurs de terrain : ils sont les mieux placés pour juger des conséquences sur le commerce existant de l’arrivée d’un entrepôt qui sert non pas uniquement à l’entreposage, mais aussi à la vente par livraison. Ces entrepôts ne pourraient-ils pas être installés en priorité sur des friches en vue de leur réhabilitation ?
Voilà la série de questions et de réflexions dont il m’importait de vous faire part, monsieur le secrétaire d’État.