Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux de représenter le Gouvernement aujourd’hui pour évoquer avec vous la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs, qui est au cœur de l’action que nous menons, avec Jacqueline Gourault, au ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Le thème de ce débat recoupe largement les enjeux de ma mission en tant que secrétaire d’État à la ruralité. La géographie comme l’histoire doivent nous inciter à ne pas opposer la ruralité et la ville, mais – bien au contraire – à en penser les complémentarités. Le monde rural est en effet structuré par les villes et bourgs qui en constituent l’armature et irriguent les territoires environnants.
Les centralités ont traversé, vous l’avez souligné dans le rapport que vous avez élaboré en 2017, monsieur le sénateur Pointereau, de vraies difficultés durant les décennies qui viennent de s’écouler.
Le commerce, qui était au cœur de vos discussions, en est probablement le marqueur le plus visible et le plus emblématique. Je ne citerai pas trop de chiffres, car vous les connaissez et que nous pourrons en discuter ensemble durant le débat, mais permettez-moi de mettre en évidence plusieurs phénomènes.
Le commerce de détail a connu un recul net depuis le début des années 1990, avec une baisse de 3 % par an par exemple du nombre de boucheries et de 1, 5 % pour les boulangeries ; la vacance commerciale en centre-ville est passée de 7 % à 12 % entre 2008 et 2019. Parallèlement, le nombre de surfaces commerciales en périphérie a augmenté, pour atteindre environ 1 800 zones aujourd’hui.
Ce phénomène est le résultat d’une multitude de facteurs, notamment du déplacement des habitants eux-mêmes des centres-villes vers la périphérie, de la démocratisation de la voiture et d’évolutions sociales profondes – baisse du temps consacré au parcours d’achat et paupérisation.
Il résulte également de l’existence d’importants déficits pour les opérations d’aménagement urbain des centres-villes : étant donné les coûts de rénovation des bâtiments, l’équilibre économique, qu’il s’agisse d’exploitation de logements ou de locaux commerciaux, n’est généralement pas assuré. Cela justifie pleinement l’intervention de la puissance publique et la structuration d’un écosystème reposant sur l’économie mixte.
La dévitalisation des centres-villes est un enjeu écologique, social et culturel, voire de civilisation – c’est un point très important.
C’est un enjeu écologique, car le développement des surfaces commerciales de périphérie conduit, comme l’étalement pavillonnaire, à l’artificialisation de surfaces agricoles ou naturelles. Alors que nous faisons de la lutte contre l’artificialisation des sols l’une des déclinaisons majeures de notre politique de préservation de la biodiversité, nous ne pouvons pas faire l’impasse d’une vraie réflexion sur la densification des centralités et leur revitalisation, notamment commerciale.
C’est un enjeu social, car les centres-villes et centres-bourgs constituent des lieux de rencontres où l’on peut efficacement lutter contre l’isolement, notamment celui qui touche nos personnes âgées.
C’est, enfin, un enjeu culturel, car la civilisation européenne s’est bâtie, depuis l’Antiquité jusqu’à l’époque fordiste, en passant par la Renaissance, sur le modèle de la ville. Nous ne devons pas y renoncer à l’heure où nos concitoyens nous demandent davantage de proximité et un renforcement du lien social.
Le Gouvernement a, je le crois, pris le problème à bras le corps.
Dès 2018, sur la base de constats qui recoupent ceux que vous faisiez, monsieur le sénateur, dans le cadre de votre proposition de loi, le programme Action cœur de ville a été lancé. Ciblant 222 villes moyennes, il se singularise par son caractère interministériel et transversal. Près de la moitié des 5 milliards d’euros prévus dans le cadre du programme ont déjà été engagés, et ce malgré la crise sanitaire, ce qui démontre toute la pertinence de cette initiative.
Ce programme d’actions s’adosse aux ORT, prévues dans la loi ÉLAN, qui offrent une large palette d’outils juridiques et fiscaux visant à favoriser la revitalisation des centres-villes : dispense d’autorisation commerciale et possibilité de suspension des projets situés dans les zones périphériques ; accès prioritaire aux aides de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH) ; éligibilité au dispositif Denormandie dans l’ancien ; renforcement du droit de préemption urbain et pour les locaux artisanaux.
Conscient de l’importance de toutes les centralités, cette logique a été déclinée dans le programme Petites Villes de demain, que nous avons lancé le 1er octobre dernier, destiné aux villes de moins de 20 000 habitants fragilisées dans l’exercice de leur fonction de centralité. C’est un plan d’action qui vise à soutenir les élus dans la réalisation de leurs projets. Pleinement intégrée à l’agenda rural, cette démarche se décline rapidement dans les territoires. J’en veux pour preuve la signature de plus de 500 conventions d’adhésion sur quelque 1 600 villes sélectionnées – elles l’ont été sans aucun plancher en termes de nombre d’habitants.
Cette ferme volonté de soutenir les centralités ne s’est pas arrêtée à la mise en œuvre de programmes incitatifs. Comme je l’avais évoqué en 2018, le Gouvernement a décidé en septembre 2020 d’un moratoire sur les surfaces commerciales de périphérie, en deux temps.
Il a tout d’abord enjoint aux préfets de saisir la Commission nationale de l’aménagement commercial (CNAC), lorsqu’un projet ayant reçu un avis positif de la CDAC entraîne une artificialisation des sols.
Il a ensuite posé, à l’article 52 du projet de loi Climat et résilience, un principe d’interdiction des nouvelles surfaces commerciales ayant pour effet d’artificialiser les sols.
À la faveur de la relance, le Gouvernement a de nouveau manifesté sa volonté d’œuvrer résolument en faveur de l’attractivité des centres-villes. C’est aussi une manière de lutter concrètement contre l’artificialisation des sols.
Comme le montre un rapport récent, il nous faudrait 500 millions d’euros par an, pendant de nombreuses années, pour résorber l’intégralité des verrues urbaines.
C’est pourquoi nous avons créé le fonds Friches, doté initialement de 300 millions d’euros, et récemment abondé à hauteur de 350 millions conformément à l’annonce faite par le Premier ministre le 17 mai dernier.
Le fonds de restructuration des locaux d’activité, en lien avec le programme « 100 foncières » de la Banque des territoires, va permettre de réhabiliter quelque 6 000 commerces sur l’ensemble du territoire, en finançant le déficit des opérations.
Ces politiques très concrètes prennent tout leur sens dans le cadre de la politique de « réarmement des territoires » menée par le Gouvernement, et sur laquelle je souhaite insister.
Avec la délocalisation de services d’administration centrale dans des villes moyennes, la mise en place des maisons France Services, l’engagement de créer 2 500 postes dans les services déconcentrés ou encore la lutte contre la désertification médicale, nous réorientons des ressources, mais aussi des femmes et des hommes vers les territoires. Ce mouvement est indispensable à la revitalisation des centres-villes.
Cette dynamique de renforcement de l’attractivité des centralités sera poursuivie dans le projet de loi 4D, notamment via deux dispositions : d’une part, la possibilité de conclure plusieurs opérations de revitalisation de territoire (ORT) sur le territoire d’un même EPCI, ce qui facilitera l’accès au dispositif pour les petites communes ; d’autre part, le renforcement du droit de préemption des biens sans maître – le délai pour la mise en œuvre de ce droit devrait passer de 30 ans à 10 ans. Ces mesures figuraient déjà dans une proposition de loi votée par le Sénat il y a peu.
Je voudrais également remercier très sincèrement les services et le cabinet du ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, mais aussi les services de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), en particulier le préfet Rollon Mouchel-Blaisot et Juliette Auricoste, qui se sont mobilisés pour préparer ce débat et qui m’accompagnent dans l’hémicycle aujourd’hui. Ils œuvrent au quotidien pour traduire sur le terrain les politiques publiques et les valeurs qui les sous-tendent.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous partageons une même volonté de défendre nos centres-bourgs et centres-villes, et cette volonté n’est absolument pas motivée par une quelconque méfiance à l’encontre d’évolutions en cours. Tout au contraire, la promotion des centres-villes et des centres-bourgs est l’une des voies qu’il nous faut emprunter pour atteindre nos objectifs environnementaux et d’équité entre les territoires.
Je développerai bien évidemment de nouveaux points au fur et à mesure des réponses que j’apporterai à vos questions, mesdames, messieurs les sénateurs. Cela me permettra aussi de répondre plus précisément aux questions que vous m’avez déjà posées, monsieur le sénateur Pointereau.
Je précise simplement, pour conclure, que cinq communes ont déjà fait usage de la fameuse possibilité offerte par les conventions ORT s’agissant des surfaces commerciales de périphérie : Blois, Saint-Dié, Montargis, Moulins et Limoges.