Monsieur le président, monsieur le ministre, comme l’a affirmé Pascal Savoldelli, l’idée générale qui sous-tend ce débat est que le rôle du Parlement, plus précisément du Sénat, serait restreint dans l’élaboration des lois de finances. C’est vrai si l’on s’en tient à l’actualité. Mais le Parlement conserve tout de même un rôle – je veux vous le démontrer.
Historiquement, le rôle du Parlement dans l’élaboration des lois de finances a toujours existé et il a été en quelque sorte consacré par la LOLF. En effet, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dans ses articles XIII, XIV et XV, affirme l’idée que la Nation, par sa représentation parlementaire, a le droit de consentir les impôts, d’en constater la nécessité et d’en suivre l’emploi, ainsi que de demander des comptes à son administration.
Cependant, dans la pratique, on remarque un effacement du Parlement au profit du Gouvernement, comme le constatait déjà Christian Poncelet en 2001, à l’occasion d’un colloque organisé au Sénat sur le thème de l’évolution du rôle du Parlement dans le processus budgétaire.
Pour le président Poncelet, cet effacement serait dû au fait majoritaire, lequel conduit à « une étroite harmonie de pensée entre le gouvernement en place et la majorité des députés qui le soutiennent ». Dès lors, il s’interrogeait sur la capacité de l’Assemblée nationale à contrôler l’action budgétaire du Gouvernement. Mais, en miroir, il pensait que le Sénat avait un rôle spécifique à jouer dans le contrôle budgétaire, à savoir de vérifier l’adéquation des moyens budgétaires aux besoins de l’action de l’État.
La promulgation de la LOLF, le 1er août 2001, a réaffirmé le rôle historique du Parlement dans l’élaboration des lois de finances. Ce texte consacre l’information du Parlement : justification par le Gouvernement de ses dépenses dès le premier euro ou encore organisation des dépenses par mission, avec des objectifs précis pouvant faire l’objet d’un contrôle.
Mais il faudra attendre la loi organique du 15 avril 2009 pour que les articles des projets de loi de finances fassent l’objet d’évaluations publiées. Ces dernières sont formalisées et chaque rubrique doit être remplie « avec le plus grand soin », selon les termes d’une circulaire de juin 2009, ce qui n’est pas toujours le cas lorsqu’on les examine dans le détail.
Si l’on se fie à l’actualité, le Parlement a, en pratique, un rôle assez limité. C’est ce que l’opinion publique et, peut-être aussi, les sénateurs ont ressenti quinze ans après l’entrée en vigueur de la LOLF.
Dans un éditorial de décembre 2020, j’écrivais : « Il s’agit de mon troisième PLF, duquel se dégage l’impression forte de voir rejouer la même mauvaise pièce que les années précédentes. Un Sénat constructif, des débats riches, des amendements adoptés à l’unanimité, puis… plus rien. »
Si l’on considère strictement le périmètre des lois de finances, la majorité des amendements adoptés par le Sénat sont supprimés en nouvelle lecture. Lors de l’examen du PLF pour 2021, quelque 600 amendements avaient été votés par le Sénat ; l’Assemblée nationale avait repris intégralement 147 d’entre eux ; mais il s’agissait essentiellement d’amendements rédactionnels.
Sur le fond, il reste assez peu des apports du Sénat. C’est notamment pour cette raison qu’il n’y a pas de nouvelle lecture du PLF au sein de notre hémicycle, puisque l’on constate des désaccords qui ne pourraient pas être surmontés.
Ce rôle limité du Parlement dans l’opinion publique tient sans doute au fait que certains ministres sont absents lors de l’examen du PLF, en général, et de ses crédits budgétaires, en particulier. Cette critique ne s’adresse pas à vous, monsieur le ministre ; je l’ai déjà affirmé à plusieurs reprises, nous étions heureux de vous voir venir débattre régulièrement avec nous.
Comme l’a rappelé Rémi Féraud, l’initiative parlementaire est fortement encadrée par la Constitution. Au-delà de son article 40, que nous connaissons tous, son article 42 prévoit que le texte présenté en séance publique est non pas le texte de la commission, mais celui du Gouvernement. Tel n’était pas le cas sous les IIIe et IVe Républiques.
Si la révision constitutionnelle de 2008 a bien élargi les pouvoirs du Parlement, c’est le cas pour tous les textes, excepté ceux qui présentent un caractère financier. L’article 47 de la Constitution, quant à lui, encadre le temps de travail du Parlement en ce qu’il limite à 70 jours le délai qui lui est accordé pour voter le projet de loi de finances.
Je voudrais terminer par une note positive en évoquant le rôle d’aiguillon que joue le Parlement, tout particulièrement le Sénat, dans la mise en œuvre de la politique.
Le précédent rapporteur général de la commission des finances, Albéric de Montgolfier, se plaisait à dire que le Sénat a souvent raison trop tôt. Plusieurs exemples peuvent illustrer son propos.
Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2018, Jean-François Husson, alors simple sénateur de Meurthe-et-Moselle, avait anticipé le futur mouvement des « gilets jaunes », en évoquant le précédent mouvement des « bonnets rouges ». Pascal Perrineau explique cela par le fait que les sénateurs entretiennent des liens très étroits avec leur territoire, ce qui leur donne une capacité à sentir comment les choses peuvent évoluer.
La lutte contre la fraude à la TVA est un autre exemple. Lors de l’examen du PLF pour 2020, je vous faisais remarquer, à cette tribune, que le Sénat l’avait adoptée dans le PLF pour 2019, que l’Assemblée nationale avait rejeté les propositions faites par la commission des finances en la matière, pour finalement les retenir un an plus tard.
Dernier exemple : le dispositif de carry back. Nous l’avions voté ici l’an dernier, lors de la discussion des projets de loi de finances rectificatives, et nous y serons confrontés de nouveau quand nous examinerons le projet de loi de finances pour 2022.
Tous ces exemples peuvent donner aux citoyens le sentiment d’une perte de temps dans la mise en place de ces différentes réformes. Au-delà de la séance publique, le véritable travail des parlementaires, c’est le contrôle du Gouvernement, qui s’effectue tout au long de l’année.
Nous déplorons que trop peu de temps soit consacré à l’examen de la loi de règlement, alors qu’il nous permet de critiquer certaines dérives. Ne retombons pas dans les travers du début du siècle précédent : il a fallu attendre 1936 pour que les comptes de l’exercice de l’année 1915 soient formellement adoptés.