Intervention de Sophie Taillé-Polian

Réunion du 10 juin 2021 à 15h15
Quelle portée de l'intervention du parlement dans l'élaboration du projet de loi de finances — Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

Photo de Sophie Taillé-PolianSophie Taillé-Polian :

Monsieur le président, mes chers collègues, je remercie le groupe CRCE de ce débat ; celui-ci est certes assez confidentiel, mais il n’en est pas moins fondamental pour la démocratie, la République et l’État.

En démocratie, c’est le Parlement qui vote l’impôt, qui donne l’autorisation budgétaire. C’est là une condition essentielle de la transparence, de la confiance, du consentement à l’impôt. La question est essentielle, nous devons donc y revenir régulièrement.

La Ve République avait pour objectif de mettre au pas le parlementarisme au nom de l’efficacité et de la stabilité. Aujourd’hui, on peut douter de la réussite sur ces deux points… En tout cas, l’affaiblissement du Parlement est palpable.

De nos jours, le rôle du Parlement dans la construction budgétaire est marginal – je le déplore ! Les événements de ces dernières années devraient nous faire tirer d’amères leçons.

Nous avons été nombreux, ici, à tirer la sonnette d’alarme et à vous avertir que la transition écologique devrait être réalisée dans la justice, notamment dans la justice fiscale. Quelques jours après ces avertissements, dont témoigne le compte rendu de nos débats, les « gilets jaunes » occupaient les ronds-points. Résultat : la violence sociale, l’austérité budgétaire et l’injustice des choix censés nous orienter vers la transition écologique.

Le Parlement sert de caisse de résonnance à ce qui se passe dans notre société. En tant qu’élus, nous sommes proches des territoires, nombre de personnes nous parlent de la réalité sociale… Nous gagnerions à être davantage écoutés !

Je n’évoquerai pas les nombreuses propositions qui ont été votées au Sénat, qu’il s’agisse de celles d’Albéric de Montgolfier ou de celles d’Éric Bocquet, sur la lutte contre l’évasion fiscale. De loi de finances en loi de finances, elles ont souvent été votées à l’unanimité, mais rarement mises en œuvre.

La LOLF est à réinterroger. Véritable constitution financière de l’État, elle régit toutes les étapes de construction et de suivi de notre budget. Il est vrai qu’elle facilite la lisibilité des dépenses de l’État, mais elle met aussi en place une logique de performance qui produit de nombreux effets pervers. La performance s’oppose au bon fonctionnement des services publics, car elle se mesure non pas à l’aune de l’utilité sociale, mais via des indicateurs le plus souvent quantitatifs.

Le rôle du Parlement est donc marginal ; la LOLF n’aide pas à le rendre plus important et les perspectives que l’on nous présente sont extrêmement dangereuses. C’est un effacement de la démocratie qui s’annonce encore si certaines propositions, notamment celles du rapport Arthuis, venaient à être appliquées.

Quel avenir nous promet-on au lendemain de la crise sanitaire ? Depuis des mois, nous alertons sur le fait que le retour de la contrainte budgétaire serait une grave erreur. Les discours alarmistes sur la dette publique et les déficits se multiplient et cherchent à enfermer le débat dans une alternative simpliste : d’un côté, les dépensiers et les irréalistes ; de l’autre, les responsables. Mais ces derniers, en réalité, ont pour seule proposition le retour d’une « règle d’or ».

Tel est le sens des conclusions du comité Arthuis et de la proposition de loi conjointe déposée par Éric Woerth et Laurent Saint-Martin – le premier est issu de la droite parlementaire, l’autre de la majorité présidentielle.

Le rapport Arthuis suggère ainsi de définir une norme de dépenses sur cinq ans, qui contraindrait les autorisations budgétaires du Parlement. Derrière le masque de la pluriannualité se cache le serpent de mer du verrouillage budgétaire…

Le débat politique est essentiel : non, les questions budgétaires ne sont pas des questions techniques ! Ne dépolitisons pas le budget : le dépolitiser, c’est expliquer qu’il n’y a pas de choix politique, mais simplement les contraintes de la nécessité. Cela ne fonctionne pas !

Et les règles d’or, sous toutes leurs formes, sont autant de camisoles de force pour les parlementaires. Cela a pour conséquence d’agrandir le fossé entre la démocratie représentative et les citoyens.

Au contraire, un débat économique et budgétaire est plus que jamais nécessaire : retour à l’austérité ou investissement dans l’avenir ? Allons-nous refaire les mêmes erreurs qu’en 2010, celles qui ont enfermé notre continent dans l’impasse de l’austérité, alors que l’on vit aujourd’hui partout les conséquences politiques de la tragédie des inégalités et de l’inaction climatique ?

Nous pensons qu’il faut refonder notre constitution financière, débattre d’une réforme de la LOLF. Cela doit se faire à partir de l’axe majeur politique et scientifique que nous voyons tous se déployer sous nos yeux, en ce début de XXIe siècle : l’anthropocène. Nous ne sommes pas des irréalistes ; au contraire, le réalisme est de notre côté. Nous devons réfléchir à nos discussions budgétaires à l’aune de cet enjeu, y compris avec une traduction très claire de l’empreinte environnementale dans les constructions budgétaires.

Cela impose donc de renforcer le contrôle parlementaire et de débattre, mais jamais d’étouffer les enjeux sous un masque technocratique…

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