Intervention de Julien Bargeton

Réunion du 10 juin 2021 à 15h15
Quelle portée de l'intervention du parlement dans l'élaboration du projet de loi de finances — Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

Photo de Julien BargetonJulien Bargeton :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les questions budgétaires sont au fondement du Parlement, de son existence même. C’est sur les sujets budgétaires que sont nées les démocraties parlementaires.

En 1215, avec la Grande Charte, Jean sans Terre fut obligé de demander au Grand Conseil d’approuver sa politique fiscale. En 1776, l’opposition des colons britanniques – No taxation without representation – déboucha sur la Révolution américaine. En 1789, si les états généraux furent convoqués, c’est en raison de la banqueroute de l’État ; il fallait financer les guerres et donc lever de nouveaux impôts. Les états généraux se rassemblèrent, mais la représentation refusa de quitter la salle des Menus Plaisirs. On connaît la suite…

Depuis la Révolution, et surtout après la Restauration, le Parlement a pris un rôle considérable dans la gestion des finances publiques, que la Ve République a entendu modérer.

Sous la IIIe République, les majorités ne parvenaient plus à voter les budgets. Christine Lavarde l’a rappelé : il a fallu attendre 1936 pour que la loi de règlement de 1915 soit votée ! Il était sans cesse fait recours aux décrets-lois tant le Parlement avait peine à voter les budgets et, parce qu’elles les construisaient de fait, les commissions des finances étaient devenues très puissantes – cela a de quoi faire rêver certains d’entre nous.

La IVe République, quant à elle, fonctionnait par douzièmes provisoires, car le Parlement ne parvenait pas non plus à voter les budgets. Cela a fini par devenir problématique à la fin du régime, compte tenu du coût des guerres coloniales.

La Ve République est ainsi venue rationaliser le parlementarisme. L’une des illustrations principales de cette rationalisation est la loi de finances, plus précisément le fait que son examen soit enserré dans des délais. Le vote est également encadré, notamment sur les charges.

Dès lors, le rôle du Parlement a été considérablement réduit. La LOLF est plutôt venue renforcer ce rôle et améliorer la portée de l’autorisation parlementaire. La charge s’entend de la mission, ce qui permet donc de jouer sur la répartition des crédits à l’intérieur des missions – ce n’est pas sans difficulté, car il faut diminuer les crédits d’un programme pour augmenter ceux d’un autre. En outre, la LOLF a encadré un certain nombre de mécanismes réglementaires qui restreignaient la portée de l’autorisation parlementaire, notamment sur les décrets d’avance.

Je ne partage pas ce qui a été dit sur la pratique du gouvernement actuel.

Premièrement, les réserves de précaution ont été considérablement réduites. Or cette pratique, qui consiste à faire voter des crédits qui ne sont pas utilisés ensuite, constitue déjà un dévoiement de l’autorisation parlementaire.

Par ailleurs, les décrets d’avance ne sont plus utilisés que pour des cas de crise, notamment la crise récente. Sinon, ils ont été jusqu’à présent très limités sous ce quinquennat.

Enfin, on a considérablement réduit le nombre de dispositions fiscales dans la loi de règlement ; elle n’en comprend plus, sauf exception. Il faut poursuivre dans cette voie.

À partir du moment où l’on veut aller plus loin et sortir de la célèbre formule du président Edgar Faure sur les débats budgétaires, « litanie, liturgie, léthargie », cette belle allitération qui signifiait que tout cela était un peu répétitif et que l’on entendait la même chose chaque année, il faudrait donner un peu de tonus démocratique au débat budgétaire parlementaire.

Enfin, pour respecter l’article XV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui dispose que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration » et qui pose le contrôle citoyen, deux options s’offrent à nous.

La première option consiste à sortir de la Ve République afin qu’une autre Constitution donne un autre rôle au Parlement. Toutefois, il s’agit là d’un autre débat qui dépasse le cadre de celui qui nous réunit aujourd’hui : c’est une option politique, globale, structurelle.

La seconde option consiste à chercher à améliorer nos institutions actuelles. Dans leur rapport d’information, MM. Saint-Martin et Woerth mettent de nombreuses pistes sur la table, qui ne portent pas seulement sur les questions de la dette ou de l’encadrement de la dépense. D’intéressantes propositions sont formulées. Ainsi, le collectif budgétaire ne pourrait plus contenir de dispositions fiscales, sauf si celles-ci concernent uniquement l’année en cours. Le nombre d’indicateurs pourrait également être harmonisé, pour plus de simplicité.

Il nous faut également réfléchir à la question de l’évaluation, notamment par un rapprochement des commissions des finances et des commissions des affaires sociales sur la question des recettes. Lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, nous examinons des éléments correspondant à la fiscalité des ménages ou des sociétés que nous revoyons lors de la discussion du projet de loi de finances, notamment parce qu’il y a, pour les particuliers, d’un côté, la CSG, de l’autre, l’impôt sur le revenu et, pour les entreprises, d’un côté, l’impôt sur les sociétés, de l’autre, les prélèvements sociaux.

Ne pourrait-on imaginer un débat budgétaire qui porterait d’abord sur les recettes et qui lierait à cette occasion la dimension sociale et la dimension fiscale du budget ? Ne pourrait-on également imaginer une commission d’évaluation mixte, réunissant des membres des commissions des affaires sociales et des commissions des finances, qui permettrait là aussi de donner un peu de « peps » à la loi de règlement ?

Si des pistes sont sur la table, n’oublions pas que la démocratie, c’est que la majorité vote des budgets sur lesquels elle a été élue et sur lesquels les Français attendent des résultats. Cela n’empêche évidemment pas d’améliorer la transparence et la lisibilité démocratique en faveur des citoyens.

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