Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons aujourd’hui pour débattre de la portée de l’intervention du Parlement dans l’élaboration des projets de loi de finances, ce sujet étant d’actualité, puisque votre assemblée examinera dans quelques jours un projet de loi de finances rectificative.
Je remercie les sénateurs du groupe CRCE de nous donner l’occasion d’échanger sur cette importante question. C’est là un volet primordial de l’équilibre des pouvoirs qui caractérise notre constitution. Les différentes interventions ont montré la diversité des approches, des appréciations sur le rôle du Parlement, sur le poids de son intervention et finalement sur la portée de l’autorisation parlementaire.
Historiquement, ce sont les articles 34 et 47 de la Constitution qui définissent le rôle du Parlement et du Gouvernement en matière de lois de finances. Michel Debré, lors de son discours devant le Conseil d’État le 27 août 1958, en précisait le sens : « La loi, le budget et toutes les affaires qui sont de la compétence du Parlement ne sont pas, pour le Parlement, un monopole. L’intervention des assemblées est un contrôle et une garantie. Il ne faut pas, cependant, qu’un gouvernement accapare les travaux des assemblées au point que l’opposition ne puisse plus manifester sa présence. Si elle ne doit pas pouvoir faire obstruction, elle doit pouvoir interroger. » Ainsi, s’il est du ressort du Gouvernement de proposer un texte initial, avec son équilibre propre, c’est bien le Parlement qui l’amende, le vote, le rejette parfois, et contrôle son exécution.
Il revient donc au Gouvernement, et plus précisément au ministre chargé des finances, de préparer le budget. Le projet de loi de finances que le Gouvernement présente au Parlement doit être la traduction budgétaire d’une politique qui a sa cohérence.
Par l’exercice de leur droit d’amendement et par le vote, les parlementaires modifient cet équilibre, plus ou moins radicalement, que ce soit en matière fiscale ou en matière budgétaire. Et c’est bien normal, puisque c’est devant le Parlement que le Gouvernement est responsable.
Cependant, il a souvent été reproché à la Ve République de restreindre la discussion budgétaire pour le Parlement à la caricaturale formule évoquée par le président Edgar Faure et rappelée par le sénateur Bargeton. Pourtant, historiquement, les parlements tirent leur raison d’être de l’autorisation de l’impôt, et donc du contrôle des finances de l’État, acte régalien s’il en est, au fondement de tout État moderne.
Au fil du temps, et sur l’initiative du Parlement lui-même, ses pouvoirs se sont progressivement étendus. C’est la LOLF, abondamment évoquée, à juste titre, qui a été le dernier, voire le principal outil d’émancipation, en confortant grandement l’autorisation parlementaire en matière budgétaire.
L’exercice du droit d’amendement parlementaire a été facilité par la possibilité de déposer des amendements de crédits sans qu’ils contreviennent à l’article 40 de la Constitution, lequel n’a jamais été modifié depuis 1958. Les positions des présidents des commissions des finances successifs ont aussi permis d’examiner et de débattre de propositions parlementaires, sachant que la notion même de gage est parfois réduite à sa plus simple expression.
Le nombre d’amendements déposés dans les deux chambres en première lecture est ainsi passé de 1 845 lors de l’examen du PLF pour 2006, année d’entrée en vigueur de la LOLF, à 4 719 lors de celui du PLF pour 2019, soit une multiplication par plus de deux. Cela démontre, s’il en était besoin, que le droit d’amendement est garanti.
Les pouvoirs des commissions des finances ont été étendus, leurs présidents, les rapporteurs généraux et les rapporteurs spéciaux disposant de nouvelles possibilités de contrôler l’exécutif.
Alain Lambert, ancien président de la commission des finances du Sénat, résumait ainsi l’esprit de cette loi, dont il était l’un des grands instigateurs : « Le contrôle parlementaire sur les finances publiques est une ardente obligation sans laquelle les fonctions du Parlement ne sauraient être réellement exercées. »
Condition d’un contrôle efficace, l’accès à l’information budgétaire s’est par ailleurs considérablement amélioré, grâce à la LOLF, mais aussi aux technologies de l’information et de la communication. En matière budgétaire comme ailleurs, l’information est une forme de pouvoir, nous le savons.
Par ailleurs, la procédure entourant l’adoption des lois de financement de la sécurité sociale donne au Parlement un pouvoir et une vision sur un large champ de la dépense publique. Elle remet en perspective les travaux sur la loi de finances, leur inscription dans les finances publiques en général et leur articulation avec le modèle de protection sociale.
Aujourd’hui, une attention plus grande encore est accordée à la bonne information des parlementaires en amont de l’examen du projet de loi de finances.
De nombreuses annexes – j’ai entendu qu’elles pouvaient être parfois difficiles ou trop nombreuses – sont jointes à son dépôt, telles que les bleus et les jaunes budgétaires, que vous connaissez bien, ou encore l’annexe sur l’évaluation des voies et moyens, ou les documents de politique transversale, utiles pour éclairer les orientations d’une politique menée par le Gouvernement au travers de différents ministères. Une annexe présentant l’ensemble des évaluations préalables des mesures du PLF l’accompagne également, en application de la révision constitutionnelle de juillet 2008 et de la loi organique du 15 avril 2009.
En théorie, le Parlement est d’ailleurs associé à l’élaboration du PLF dès l’été. Tel était l’objet de la création du débat d’orientation des finances publiques, organisé généralement au mois de juillet, après la discussion en première lecture du projet de loi de règlement de l’exercice précédent. Ce débat doit permettre aux parlementaires de prendre connaissance des premières orientations budgétaires que le Gouvernement présente et de la maquette budgétaire qu’il envisage.
En théorie toujours, c’est lors de ce débat que les parlementaires peuvent se prononcer sur l’architecture du budget de l’État, sur le dispositif de performance, tant les objectifs que les indicateurs, ainsi que sur les moyens alloués aux ministères. En pratique, on observe que les débats portent davantage sur la trajectoire des finances publiques que sur le budget de l’État. Cela plaide d’ailleurs pour une réflexion sur l’avenir du débat d’orientation des finances publiques, qui sera très certainement au cœur des débats relatifs à la réforme de la gouvernance des finances publiques.
La loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques a elle aussi permis de renforcer les pouvoirs budgétaires du Parlement en prévoyant que ce dernier se prononce sur une trajectoire pluriannuelle des finances publiques.
Les améliorations que ces évolutions organiques et que la pratique ont permises ne sont pas invisibles.
Dans son rapport de 2018 sur les systèmes budgétaires, l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) a souligné la réussite des réformes ambitieuses menées en faveur de l’autonomie des gestionnaires publics et la qualité de l’élaboration de la politique budgétaire. En particulier, le rapport souligne l’excellente qualité de la documentation mise à la disposition des parlementaires. La France est l’un des rares pays de l’OCDE où la performance budgétaire fait l’objet d’un examen annuel par des instances indépendantes, en l’espèce la Cour des comptes et le Haut Conseil des finances publiques.
Ainsi, ces vingt dernières années ont permis d’aller dans le sens d’une meilleure implication du Parlement dans l’élaboration des lois de finances.
Notre gouvernement est tout particulièrement attaché à poursuivre cette démarche et à étendre les dispositions et les principes établissant l’autorisation et le contrôle parlementaires en matière budgétaire.
En particulier, le Gouvernement a apporté des innovations, importantes à mes yeux, dans la transparence et la sincérité du budget, souvent avec l’aide des parlementaires. Ainsi, le premier budget vert a bénéficié du travail de la députée Bénédicte Peyrol, lors de la présentation du PLF pour 2021. La lisibilité apportée par cette pratique, aujourd’hui unique au monde, qui consiste à distinguer les dépenses vertes et mixtes selon leur impact environnemental, est aussi un exercice démocratique du Gouvernement, à la faveur d’une participation étendue du Parlement. De fait, cet exercice améliore considérablement l’information des citoyens et de leurs représentants, lesquels peuvent exercer leur droit d’amendement en étant pleinement éclairés sur les enjeux environnementaux.
L’objectif, qui motive jusqu’à ce débat aujourd’hui, est de rendre le budget toujours plus sincère et d’honorer l’autorisation parlementaire en matière budgétaire plus qu’elle ne l’a été ces trois dernières décennies.
Cette « sincérisation » consiste à proposer au Parlement un budget avec des financements bien calibrés par rapport aux besoins, en l’état des informations disponibles. Le travail réalisé depuis 2017 est, à cet égard, unanimement reconnu, que ce soit par le Sénat – j’en veux pour preuve les propos tenus par le précédent rapporteur général – ou par la Cour des comptes.
De même, le Gouvernement a évité autant que possible de procéder à l’ouverture et à l’annulation de crédits par décrets d’avance, préférant un usage systématique des projets de loi de finances rectificative. Trop souvent, les décrets d’avance n’ont été qu’un moyen commode de pallier l’insuffisante sincérité des programmations initiales.