Intervention de Bertrand Lortholary

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 26 mai 2021 : 1ère réunion
Lortholary directeur d'asie et d'océanie au ministère de l'europe et des affaires étrangères

Bertrand Lortholary, directeur d'Asie et d'Océanie au ministère de l'Europe et des affaires étrangères :

En réponse au sénateur Pascal Allizard sur la politique européenne à l'égard de la Chine, j'évoquerai ma propre expérience au fil des années. J'ai été ambassadeur en Indonésie et au Vietnam, j'ai donc eu l'occasion de travailler à de nombreuses reprises sur la relation franco-chinoise. Lorsque j'étais en poste auprès du Président Sarkozy, la coordination entre les grands pays européens à l'égard de la Chine était embryonnaire. La logique était alors très nationale et la Chine en jouait remarquablement. Lors des crises franco-chinoises sur le Tibet de 2008 et de 2009, par exemple, il n'avait pas été possible d'adopter une position commune européenne.

Aujourd'hui, la situation est profondément différente : l'Union européenne a compris la nécessité de se doter d'une approche collective à l'égard de la Chine, seule échelle où peut se jouer notre relation avec ce pays. Les opinions publiques européennes sont désormais plus en phase sur le sujet chinois qu'elles ne pouvaient l'être il y a vingt ans, peut-être en raison des réseaux sociaux. Un certain nombre de politiques chinoises fédèrent les Européens. Nous progressons, mais nous ne sommes pas au bout de nos efforts.

Nos partenaires européens ont une approche de l'espace indopacifique qui converge avec la nôtre, même s'ils ne connaissent pas les mêmes enjeux de souveraineté que nous. Ils n'ont pas non plus les mêmes moyens militaires, mais l'Allemagne est engagée dans un projet de déploiement d'unités navales en mer de Chine méridionale et en mer de Chine orientale. Le mouvement est donc engagé.

Monsieur Richard Yung, s'agissant de la convention des Nations unies de Montego Bay de 1982 sur le droit de la mer et de son application notamment en mer de Chine méridionale, la Chine estime avoir « des droits historiques » sur l'ensemble de la mer de Chine méridionale. Pour nous, la convention est un outil fondamental qui doit demeurer le socle du droit maritime international. C'est la raison pour laquelle nos forces armées déploient régulièrement des unités, l'objectif étant de montrer que la France transite par les espaces internationaux définis par la convention de Montego Bay.

Cette convention est également importante, car elle est le fondement sur lequel des juridictions ont été amenées à se prononcer sur les revendications chinoises. Les Philippines ont ainsi introduit un recours devant la Cour permanente d'arbitrage de La Haye et a obtenu gain de cause. Il est donc fondamental pour nous de plaider avec toujours plus de force en faveur du maintien de cette convention.

La politique américaine à l'égard de la Chine a pu susciter des interrogations au moment de la transition de l'administration Trump vers l'administration Biden. Notre analyse est que cette politique n'a pas fondamentalement changé. Le sujet chinois est aux États-Unis l'un des rares sujets sur lesquels l'opinion publique est homogène. C'est donc une politique de très grande fermeté. En revanche, le ton et la méthode ont changé. La diplomatie du mégaphone n'est plus de circonstance : les tweets du président Trump ont disparu. L'approche est plus habile, plus efficace et plus proche de nous, en particulier parce que l'administration Biden veut travailler avec ses partenaires, notamment européens.

L'administration Biden a identifié la zone indopacifique comme un élément fondamental de sa politique étrangère - j'en veux pour preuve la nomination de Kurt Campbell. Il est donc important pour nous, dans notre relation transatlantique, de construire une stratégie européenne de l'indopacifique pour travailler à égalité avec nos partenaires américains. Nous devons pouvoir nous retrouver sur un agenda commun, même si nos approches sont différentes.

Pour évoquer la question de Taïwan, les risques d'incidents sont importants, d'autant que l'on enregistre mois après mois une augmentation de la fréquence des passages militaires, aériens ou maritimes, de l'armée populaire de libération dans le détroit de Taïwan. Xi Jinping lui-même a dit que la réunification de la Chine avec Taïwan se ferait. Le mantra chinois a d'ailleurs évolué depuis 1949. Traditionnellement, les Chinois parlaient de réunification pacifique, aujourd'hui ils ne parlent plus que de réunification... Le risque d'incidents est important, il ne faut pas le sous-estimer, tous les scénarios restent possibles.

Oui, l'espace indopacifique est fondamental pour les questions de changement climatique et pour l'avenir de la planète. La montée du niveau des océans aura un impact majeur sur l'ensemble des pays de cet espace. J'ai passé trois ans au Vietnam, qui compte plus de 3 000 kilomètres de littoral. La montée du niveau des océans de plus de 1 mètre aura des conséquences catastrophiques dans ce pays. C'est une zone par ailleurs exposée aux dérèglements climatiques, qu'il s'agisse des cyclones ou des typhons, comme cela nous est tristement rappelé à intervalles réguliers.

La Conférence sur la biodiversité marine se tiendra à l'automne en Chine. L'océan Pacifique est le coeur de la biodiversité marine mondiale. La zone au sud des Philippines et de l'Indonésie est un trésor aujourd'hui en danger. Des pollutions de toutes sortes sont en cause, notamment plastiques. C'est la raison pour laquelle la France et l'Inde travaillent ensemble à la réduction de ce type de déchets.

Vous m'avez enfin interrogé sur la situation du sous-continent indien. Notre relation avec l'Inde est devenue en vingt ans une des relations les plus fortes de notre pays. Alors qu'il ne s'agissait pas d'un partenaire historique, nous avons pourtant établi des partenariats dans des secteurs très sensibles et nous avons abouti à un degré de confiance exceptionnel dans cette région.

L'Afghanistan et le Pakistan, même si les perspectives sont moins positives qu'avec l'Inde, sont également des sujets de préoccupations de chaque jour, tout particulièrement en ce moment, d'autant que le retrait des troupes américaines en Afghanistan sera achevé dans quelques semaines.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion