Intervention de Bertrand Lortholary

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 26 mai 2021 : 1ère réunion
Lortholary directeur d'asie et d'océanie au ministère de l'europe et des affaires étrangères

Bertrand Lortholary, directeur d'Asie et d'Océanie au ministère de l'Europe et des affaires étrangères :

Pour répondre au sénateur Cadic, je crois pouvoir dire que les initiatives portées par le Sénat sont en complète convergence avec les analyses que nous formulons. Jean-Baptiste Lemoyne s'est d'ailleurs exprimé en ce sens dernièrement.

La position française sur la question de Taïwan n'a pas changé et est connue de tous. Que la Chine fasse évoluer sa doctrine ça la regarde, mais nous sommes tout aussi libres qu'elle de maintenir la nôtre.

Nous avons développé des relations économiques et culturelles importantes avec Taïwan, que nous souhaitons renforcer. C'est la raison pour laquelle nous disposons d'une représentation à Taipei. Il n'y a aucune espèce d'incompatibilité entre la politique d'une seule Chine, que nous avons choisie en 1964, et le fait de renforcer nos liens avec Taïwan. Je serai heureux de profiter des enseignements que vous aurez retirés de votre déplacement afin de mettre davantage l'accent sur cette coopération. Au-delà de la gestion exemplaire par ce pays de la crise sanitaire du covid-19, qu'il importe de saluer, j'ajoute que nous partageons avec Taïwan des valeurs de liberté et de démocratie.

La Chine a en effet des contentieux territoriaux avec plusieurs pays de l'Asean, mais également hors Asean, sur l'ensemble de son périmètre maritime, notamment avec le Japon. Les îles Paracels et les îles Spratleys sont également un enjeu de souveraineté. Certains îlots sont sous contrôle chinois, d'autres sous contrôle vietnamien, d'autres encore sous contrôle philippin.

Néanmoins, au fil des années, la Chine a réussi à inverser la logique, en particulier avec les Philippines. La Chine a adopté en janvier dernier une loi sur les garde-côtes, qui permet aux navires chinois d'être désormais armés pour faire respecter la conception chinoise du droit. Les contentieux existent et donnent régulièrement lieu à des dérapages et à des affrontements. Le sujet est d'ailleurs sensible dans l'ensemble de ces pays : nous avons assisté à plusieurs reprises au Vietnam ces dernières années à des actes antichinois parfois violents, dans un contexte de tension forte en mer de Chine méridionale, dont la dénomination de va pas de soi - les Vietnamiens l'appellent « mer de l'Est » et les Philippins l'appellent « mer des Philippines occidentales ». Les diasporas chinoises en Asie du sud-est ont été historiquement victimes de mouvements de rejet dans un certain nombre de pays, nous avons tous en têtes les révoltes antichinoises en Indonésie au milieu des années soixante.

La question des trafics illicites est au coeur de nos préoccupations. Nous avons développé avec l'ensemble des pays de l'espace indopacifique des actions sur la sécurité maritime : fusion des informations sur la météo et la piraterie, etc. Nous discutons de tous ces sujets dans le cadre du Symposium naval de l'océan Indien. Un dialogue maritime global a été lancé avec le Japon, nous sommes donc très actifs.

Effectivement, après le Brexit, le Royaume-Uni cherche à renforcer ses liens avec cet espace. La conclusion d'un accord de libre-échange est annoncée avec l'Australie. Si l'Union européenne a dorénavant des relations de concurrence avec le Royaume-Uni, elle partage aussi des éléments de convergence, notamment en matière de sécurité et de défense. Par conséquent, si le Royaume-Uni poursuit, comme la France, une politique de présence navale, notamment en mer de Chine méridionale, nous ne pouvons que nous en féliciter.

La question des détroits est évidemment centrale. Il convient particulièrement d'insister sur le détroit de Malacca par lequel transitent tous les grands flux mondiaux, qu'il s'agisse des échanges entre les zones gazières et pétrolières du Moyen-Orient vers l'Asie du nord-est ou du transit des biens manufacturés qui viennent de Chine, de Corée ou du Japon à destination des marchés d'Europe et des États-Unis. Par ailleurs, le soja brésilien, qui alimente la filière porcine chinoise, passe aussi par le détroit de Malacca. C'est une zone de plus en plus sensible, à la mesure des besoins de la Chine. Aujourd'hui, 15 % de la production pétrolière mondiale transite par le détroit de Malacca. On parle souvent du détroit d'Ormuz, qui est important pour les flux énergétiques de sortie du Golfe, mais le détroit de Malacca l'est encore plus, car il s'agit à la fois d'une veine et d'une artère !

Madame la sénatrice Garriaud-Maylam, la Chine est effectivement importante dans le domaine spatial. La question spatiale était d'ailleurs l'un des sujets-clés de la visite récente de notre ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, en Inde puisqu'il a choisi de se rendre à Bangalore, siège de l'agence spatiale indienne. Nous avons signé d'autres engagements de coopération avec l'Inde dans le domaine spatial.

Oui, il existe des positions différentes au sein des dix pays de l'Asean, notamment en ce qui concerne la Birmanie et la Chine. Certains pays sont sous forte influence chinoise, c'est vrai par exemple du Cambodge et du Laos. Mais d'autres sont certes prudents, mais plus autonomes, comme le Vietnam. Trois pays - l'Indonésie, Singapour et la Malaise - considèrent à juste titre que, au-delà de la tragédie birmane, ce qui est jeu c'est la crédibilité de l'ensemble de l'Asean dans cette affaire. Malheureusement, la junte birmane n'a toujours pas accepté l'envoi d'un envoyé spécial de l'Asean sur son territoire à la suite du sommet de Djakarta.

En ce qui concerne l'Afghanistan, nous sommes effectivement préoccupés par l'évolution possible de ce pays, dans le contexte du retrait américain. Les négociations interafghanes qui se tiennent à Doha n'ont donné à ce jour aucun résultat. Les talibans sont aujourd'hui en position de force politique et militaire. Ils accentuent la pression jour après jour. Le scénario n'est pas optimiste. Certains efforts obtenus par la communauté internationale en matière notamment de droit des femmes pourraient s'en trouver compromis. L'Union européenne est un bailleur important de l'Afghanistan. Il n'est évidemment pas question pour elle de financer des autorités afghanes dont les choix politiques iraient à l'encontre de nos valeurs fondamentales.

Enfin, monsieur le président Cambon, le Quai d'Orsay prend bien la mesure des évolutions dans la zone. Nos dispositifs dans les pays d'Asie ont été les moins impactés par les mesures de réduction des effectifs prises ces dernières années. Nous conduisons un travail important d'augmentation du nombre des experts techniques internationaux français dans l'espace indopacifique. Nous y travaillons au quotidien avec la Direction générale de la mondialisation, de la culture, de l'enseignement et du développement international. Cet effort se fait malgré tout dans le périmètre des moyens généraux attribués à notre ministère.

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