Intervention de Annick Billon

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 27 mai 2021 : 1ère réunion
Échange de vues sur les suites de la table ronde de la délégation du 8 avril 2021 sur le bilan de l'application de la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées

Photo de Annick BillonAnnick Billon, présidente :

Chers collègues, le 8 avril dernier, notre délégation réunissait autour d'une table ronde plusieurs acteurs centraux de la lutte contre le système prostitutionnel, afin de dresser le bilan de l'application de la loi du 13 avril 2016, cinq ans après son adoption.

Les interventions de nos invités à cette table ronde furent très enrichissantes et très denses. Y participaient notamment :

- nos collègues parlementaires Michelle Meunier et Maud Olivier, à l'époque rapporteures de la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées ;

- les auteurs du rapport inter-inspections de décembre 2019 portant évaluation de la loi du 13 avril 2016 ;

- la cheffe de l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH) à la Direction centrale de la police judiciaire ;

- les responsables du Mouvement du Nid ;

- la procureure générale près la Cour d'appel de Paris, présidente du groupe de travail sur la prostitution des mineurs ;

- les co-présidents de la commission Violences du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE), Ernestine Ronai et Édouard Durand ;

- enfin, l'Association Agir contre la prostitution des enfants.

Au cours de cette table ronde, qui a duré près de quatre heures, beaucoup de sujets ont été abordés, relatifs notamment à l'application inégale des dispositions de la loi sur l'ensemble du territoire. Ils concernaient également le manque de moyens associés à la mise en oeuvre de la loi, mais aussi le sujet crucial de la lutte contre la prostitution des mineurs, un phénomène en recrudescence et contre lequel nous ne sommes pas suffisamment armés.

Le constat unanimement partagé au cours de ces échanges était le suivant : si l'esprit de la loi votée en 2016 doit être salué comme un tournant décisif dans la lutte contre « la plus vieille violence du monde », son application effective sur l'ensemble du territoire est loin d'être à la hauteur des espérances exprimées il y a cinq ans par tous les défenseurs de la lutte contre le système prostitutionnel.

C'est d'ailleurs ce que nous écrivions le 16 avril dans une lettre ouverte adressée au ministre de l'intérieur, au garde des Sceaux, à la ministre chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et au secrétaire d'État chargé de l'enfance.

À ce jour, cette lettre n'a reçu aucune réponse.

Il m'a semblé important de nous réunir aujourd'hui afin de prendre le temps d'échanger sur les constats et propositions issus de cette table ronde. En effet, la richesse des interventions de nos invités le 8 avril n'avait sans doute pas permis à chacune et chacun d'entre vous d'intervenir suffisamment longtemps ni de s'exprimer sur les enseignements émanant de cette table ronde.

Avant de vous céder la parole, je rappellerai brièvement quels étaient ces enseignements qui, pour la plupart, ont été évoqués dans notre lettre ouverte au Gouvernement :

- sur une population totale de près de 40 000 personnes en situation de prostitution, 564 seulement ont bénéficié de la mise en oeuvre d'un parcours de sortie de la prostitution, soit moins de 2 % ;

- environ un quart des départements sont encore dépourvus d'une commission départementale de lutte contre la prostitution créée par la loi de 2016. En outre, un tiers de ces commissions n'ont pas encore commencé à examiner des parcours de sortie ;

- le montant de l'aide financière à l'insertion sociale et professionnelle proposée aux personnes prostituées - 330 euros mensuels pour une personne seule - est insuffisant ;

- les résultats obtenus en matière de pénalisation du client sont mitigés sur l'ensemble du territoire, voire insuffisants. Depuis l'entrée en vigueur de la loi jusqu'en 2020, le nombre de verbalisations de clients a été stable avec une moyenne annuelle de 1 300 individus concernés. La grande majorité des verbalisations est intervenue en région parisienne. Par ailleurs, les stages de sensibilisation à la lutte contre l'achat de services sexuels ne sont que très peu développés : environ un millier depuis l'entrée en vigueur de la loi ;

- la prostitution a changé de visage. La prostitution de rue a fortement diminué pour se déporter vers des zones périphériques tandis que la prostitution en intérieur, dite prostitution « logée », s'est fortement développée. La mise en relation entre les clients et les personnes qui se prostituent se fait désormais majoritairement par Internet ou via les réseaux sociaux. Les victimes de la prostitution se sont donc progressivement déplacées de l'espace public vers l'espace numérique ou privé. En 2020, la prostitution est pratiquée à plus de 90 % dans des hôtels ou des appartements privés. Au moment du vote de la loi de 2016, la prostitution sur la voie publique représentait plus de la moitié de la pratique prostitutionnelle en France contre seulement 9 % aujourd'hui ;

- il est donc primordial de donner aux services d'enquête des moyens humains et financiers à la hauteur des défis actuels ;

- enfin, le développement de la prostitution des mineurs est un phénomène inquiétant, évoqué à de nombreuses reprises par les membres de notre délégation, et qui doit mobiliser toutes les énergies. L'âge moyen d'entrée en prostitution se situe aujourd'hui à 14 ans. Entre 2016 et 2020, le ministère de l'intérieur a constaté une augmentation de plus de 300 % du nombre de victimes mineures de proxénétisme et de plus de 90 % entre 2019 et 2020. Une prévention spécifique de la prostitution des mineurs doit donc être mise en place, notamment en milieu scolaire, doublée d'une campagne nationale de communication et de sensibilisation.

Voilà résumés en quelques points les principaux enseignements de notre table ronde du 8 avril dernier, sur lesquels je vous invite à vous exprimer aujourd'hui.

Signe que la lutte contre le système prostitutionnel est plus que jamais d'actualité, le HCE a publié la semaine dernière un avis sur la loi du 13 avril 2016 pour réaffirmer son engagement abolitionniste et appeler à accélérer et harmoniser la mise en oeuvre de la loi pour répondre aux urgences sur le terrain. Il a notamment formulé des recommandations sur la consolidation du volet social de la loi, le renforcement de la politique pénale, et la nécessité de mener des campagnes d'information ainsi que des actions de prévention auprès des enfants et adolescents.

Sur un tout autre sujet, je tiens à saluer l'engagement de notre collègue Laurence Cohen qui s'est mobilisée, comme d'autres, depuis plusieurs mois, en faveur des femmes de chambre de l'hôtel Ibis des Batignolles, qui ont récemment obtenu gain de cause. Il est important de le souligner. Elles ont su trouver, à travers Laurence Cohen et d'autres collègues, un soutien indéfectible.

Je cède sans plus tarder la parole à Marie-Pierre Monier.

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