Intervention de Laurence Rossignol

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 27 mai 2021 : 1ère réunion
Échange de vues sur les suites de la table ronde de la délégation du 8 avril 2021 sur le bilan de l'application de la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées

Photo de Laurence RossignolLaurence Rossignol :

Nous sommes effectivement devant une situation compliquée et exceptionnelle. La loi de 2016 a demandé une volonté politique farouche et une détermination sans faille pour parvenir à son adoption et à sa promulgation. Volonté de la part des trois ministres s'étant succédé pour la porter et des deux rapporteures Mmes Olivier et Meunier, ainsi que du HCE et de sa présidente de l'époque, Danielle Bousquet, qui a été à l'initiative du premier rapport parlementaire sur la prostitution.

Je me demande qui veut l'application de cette loi. Le Gouvernement n'a aucune envie de la faire appliquer. Durant plusieurs années, la secrétaire d'État chargée de l'égalité femmes-hommes y était hostile, bien qu'elle ne l'ait pas exprimé clairement lorsqu'elle était au gouvernement. Il n'est pas toujours nécessaire de montrer cette hostilité. Il suffit de ne rien faire pour que la loi ne soit pas appliquée. Une partie du monde associatif y est également hostile, ne le sous-estimons pas. S'y ajoute une fragilité de la couverture de ce dernier sur le territoire. Enfin, soyons réalistes, le pourcentage de clients de prostituées est le même dans toutes les strates de la société. Aucune profession n'est épargnée. Nous avons affaire à un double blocage : le lobby des clients, diffus bien qu'il ne soit pas organisé, et le lobby des soi-disant travailleurs et travailleuses du sexe, qui mènent une offensive au plan européen et national pour faire de la prostitution une activité légale et banale.

D'un point de vue plus positif, il me semble qu'un sondage réalisé par Le Nid il y a deux ans montrait que la population française adhérait progressivement à la loi. Nous observons un décalage entre la volonté politique, l'éducation de la population française et l'inaction, qui l'emporte aujourd'hui.

Actuellement, un recours auprès de la Commission européenne des droits de l'homme (CEDH) conteste la loi française. Il sera traité. Je pense que la Suède sera partie prenante dans cette discussion, puisqu'elle est très avancée sur le sujet. Pour enfin appliquer la loi, nous devons regarder ce qu'a fait ce pays abolitionniste, totalement déterminé.

Je ne sais pas comment nous pouvons contraindre le Gouvernement à agir. Le ministre de l'intérieur a reçu récemment des préfets, à qui il a demandé leurs objectifs et résultats en matière de lutte contre l'immigration. Chacun devait donner ses chiffres. Le jour où il leur demandera de communiquer leurs chiffres sur la lutte contre le système prostitueur, nous aurons gagné. Nous devons continuer à questionner le Gouvernement sur la réalité de l'application de cette loi.

Je suis d'accord avec la présidente, nous devons mobiliser les préfets. Je l'ai fait moi-même. Les préfets de mon département, le précédent et l'actuel, ayant pour habitude de prendre en compte les suggestions des parlementaires, une réunion de la commission prostitution s'est tenue. Mais il faut de la continuité.

Une bataille idéologique et culturelle doit être menée. Au vu de l'engagement actuel de notre société contre les violences sexuelles, je m'étonne du plafond de verre touchant la prostitution. Les violences sexuelles sont particulièrement identifiées, jusqu'à ce que nous évoquions cette activité. Nous passons alors sur un autre terrain, qui est celui des libertés individuelles. « Chacun fait ce qu'il veut de son corps, tant que cela se passe entre adultes consentants ».

Nous devrions utiliser le sujet de la prostitution des mineurs pour faire avancer le débat. L'application stricte de la loi de 2016 permettrait en effet de lutter contre ce fléau dans le même temps.

Pourquoi la pénalisation ou la responsabilisation du client est-elle indispensable ? Nous devons poser un interdit dans notre société quant au fait qu'on n'achète pas le corps des femmes - ou des hommes, mais principalement des femmes. Tant que ce principe ne sera pas posé et ne fera pas partie des méthodes éducatives, tant qu'il y aura des récompenses après la victoire d'équipes sportives, au cours desquelles les garçons sont incités à acheter du sexe de l'autre côté de la frontière espagnole, comment voulez-vous changer les mentalités ? C'est pourtant ce qu'il faut faire. Nous devons nous exprimer là-dessus, et dire dans quel camp nous nous situons. Sinon, nous sommes tétanisés par les « travailleuses du sexe », qui sont une poignée et qui ne représentent en rien les victimes de prostitution. L'idée de la prostituée libre et heureuse est une mystification. La majorité des prostituées sont sous la coupe de trafiquants d'êtres humains ou de proxénètes. Le service de protection de l'enfance doit intégrer ce sujet. Dans certains départements, les proxénètes viennent chercher les filles à la sortie des foyers de l'Aide sociale à l'enfance (ASE), et les y reconduisent le lendemain matin, devant des éducateurs accablés, mais n'ayant pas les moyens d'agir. Nous n'avons d'autres solutions que de nous attaquer aux clients, pour éradiquer et éteindre le marché en pénalisant le consommateur.

Je n'ai pas de solution miracle. Je ne sais pas comment nous pourrions nous substituer à la complaisance et l'indifférence du Gouvernement face à ce drame humain.

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