Intervention de Jean Arcelin

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 27 mai 2021 : 1ère réunion
Témoignage de linda accompagnée de m. jean arcelin écrivain co-auteurs du livre l'ange de pigalle

Jean Arcelin, écrivain, co-auteur du livre L'Ange de Pigalle :

Bonjour. Une précision : Linda ou Paulette, prénoms cités dans le livre, se prénomme en réalité Arlette. Au début, Arlette voulait garder son anonymat. J'ai donc transformé son prénom en Paulette. Linda est son prénom professionnel.

Arlette a un petit fils de 16 ans. La jeunesse l'intéresse beaucoup. Lorsque je l'ai rencontrée, elle voulait offrir un témoignage sur la prostitution, mais aussi sur toutes les femmes qui vivent dans la violence et dans la contrainte. J'ai été frappée de voir qu'Arlette souffrait surtout du mensonge, du fait d'avoir passé toute une vie dans le mensonge et dans la honte.

Les jeunes se prostituent aujourd'hui parce que la sexualité est banalisée au travers de la pornographie. Ils n'ont pas conscience que se prostituer, même une seule fois, revient à vendre quelque chose de l'ordre du sacré, de l'invendable. Après, on porte une honte qui est ineffaçable. Pour cette raison, l'une des motivations d'Arlette était d'offrir un témoignage de prévention.

Linda. - Oui. Ces filles peuvent aussi tomber sur des garçons comme ceux que j'ai connus. Sur Internet, elles peuvent passer une petite annonce qui les mènera vers un homme les entraînant dans la prostitution pour toujours, toute la journée, et pas une ou deux fois par mois. C'est ce que je veux leur dire. J'ai connu des filles à qui c'est arrivé. Cette jeunesse ne se rend pas compte du danger auquel elle s'expose en rentrant dans la prostitution.

Il y a tout un travail de prévention très important à mener. Je ne suis pas un spécialiste de la prostitution. Mon précédent livre portait sur les EHPAD, il dénonçait la réalité du quotidien de ces établissements. J'aime toujours écrire des romans vrais dans lesquels je dénonce une réalité sociale. Lors de mes échanges avec plusieurs femmes prostituées, j'ai remarqué que trois éléments peuvent mener à la prostitution :

- l'abus sexuel : il faut une forme de mépris pour son propre corps pour se prostituer ;

- une fragilité, une vulnérabilité quelle qu'elle soit : la misère, l'innocence - je crois que c'était le cas pour Arlette ;

- une mauvaise rencontre.

Ces trois éléments réunis peuvent faire basculer une vie dans la prostitution.

Le destin d'Arlette m'a touché car elle est née en 1943 comme ma mère et j'ai eu l'impression, en découvrant son histoire, que beaucoup d'autres femmes auraient pu basculer dans la prostitution à sa place.

Linda. - Lors d'un reportage sur mon histoire réalisé à la sortie du livre, la journaliste qui m'interrogeait s'est mise à pleurer. Elle m'a dit que sa propre mère avait failli basculer dans la prostitution, comme moi, ce qui l'a émue.

Moi, je n'aurais jamais cru que je deviendrais un jour une prostituée. Je suis tombée sur un garçon qui a commencé par me massacrer - je suis marquée de partout - avant de m'obliger à me prostituer. Je voulais me suicider, tant j'étais dégoûtée de moi. J'ai été sauvée, mais j'avais honte de moi, de vendre mon corps pour de l'argent. Je préférais encore travailler à l'usine, j'y étais beaucoup plus heureuse.

Vous savez, j'avais pris un petit chien, auquel j'avais dit « Paris, c'est beau, mais les gens sont complètement cinglés ». Je ne pouvais parler qu'avec lui. J'avais peur. Le soir, j'étais dégoûtée de me sentir, de me voir.

C'est une tache, une honte. C'est ce qu'il faut dire aux jeunes. C'est vendre quelque chose de sacré. Cette honte ne part pas. Elle reste avec vous toute votre vie.

À la fin du livre, j'ai assisté à cette scène qui m'a bouleversé, lorsqu'Arlette retrouve Jean, son premier amoureux. En rentrant dans cette maison, nous avons été accueillis par la femme pour laquelle il l'avait quittée. Nous avons eu le vertige en pensant que cette femme aurait pu être Arlette. Une mauvaise rencontre a fait basculer sa vie.

Linda. - Ma mère m'avait dit qu'il ne fallait pas qu'un garçon me touche, sinon je tomberais enceinte. Parfois, notre vie peut être gâchée. À cette époque, les parents ne nous expliquaient rien. Lorsque j'ai eu mes règles, j'ai pleuré en pensant que j'allais mourir. Le curé avait mis la main dans ma culotte la veille. J'ai cru que mes règles étaient arrivées à cause de lui. Ma mère m'a dit que je les aurais chaque mois. Elle m'a donné des serviettes en éponge. Elle ne m'a même pas parlé de la durée des règles. J'ai dû en parler à ma grand-mère, qui m'a indiqué qu'elles dureraient quatre ou cinq jours.

Quand vous ne connaissez rien à la sexualité et que vous vous retrouvez prostituée, c'est affreux. Je voyais tous ces hommes me toucher, me demander des choses. Je ne connaissais rien. Je n'avais couché qu'avec mon tortionnaire.

Les hommes me demandaient des choses inimaginables. Si je vous racontais tout ce que j'ai dû faire avec des hommes dans ma vie, vous me diriez que ce n'est pas possible. Je peux vous assurer que certains ont des fantasmes terribles. Je devais en piquer un avec des aiguilles. J'en promenais un autre, nu avec un collier de chien. Certains hommes ont des fantasmes inimaginables.

Certains passages du livre sont explicitement sexuels, car c'était l'activité d'Arlette, mais nous nous sommes tout de même largement censurés. Nous pouvons nous interroger quant au rôle de ces femmes prostituées dans la réalisation des fantasmes masculins. Avez-vous des questions précises auxquelles nous pourrions répondre ?

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion