Je veux rebondir sur quelques propos de M. Savin tout à l'heure, la situation actuelle comporte beaucoup d'ambiguïté. Vous vous demandez, par exemple, s'il est difficile de trouver un sponsor en tant que femme. C'est une question qui nous est souvent posée. Aujourd'hui, ce n'est pas tellement le cas. Au contraire, j'ai parfois l'impression que c'est plus simple. Nous sommes moins nombreuses, et plus regardées. C'est le revers de la médaille. Cette situation d'inégalité nous est finalement utile lorsque nous cherchons des sponsors ou que nous souhaitons communiquer, ce qui illustre en réalité le déséquilibre de la situation.
Nous avons évoqué tout à l'heure l'éventualité d'imposer la mixité dans les équipages. Je voulais rappeler que la Volvo Ocean Race, plus ou moins similaire à la course à laquelle va participer Clarisse, a été l'une des premières courses en équipage à inciter très fortement à la mixité, sans l'imposer. Les règles étaient telles que les skippers se voyaient obligés d'accepter des femmes à bord. J'ai vu des discours changer du tout au tout de la part d'hommes connaissant pourtant bien les femmes navigatrices. La règle a été assez mal reçue lors de sa mise en place. À la fin du tour du monde, nous avons néanmoins réalisé que les femmes avaient pris leur place à bord, qu'elles étaient reconnues, que leurs compétences l'étaient également. Les skippers étaient très contents d'avoir eu des femmes à bord. Ils ont découvert nos capacités et notre complémentarité. Aujourd'hui, nous observons un vivier de femmes avec de l'expérience et des compétences, qu'elles ne pouvaient pas affirmer plus tôt, car elles manquaient d'expérience.
Je voulais également rebondir sur le fait qu'en étant moins nombreuses, il est compliqué de comparer les performances des femmes à celles des hommes dans la course au large. Nous sommes si peu représentées que nous ne sommes pas visibles. Si nous observons nos résultats proportionnellement à notre représentation, ils sont largement équivalents à ceux de nos homologues masculins, et ce malgré nos petits gabarits. Il est vrai qu'en solitaire, la force physique est un élément de performance parmi d'autres : la stratégie, la résistance, le mental, la capacité à gérer son bateau... Lorsqu'on se pose ces questions, il est toujours important de se rappeler que, n'étant pas très nombreuses, un seul podium féminin sur une année est déjà énorme.
En tant que femmes, il n'est pas toujours simple de trouver notre place dans un milieu d'hommes sans dénaturer notre féminité. Il est beaucoup plus facile de commencer en se calquant sur la manière de fonctionner des hommes. Un univers masculin se ressent même dans la façon de s'exprimer ou d'imaginer la course. C'est assez subtil. À mon sens, le fait de nous assumer en tant que femmes représente un réel enjeu. J'ai une préparation physique adaptée à la femme que je suis. Je me prépare quotidiennement en faisant du Pilates, je fais de la course à pied, je travaille beaucoup la souplesse. En effet, la force sans souplesse amène à des blessures qui durent très longtemps. Je pratique ce métier depuis 17 ans. Il faut tenir sur la durée. Dans ma préparation mentale, je laisse également beaucoup de place à la méditation et à des pratiques corporelles qui ne relèvent pas nécessairement d'un entraînement musculaire difficile. Je laisse la place aux sports doux, me permettant d'aborder mon corps d'une autre manière. C'est grâce à notre bateau, mais aussi à notre corps, que nous sommes performants. Il est important pour moi de me respecter. C'est, je pense, une approche très féminine. J'ai abordé le Vendée Globe avec cet état d'esprit. J'ai été heureuse de remarquer qu'il m'avait aidé à performer, peut-être au moment où je m'y attendais le moins. Je ne pensais pas réussir à être aussi performante dans les mers du sud, passage difficile de la course. Finalement, le fait de m'assumer en tant que femme s'est révélé payant !