Merci. Je pense en effet que nous tendons vers quelque chose de plus universel. Si je comprends bien, la question porte sur une éventuelle sortie du clivage entre les hommes et les femmes pour parler de l'avenir de notre monde. Je pense que nous évoluons dans cette direction, bien qu'il y ait encore du chemin à parcourir. La première étape, que je mentionne souvent, consiste à se reconnaître soi-même dans sa spécificité. Je pense que la notion de complémentarité entre les hommes et les femmes permet d'accéder à l'universalité pour des causes communes. Les uns et les autres doivent trouver leur place, la prendre, la gagner, et qu'elle leur soit donnée. C'est également pour cette raison que nous parlons, nous les femmes, dans ce milieu encore très masculin.
J'insiste tout de même sur le fait que, lorsque j'ai démarré ma carrière, je me suis sentie accueillie dans la course au large. J'avais l'impression qu'une place m'était dédiée. Nous n'étions pas nombreuses à l'époque en mini 6.50, et j'étais persuadée que nous serions bien plus représentées quelques années plus tard, au vu de l'accueil que j'avais reçu. C'était pour moi une évidence que nous allions atteindre la parité rapidement. Au bout de huit ans, je me suis retournée sur mon parcours et j'ai réalisé que la proportion de femmes dans la course au large n'avait absolument pas évolué. Lors d'une de mes participations à la Solitaire du Figaro, j'étais même la seule femme en course. J'ai pris conscience du fait que la situation n'évoluait pas aussi vite que ce que j'espérais. Les gens s'émerveillaient encore en constatant que des femmes pouvaient gagner des courses. Si un fait continue d'étonner, c'est qu'il n'est pas encore considéré comme allant de soi. Selon moi, la performance féminine dont nous avons toutes fait preuve à plusieurs reprises ne devrait pas donner lieu à ces réactions. À cette époque, le regard porté sur nous montrait pourtant que ce métier n'était pas encore considéré comme une activité normale pour des femmes.
Je me suis également aperçue d'un double paradoxe dans la course au large. Cette discipline est extrêmement physique, notamment sur les bateaux de soixante pieds que nous skippons actuellement. Pourtant, les femmes réussissent aussi bien que les hommes. La course au large est en outre l'une des rares disciplines mixtes, ne comportant pas de classement féminin. Nous pourrions donc imaginer que de nombreuses femmes seraient amenées à concourir. Elles sont pourtant très peu nombreuses, malgré cette absence de distinction entre les hommes et les femmes. C'est ce constat qui m'a poussé à m'engager sur la question. Nous avons besoin d'aide pour accompagner un changement des mentalités. De nombreux facteurs entrent en jeu dans cette si faible représentation. On nous demande souvent quels sont les freins que nous rencontrons. Ils sont extrêmement nombreux, et comprennent la façon dont nous sommes éduquées, le fonctionnement de notre société, ne serait-ce que laisser partir les femmes en mer durant des mois lorsqu'elles sont mères de famille... Il était important de participer à ce mouvement.
Horizon Mixité a été créée en 2012. Je préside cette association depuis lors, pour participer et promouvoir la mixité entre les hommes et les femmes dans tous les domaines de la société. La course au large a constitué le point de départ de notre action, ce qui me semblait symbolique. Même dans une discipline physique, les femmes ont toute leur place. Elles réussissent aussi bien que les hommes. Pourquoi certains domaines seraient-ils réservés à l'un ou l'autre sexe ? La question se pose dans les deux sens. Notre association a pour objectif de favoriser la mixité au travers de différents domaines d'actions. Nous souhaitons inspirer les femmes, favoriser la confiance en soi et le leadership féminin à travers la navigation en équipage, impliquer les hommes - c'est la base de tout changement en faveur de l'égalité et de la mixité - et éduquer les enfants. Pour changer une société, nous devons démarrer très tôt.
Nous avons été le premier relais de la campagne He for She de l'ONU, lancée en 2014. Elle visait à impliquer les hommes en les invitant à se faire prendre en photo avec un panneau sur lequel était inscrit « He for She », signifiant qu'ils étaient sensibles au fait que l'égalité entre les sexes concerne autant les hommes que les femmes. Ce n'est pas un combat de femmes, mais de chacun pour contribuer à une meilleure société. Nous avons invité les grands marins de la course au large à s'investir, au départ de la Route du Rhum en 2014. Nous avons proposé une exposition de photographies qui a fait le tour de la France. Elle a montré que la course au large n'est pas un milieu machiste, malgré les préjugés. Ce milieu est ouvert. Comme partout dans la société, nous y trouvons quelques machos, mais aussi beaucoup d'ouverture d'esprit.
Nous avons mené d'autres actions. Nous faisons naviguer des femmes et des hommes. Nous proposons à des débutantes de naviguer d'abord entre femmes, ce qui soulève un réel problème dans la question de la mixité. Avant d'avoir des compétences, les femmes à bord d'un équipage mixte ne vont pas nécessairement chercher les postes stratégiques. Elles ont tendance à s'effacer, comme partout. Avant de faire de la course au large, j'ai été monitrice de voile. J'ai bien vu qu'il était moins facile pour une femme de prendre la barre si elle ne savait pas le faire. Pour cette raison, nous laissons des femmes ne sachant pas naviguer toucher à tous les postes pour gagner en confiance, et ainsi proposer par la suite leurs services à des équipages mixtes pour des régates. Nous alternons entre la mixité et la non-mixité, en vue de développer de la compétence.
Nous avons également créé un kit pédagogique autour du Vendée Globe, traitant de la question de la mixité, téléchargeable par les enseignants. Avec les visites d'écoles, cette action nous semble essentielle pour inspirer les enfants, et surtout les petites filles qui se disent souvent que ce métier n'est pas pour elles. Oui, nous souhaitons faire rêver les filles et les femmes.
Enfin, nous avons récemment mené une action symbolique en équipant le centre nautique de Lorient d'un distributeur de protections hygiéniques gratuites, dans l'objectif que tous les clubs de voile français en installent également. Toutes les femmes, et notamment les jeunes femmes, n'ont pas accès à ce confort leur permettant d'approcher le sport. C'est un véritable frein à la pratique sportive. Symboliquement, cette action assoit la présence des femmes dans les clubs de voile. Nous y sommes présentes, avec les contraintes qui sont les nôtres.
Notre association a très envie de multiplier ce type d'actions à la fois pratiques et symboliques pour montrer que parfois, de tout petits gestes peuvent faire changer les choses.