Intervention de Christian Cambon

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 7 avril 2021 : 1ère réunion
Audition de s.e. M. Ihara Junichi ambassadeur du japon en france

Photo de Christian CambonChristian Cambon, président :

Monsieur l'ambassadeur, nous vous écoutons.

SE M. Ihara Junichi - Merci pour toutes vos questions qui dénotent l'étendue de votre intérêt pour mon pays.

Vous m'avez interrogé sur les innovations dans le domaine de la santé et sur le traitement des données. Au Japon, comme dans l'Union européenne, nous pensons qu'il est très important de protéger les données personnelles. Nous avons donc mis en place tous les dispositifs nécessaires pour les protéger. Cette solution est essentielle car dans les campagnes et dans les petites communautés, la population diminue et il est donc plus difficile d'y apporter un service de santé. L'utilisation de la technologie est donc indispensable pour compléter notre capacité à rendre le service nécessaire à la population.

En effet, le vieillissement de la population est peut-être le défi le plus sérieux pour le Japon. Le taux de natalité se situe autour de 1,4, ce qui n'est pas suffisant pour maintenir la population à son niveau actuel. Traditionnellement, le Japon a toujours été très prudent quand il s'est agi de faire appel à des travailleurs étrangers. Or beaucoup de secteurs industriels et de commerces ont besoin de main d'oeuvre. Face à ce constat, le gouvernement a essayé d'assouplir le régime en vigueur pour permettre à plus d'étrangers de venir au Japon pour travailler.

Parallèlement, nous cherchons à valoriser aussi deux groupes de Japonais : les femmes et les personnes âgées. Tout d'abord, il faut encourager les femmes japonaises à travailler même après le mariage et après la naissance des enfants. Concernant nos aînés, je rappelle que l'âge de la retraite est traditionnellement de 55 ans ou de 60 ans. Or beaucoup de personnes au-delà de 60 ans sont encore actives et en bonne santé ; il faut s'appuyer sur elles pour revitaliser la société japonaise. L'âge de la retraite a déjà été repoussé et nous envisageons de le repousser encore. D'ailleurs, beaucoup de personnes âgées veulent continuer à travailler. Nous devons par conséquent mettre en place les conditions nécessaires pour que les personnes âgées puissent continuer de contribuer à l'avenir de la société.

Pour ce qui concerne les Jeux Olympiques et Paralympiques dont l'ouverture est prévue le 23 juillet, le comité d'organisation est en train de fournir tous les efforts pour que les Jeux soient menés de manière sûre et sécurisée. Le sondage que vous avez évoqué d'un quotidien japonais signifie que beaucoup de Japonais s'inquiètent de la tenue des JO dans leur pays et craignent la propagation du coronavirus. Ils ne sont pas opposés à l'organisation des Jeux Olympiques mais simplement inquiets. Il appartient donc au gouvernement de rassurer la population et de lui dire que les Jeux Olympiques et Paralympiques seront organisés de manière sûre et sécurisée. C'est pour cette raison que, récemment, nous avons décidé que les Jeux se dérouleraient sans spectateurs d'outre-mer.

J'en viens maintenant à la situation dans les îles Senkaku. Après la restauration dite Meiji, dans la deuxième partie du XIXe siècle, nous avons envoyé une mission d'investigation dans ces îles alors inhabitées pour vérifier si d'autres autorités exerçaient un pouvoir sur ces îles. À cette époque, aucun pays n'en exerçait. Aussi, suivant la procédure internationale, le gouvernement a intégré les îles Senkaku dans le territoire japonais et aucun pays ne l'a contesté. Cette situation a continué jusqu'aux années 1970. Après la diffusion d'informations sur la présence potentielle de ressources hydrocarbures sur ce territoire, la Chine a commencé à s'y intéresser et les a revendiquées. Mais ces îles ont toujours été administrées par le Japon. Les États-Unis s'engagent aujourd'hui à protéger l'intégralité du territoire japonais, y compris ces îles, d'après l'article 5 du traité de sécurité entre les États-Unis et le Japon.

Quant à la possibilité de résoudre ce problème par la voie diplomatique, bien entendu, en général, la solution diplomatique est toujours préférable. Mais, d'après le gouvernement du Japon, il n'y a pas de problème car ces îles appartiennent depuis toujours au Japon. Aucune solution diplomatique n'est donc à invoquer. Il faut simplement que la Chine arrête de les réclamer.

Sur quelle base juridique la Chine revendique-t-elle ces îles ?

SE M. Ihara Junichi. - La Chine met en avant quelques documents chinois qui mentionnent ces îles.

Au sujet du numérique et de nos coopérations technologiques, j'ai récemment visité le campus Paris Saclay et j'ai été très impressionné par les coopérations entre les universités, les grandes écoles et les entreprises. Il existe un fort dynamisme autour de l'innovation en France et beaucoup de start-ups. Au Japon, les industriels s'intéressent à cette dynamique française et nous essayons de créer un environnement qui favorise la coopération technologique entre la France et le Japon. La chambre de commerce et d'industrie de la région Paris - Île-de-France et notre groupe des industriels japonais discutent des moyens de favoriser et d'encourager ces échanges et la coopération dans ces domaines.

Concernant la difficulté des parents français à voir leurs enfants après un divorce avec un conjoint japonais, je suis tout à fait conscient de la gravité de cette question. Il faut la traiter de manière proactive. Cependant, le système japonais et le système français ne sont pas identiques. En effet, le système japonais ne reconnaît pas le partage de l'autorité parentale aux parents séparés. Le droit parental ne peut appartenir qu'à un seul parent. Dans ce cadre, nous essayons donc de trouver une solution équilibrée. Ce qui importe, c'est le bien-être des enfants. Le gouvernement doit donc faciliter la concertation entre les parents et c'est pourquoi le comité consultatif pourrait faciliter les discussions entre les parties concernées. De plus, le problème est plus large et concerne également les enfants issus de parents japonais séparés. Il nous faut trouver une solution équitable en mettant d'abord l'accent sur le bien-être et le bonheur des enfants.

L'empereur pour les Japonais est une personnalité très importante mais l'empereur n'a aucun pouvoir politique. Par conséquent, le changement d'empereur n'affecte pas du tout la politique japonaise. Cependant, ce renouvellement change l'atmosphère et tous les Japonais se félicitent d'avoir un nouvel empereur.

L'année dernière, Monsieur Abe a par ailleurs démissionné et Monsieur Suga lui a succédé. Pendant près de 8 ans, Monsieur Suga a été le secrétaire général du gouvernement de Monsieur Abe. Monsieur Suga a donc été impliqué dans toutes les dernières réformes importantes. Il a indiqué qu'il allait poursuivre la politique de Monsieur Abe, mais il propose des avancées dans trois domaines. La première accélération concerne la lutte contre le changement climatique. Le Japon avait d'abord hésité à s'engager en faveur de l'objectif « zéro carbone pour 2050 » mais Monsieur Suga a décidé de réaliser la neutralité carbone d'ici 2050. Le deuxième changement est que Monsieur Suga comprend très bien l'importance du numérique car il a été autrefois ministre chargé des Communications. Au Japon, il n'existait pas d'agence nationale en charge du numérique et le Premier ministre a annoncé la création d'une telle agence. La loi a été proposée à la Diète et cette nouvelle agence devrait voir le jour en 2021. Le troisième changement est relatif à la réforme administrative. C'était aussi la troisième flèche des « Abenomics », qui n'a pas abouti pendant son mandat. C'est donc un sujet à approfondir pour dynamiser la société japonaise. Monsieur Suga a nommé Monsieur Kono, ancien ministre des affaires étrangères et bien connu pour son aversion contre la bureaucratie, pour mener à bien cette réforme, signe que le gouvernement Suga a la ferme intention d'aboutir dans ce domaine.

Vous m'avez aussi interrogé sur nos relations avec les États-Unis. Le sujet du renouvellement du traité de sécurité n'est pas un sujet entre les deux pays. Nos deux pays considèrent que ce traité de sécurité fonctionne très bien et qu'il n'existe pas de raison de le revoir ou de le revisiter.

Concernant les infrastructures de connectivité, notre souhait est de proposer des alternatives aux pays en voie de développement. Les aides chinoises sont souvent des prêts, ce qui aggrave l'endettement de ces pays. De plus, les infrastructures proposées par les Chinois ne sont pas forcément durables. Il apparaît donc nécessaire d'offrir une alternative à ces pays en voie de développement. C'est l'un des aspects de la politique de l'indopacifique libre et ouvert.

Pour répondre à vos questions sur l'environnement, l'hydrogène est vu comme la technologie du futur au Japon. Sur les véhicules, l'hydrogène n'est pas encore une énergie leader. Des investissements doivent donc être consentis et des solutions doivent être proposées en matière d'infrastructures. La question est aussi de produire l'hydrogène. L'utilisation du gaz naturel est certes une technique moins polluante que d'autres mais notre objectif doit être de produire de l'hydrogène grâce aux énergies renouvelables. C'est un défi sur lequel nous travaillons.

Vous m'avez aussi interrogé plus globalement sur notre stratégie énergétique. Le Japon a annoncé sa stratégie de neutralité carbone d'ici 2050. D'ici la COP 26, chaque pays devra donc afficher une feuille de route plus ambitieuse. Le Japon est en train de revoir ses plans de réduction des émissions de gaz à effet de serre en ce sens. Dans la discussion sur notre mix énergétique à 2030 ou 2050, la question est de déterminer quelle doit être notre dépendance à l'énergie nucléaire. C'est un sujet très politique au Japon. Après l'accident de Fukushima, beaucoup de personnes se sont opposées aux centrales nucléaires, mais sans nucléaire il est difficile d'avoir un mix énergétique réaliste et fiable.

Pour ce qui concerne les déchets radioactifs et les eaux de Fukushima, il faut rappeler que toutes les centrales nucléaires produisent des eaux légèrement contaminées qui sont éliminées dans l'océan. Ce n'est pas scientifiquement considéré comme très dangereux. Cependant, compte tenu de la sensibilité des Japonais à ce problème, le Japon actuellement ne rejette pas les eaux qui contiennent encore des éléments radioactifs dans les installations de Fukushima. Nous attendons la décision du gouvernement sur ce sujet.

Je ne dispose pas de chiffres stabilisés sur le bilan du partenariat économique de notre accord avec l'Union Européenne mais je sais que le commerce a progressé dans les deux sens. C'est donc un accord gagnant/gagnant entre les deux partenaires. Il faut continuer à travailler pour que cet accord prospère dans cet intérêt conjoint.

Concernant Taïwan, nous avons oeuvré à sa participation effective aux activités internationales comme la santé. Taïwan est une entité importante même si ce n'est pas un pays qui doit être traitée en abordant la question sous un angle pratique et non politique. En matière de santé, il est important que Taïwan s'engage dans les activités internationales, c'est dans l'intérêt de Taïwan mais aussi de la communauté internationale.

Pour ce qui concerne nos relations avec le Royaume-Uni, nous avons pu nous inquiéter du Brexit. Dès son annonce, le Japon a commencé à se pencher sur ses relations futures avec le Royaume-Uni. Dès l'année dernière, nous avons ainsi passé un accord avec le Royaume-Uni qui encadre la situation post Brexit et prévoit le maintien de nos relations économiques et commerciales. Le Royaume-Uni est toujours le bienvenu dans la construction de l'espace indopacifique. Le Premier Ministre Boris Johnson a annoncé sa nouvelle politique étrangère qui s'oriente beaucoup vers l'Asie, ce dont nous nous félicitons.

S'agissant de la crise sanitaire au Japon, le taux d'incidence est certes moins important qu'en France ainsi que le taux de saturation des réanimations des hôpitaux. Cependant, nous nous inquiétons de la situation et de la pression sur les hôpitaux. Le gouvernement et la population s'inquiètent aussi de la propagation des variants. A Osaka, nous avons vu une augmentation très rapide du nombre de cas de contamination et nous commençons à parler d'une quatrième vague. La situation n'est pas totalement contrôlée. Il est vrai que la vaccination a été retardée au Japon où 1 % de la population a été vacciné, alors que la campagne a commencé en février. Il faut que le Japon renforce ses efforts de vaccination pour maîtriser la situation sanitaire.

Merci infiniment Monsieur l'Ambassadeur d'avoir répondu à l'ensemble des questions. Nous voyons bien à travers vos propos l'identité de vue qui nous relie, ce qui nécessite de renforcer encore notre coopération, qu'il s'agisse de la dimension géostratégique et des menaces qui pèsent sur vous ou dans d'autres domaines. La France et le Japon défendent les mêmes valeurs, les mêmes principes et la coopération entre nos deux pays est très importante. Vous avez évoqué la crise de la Covid -19 et j'espère que nos deux pays s'en relèveront très rapidement. Nous vous souhaitons aussi bonne chance dans l'organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques que nous ne verrons qu'à la télévision malheureusement.

Par ailleurs, la coopération entre nos parlements est vraiment souhaitable. Lorsque le contexte sanitaire le permettra, nous engagerons une relation plus suivie. Comme vous l'avez dit, la France est très présente dans l'indopacifique : près de 2 millions de nos concitoyens y vivent. Beaucoup de pays riverains comptent sur la présence de la France, dont l'Australie. Nous devons là aussi travailler ensemble.

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