Intervention de Jean-Yves Le Drian

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 7 avril 2021 : 1ère réunion
Projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales — Audition de M. Jean-Yves Le drian ministre de l'europe et des affaires étrangères

Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères :

Enfin ! Cette loi, maintes fois repoussée, était attendue. Les budgets successifs ont certes précédé ce projet de loi, mais il convenait de structurer nos priorités. Je tiens à remercier tous ceux qui, depuis trois ans, ont travaillé à l'aboutissement de ce texte. La convergence de ce projet de loi avec la crise que nous traversons en démontre toute la pertinence.

Nous vivons dans un monde de compétition exacerbée, où l'influence est devenue un enjeu de puissance majeur. L'aide au développement ne fait pas exception : elle est devenue un enjeu d'influence dans la conflictualité des modèles et des valeurs.

La France est revenue dans le jeu : notre aide publique au développement (APD) a dépassé les 10 milliards d'euros par an, atteignant 12,8 milliards d'euros en 2020. Il s'agit d'un véritable changement de braquet, conformément à l'engagement pris par le Président de la République au début de son mandat. Notre aide publique au développement, qui représentait 0,38 % de notre richesse nationale en 2016, s'établit actuellement à 0,48 % du PIB et notre objectif est d'atteindre 0,55 % en 2022. Dans la crise, nous avons tenu à maintenir notre engagement en volume, avec une augmentation de 18 % entre 2019 et 2020 et de 33 % entre 2020 et 2021. Nous devrions dépasser le Royaume-Uni en 2021, pour nous classer au quatrième rang mondial des bailleurs d'APD.

Il fallait faire plus, mais il faut aussi faire mieux. C'est pourquoi ce projet de loi propose un changement de méthode, en profondeur, dans le sillage des efforts de rénovation engagés depuis le Cicid de février 2018.

Nos priorités sont clairement définies, à commencer par nos priorités géographiques, avec une concentration de nos dons sur les pays les plus vulnérables ; il s'agit des dix-neuf pays prioritaires appartenant à la catégorie des pays les moins avancés - Haïti et dix-huit pays d'Afrique subsaharienne. Ces pays seront destinataires de la moitié de l'aide projet mise en oeuvre par mon ministère, soit 70 millions d'euros, et de deux tiers de l'aide projet mise en oeuvre par l'AFD, qui s'élève à 816 millions d'euros en 2021 ; à cela s'ajoute une augmentation de 10 % de notre contribution à l'association internationale de développement de la Banque mondiale.

Nous réaffirmons aussi nos priorités thématiques. Nous voulons investir dans l'avenir et les biens communs mondiaux, selon le triptyque que vous avez rappelé : « nourrir, former, soigner. »

C'est ainsi que nous contribuons au renforcement des systèmes de santé primaire des pays les plus fragiles, au travers notamment de l'initiative « Santé en commun », qui a permis d'améliorer la prise en charge des malades au Sénégal, en Guinée, au Burkina Faso et en République centrafricaine.

Nous agissons également en faveur de la préservation du climat et de la biodiversité. Notre contribution au Fonds vert pour le climat a doublé depuis 2017, pour passer de 750 millions à 1,5 milliard d'euros, ce qui nous permet de renforcer notre crédibilité diplomatique dans les enceintes multilatérales. Cinq ans après les accords de Paris, l'urgence environnementale est une urgence absolue et elle prend un relief particulier en cette année du Congrès de l'union internationale pour la conservation de la nature qui se tiendra à Marseille, de la COP26 qui aura lieu à Glasgow et de la COP15 sur la biodiversité qui est prévue à Kunming. Tous les financements de l'AFD sont bien entendu compatibles avec l'accord de Paris, mais pour moitié d'entre eux ils présentent même un co-bénéfice climat. Le gigantesque projet de la Grande Muraille verte, qui va du Sénégal à Djibouti, a été relancé par le One Planet Summit de janvier dernier qui a permis de mobiliser 14 milliards de dollars pour lutter notamment contre la désertification. Nous menons également des actions en Chine et en Turquie et je tiens à préciser d'emblée qu'il ne s'agit pas de prêts de faveur : ils sont réalisés aux taux de marché.

Nous investissons aussi dans l'éducation. Nous sommes le troisième bailleur mondial dans ce secteur, avec une multiplication par dix de notre contribution au Partenariat mondial pour l'éducation, qui atteint 200 millions d'euros sur 2018-2020. Les résultats en sont significatifs, avec le soutien à la scolarisation de plus de 22 millions d'enfants.

Nous travaillons enfin à la promotion de l'égalité de genre. Nous aborderons ces enjeux lors du Forum Génération Égalité se tiendra dans quelques mois à Paris.

Ces priorités géographiques et thématiques doivent être traitées ensemble et non pas en silo, car la crise de la covid a montré leur enchevêtrement et la nécessité de mettre en oeuvre une approche transversale.

Nous devons également refonder nos partenariats : il ne s'agit plus seulement de faire « pour » nos partenaires du sud, mais « avec » eux, dans une logique de codéveloppement, car nos responsabilités et nos intérêts sont communs. Il faut sortir d'une logique d'assistance ou de charité, pour entrer dans une logique de développement solidaire : en aidant nos partenaires du sud, nous nous aidons nous-mêmes, car les réponses aux grandes questions du XXIe siècle se trouvent à la fois chez nous et chez eux. Pensons seulement au défi de l'immigration irrégulière et aux tragédies humaines qu'elle occasionne. Ce renforcement de la dimension partenariale de notre politique se joue aussi en France : les acteurs de la société civile française se verront reconnaître un droit d'initiative renforcé qui leur permettra de proposer eux-mêmes des projets - avec le doublement des financements prévus - et nous associerons à nos efforts les diasporas africaines en France.

Le pilotage de notre politique d'APD par l'État sera renforcé, avec une chaîne de commandement clarifiée, depuis le Conseil présidentiel du développement, jusqu'au plus près du terrain grâce à une implication renforcée de nos ambassades. C'est le sens de la création des conseils locaux de développement qui seront créés dans chaque poste. Présidés par l'ambassadeur, ils veilleront à la cohérence des efforts de l'ensemble des acteurs, y compris de l'AFD. À chacun de mes déplacements - comme je l'ai fait vendredi dernier à Niamey -, je présiderai moi-même ces conseils et je souhaite qu'y soient associés les autres acteurs du développement, y compris non français, qui sont parties prenantes dans les projets.

Depuis maintenant un an, j'organise désormais une réunion de cadrage avec le directeur général de l'AFD tous les deux mois, afin que les orientations votées par le Parlement soient concrètement mises en oeuvre sur le terrain : cela me permet de piloter l'Agence en temps réel.

Nous devons aussi mieux mesurer l'impact de nos projets avec une commission indépendante d'évaluation, comme il en existe au Royaume-Uni et en Allemagne, et comme l'avait proposé le Sénat. Cette commission devra évaluer les stratégies, les outils et les projets et formuler des recommandations. Elle effectuera une évaluation de l'opportunité et de l'efficacité de la politique menée ; il ne s'agit pas de vérifier les comptes, d'autres organismes existent pour cela ! Je souhaite que cette commission rapporte devant le Parlement, selon ce que l'on appelle désormais la redevabilité. Je suis très ouvert sur sa composition, mais je tiens à ce qu'elle reste indépendante.

Ce projet de loi comporte en outre un volet destiné à attirer en France les fondations et organisations internationales qui jouent un rôle majeur en matière de développement et de promotion des biens publics mondiaux. Les organismes multilatéraux dont nous avons été à l'initiative - Unitaid, le Fonds mondial, la Fondation Aliph, etc. - se sont installés à Genève où les procédures sont plus rapides : je propose donc que nous légiférions par ordonnance sur chaque demande d'implantation. La France doit devenir un carrefour mondial de la coopération internationale et les trois premières éditions du Forum de Paris sur la paix ont montré que nous avions une vraie capacité de mobilisation.

Ce texte a été significativement enrichi lors de son examen par l'Assemblée nationale, qui y a notamment introduit trois dispositions majeures.

Un nouvel article 1erA fixe désormais les grands objectifs de la politique d'APD et rappelle notamment que cette politique est un pilier de la politique étrangère de la France et qu'elle contribue à construire et à assurer la paix et la sécurité. Il y est également précisé que cette politique a pour objectif transversal la promotion de l'égalité entre les femmes et les hommes, dans le cadre de la diplomatie féministe de la France.

Avec mon accord, l'année 2025 a été retenue comme date cible pour l'atteinte de l'objectif onusien de 0,7 % : c'est un bon objectif sur lequel nous devons nous mobiliser.

Le dispositif de restitution des produits de cession des biens dits mal acquis - sur lequel votre collègue Jean-Pierre Sueur a mené des travaux - a été amélioré : les produits de cession de ces biens donneront lieu à des ouvertures de crédits au sein d'un nouveau programme budgétaire afin de financer des actions de coopération et de développement. Il s'agit d'une grande innovation qui se fera dans une parfaite transparence à l'égard du Parlement.

L'Assemblée nationale a également apporté des avancées en termes de redevabilité : création d'une base de données ouverte, élargissement du champ du rapport annuel au Parlement relatif à la politique de développement, positionnement de la nouvelle commission d'évaluation auprès de la Cour des comptes et possibilité de saisine par le Parlement.

Elle a également prévu que la France prendrait désormais en compte l'exigence de responsabilité sociétale des acteurs publics et privés sur le devoir de vigilance des entreprises ; elle a renforcé notre exigence d'accès à un état civil fiable ; elle a prévu un rapport au Parlement sur les dispenses de criblage des destinataires finaux ; et elle a réduit les coûts de transaction de certains transferts de fonds et revu notre stratégie s'agissant des volontaires internationaux.

Après un long et très fructueux débat, ce projet de loi a été adopté à l'unanimité, une première depuis le début de ce quinquennat !

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