Intervention de Sébastien Moncorps

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 9 juin 2021 à 8h15
Audition de M. Sébastien Moncorps directeur du comité français de l'union internationale pour la conservation de la nature uicn

Sébastien Moncorps, directeur du comité français de l'Union internationale pour la conservation de la nature :

La France a été force de proposition sur plusieurs questions, qui ont une résonnance dans notre pays et dans le monde.

Nous proposons de renforcer la protection de certaines espèces ou certains milieux naturels. Je pense notamment aux grands singes, à travers l'expertise du Muséum national d'Histoire naturelle, à la conservation des mangroves, qui ont déjà perdu près de 50 % de leur surface à l'échelle planétaire, alors qu'elles jouent un rôle important en termes d'accueil de la biodiversité et de stabilisation du recul du trait de côte - grâce à nos territoires d'outre-mer, nous disposons d'environ 100 000 hectares de mangroves qu'il nous faut préserver.

Nous avons également formulé des propositions pour la protection des poissons herbivores des récifs coralliens, qui jouent un rôle très important dans la régulation du développement des algues. En cas de surpêche, les algues recouvrent les récifs coralliens et les empêchent de fonctionner convenablement.

Nous souhaitons également une meilleure reconnaissance du patrimoine naturel géologique des milieux souterrains. Il s'agit d'un des angles morts que vous évoquiez, en France mais aussi au niveau international.

Les questions de biodiversité et de changement climatique sont aujourd'hui étroitement liées. Pendant longtemps, on a parlé des conséquences du changement climatique sur la biodiversité, notamment lors de la préparation de la COP Climat à Paris. Nous nous rappelons tous les images de cet ours polaire dérivant sur un morceau de banquise, de ces feux de forêt ou de ces récifs coralliens blanchis. Mais dès qu'il s'agissait d'évoquer les solutions, on ne s'intéressait qu'à la transition énergétique et aux énergies fossiles ; personne n'envisageait de recourir aux solutions fondées sur la nature. Or c'est un message fort que nous portons : aujourd'hui, les plus grands réservoirs de carbone de la planète sont dans les milieux naturels. Ces derniers nous offrent des capacités de captage et de stockage de CO2 gratuites, à condition qu'ils soient préservés, voire restaurés : 50 % des émissions humaines de carbone sont captées et stockées par les écosystèmes. La nature est donc un allié indispensable dans la lutte contre le changement climatique.

La criminalité environnementale est également un sujet important. Le Sénat a formulé des propositions sur le renforcement des sanctions en matière d'atteintes à l'environnement. Nous souhaitons que la criminalité environnementale soit reconnue comme une infraction grave, à l'instar de ce qui a été fait dans la convention des Nations unies sur le crime organisé.

Il est également urgent de s'attaquer à la pollution plastique dans les océans, notamment à travers l'ouverture de négociations internationales et l'adoption d'un traité ou d'une convention internationale contraignants.

La question de la gestion des ressources en sable est un autre angle mort de la protection de la biodiversité. Le sable est la deuxième ressource naturelle la plus utilisée au monde et fait l'objet de prélèvements très intensifs, que ce soit dans les lits de rivières ou sur les plages.

Nous souhaitons aussi la mise en place d'un meilleur contrôle des dispositifs de concentration des poissons, qui posent un vrai problème de préservation des ressources halieutiques.

Nous demandons également, prenant appui sur la loi Labbé qui interdit l'utilisation de pesticides de synthèse dans les espaces verts des collectivités territoriales et dans les jardins des particuliers, la généralisation à l'échelle planétaire de l'ensemble des techniques alternatives, en milieux urbain, rural et agricole, au travers de la promotion de l'agroécologie.

Nous luttons contre la déforestation importée. C'est un sujet nouveau que la France a mis sur la table. Notre pays est d'ailleurs le seul, avec la Norvège, à avoir adopté une stratégie nationale en la matière. Nous promouvons la généralisation de ces stratégies au niveau mondial.

Nous luttons également contre l'intensification de l'artificialisation des sols, qui est un sujet du projet de loi « Climat et résilience ». Il s'agit de mettre en place une meilleure planification en visant un objectif de « zéro artificialisation nette » et en engageant davantage d'opérations de restauration et de renaturation de milieux naturels dégradés.

Nous nous félicitons que la France ait d'ores et déjà pris les devants s'agissant de la question importante des aires protégées, outil majeur de la protection de la nature. À l'objectif de 30 % d'aires protégées en 2030 s'ajoute celui de 10 % d'aires sous protection forte, qui a été adopté au niveau européen.

La France est engagée en matière de préservation de la biodiversité. Elle n'est pas épargnée par le problème planétaire de la dégradation de la biodiversité. Nous espérons que la nouvelle stratégie nationale pour la biodiversité, qui sera adoptée à la suite de la COP15, sera une véritable stratégie de mobilisation de l'ensemble des acteurs, afin de parvenir à un vrai changement d'échelle.

La Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) plaide pour des changements transformateurs, c'est-à-dire des changements en profondeur de l'ensemble des politiques relatives à la biodiversité.

Le système de suivi, d'évaluation et de rapportage, qui a fait défaut dans le cadre des précédentes stratégies mondiale et nationale, constitue aujourd'hui un angle mort. Nous avons en effet manqué de points d'évaluation réguliers sur la base d'indicateurs définis, car les objectifs chiffrés sont beaucoup plus faciles à évaluer quantitativement. Les États avaient adopté en 2010 une très belle feuille de route comportant 20 objectifs internationaux. Malheureusement, on a attendu 2020 avant de faire le point. Les objectifs qui ont été atteints sont ceux qui avaient des cibles quantitatives. Par exemple, nous dénombrons 17 % d'espaces protégés terrestres en 2020, l'UICN a publié un rapport en ce sens. Pour les espaces marins, l'objectif était de 10 %. Il n'a été atteint que partiellement, puisque ces espaces ne représentent aujourd'hui que 7,5 %. Par conséquent, des efforts importants devront être mis en place pour parvenir au chiffre de 30 % !

Cet objectif quantitatif d'augmentation de la surface est indispensable, mais il doit aller de pair avec une gestion efficace et des moyens financiers. Sinon, on se trouve dans la situation qu'on appelle le syndrome des « parcs de papier » : les espaces existent sur le papier, sans avoir pour autant une réalité concrète sur le terrain.

Pour évaluer l'efficacité de la gestion, l'UICN a mis en place un nouvel outil reconnu par l'ONU, à savoir la liste verte des aires protégées. Il s'agit d'une méthodologie visant à évaluer l'efficacité de la gestion et à labelliser les sites efficacement gérés, afin de leur donner une véritable reconnaissance internationale, ainsi qu'une valeur d'exemple. À l'heure actuelle, la France possède le plus grand nombre de sites inscrits sur cette liste verte mondiale.

En matière de coopération internationale, nous sommes loin du compte s'agissant du financement global de la biodiversité. Ainsi, 300 milliards de dollars sont mobilisés par an, alors qu'il en faudrait au moins cinq fois plus.

Nous sommes particulièrement intéressés par les initiatives prises par l'Agence française de développement lors du One Planet Summit. Il s'agit de consacrer plus de financements à la biodiversité dans le cadre de la stratégie d'aide au développement, à l'image de l'engagement pris par l'Agence française de développement (AFD) en faveur du climat.

La France possède aussi un outil très intéressant, le Fonds français pour l'environnement mondial, qui permet d'appuyer et d'aider des projets concrets. Pour notre part, nous avons lié un partenariat avec ce fonds, pour aider à renforcer et à structurer les organisations de la société civile en Afrique francophone. En effet, la mobilisation de tous les acteurs est aujourd'hui nécessaire. Nous ne pouvons pas compter uniquement sur l'action des États et des ONG. Il faut renforcer la mobilisation des entreprises, des collectivités locales et de la société civile, pour parvenir à un véritable changement d'échelle et lutter contre les problèmes d'érosion de la biodiversité.

Dans ce cadre, l'UICN met à l'honneur des stratégies gagnant-gagnant, c'est-à-dire gagnant pour l'économie et pour la santé humaine. À ce titre, permettez-moi d'évoquer la crise de la Covid-19, directement liée à la déforestation et au commerce international d'espèces menacées qui exposent les humains à de nouveaux pathogènes.

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