Intervention de Pierre Ouzoulias

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 15 juin 2021 à 14h30
Projet de loi relatif à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement — Examen du rapport pour avis

Photo de Pierre OuzouliasPierre Ouzoulias, rapporteur pour avis :

La loi de 2008 prévoit qu'un certain nombre de pièces qui intéressent la défense nationale ne peuvent pas être communiquées avant un délai de 50 ans. Nous proposons que, pour les quatre catégories dont mon amendement fait la liste, ce délai soit prolongé de 25 ans, afin que les administrations qui les détiennent puissent en faire un inventaire précis, et distinguer les documents qui pourraient être communicables tout de suite des autres. Si la commission des lois estime que le délai de 25 ans est trop long, nous pourrions envisager de réduire ce délai à dix ans.

Le service historique de la Défense, dont certains locaux se situent au fort de Vincennes, détiennent environ 600 000 pièces classifiées datant de plus de 50 ans, dont 60 000 entreraient dans les quatre catégories nouvelles. À mon avis, il ne leur faudrait pas beaucoup de temps pour les analyser une par une : au cours des deux dernières années, ils ont déclassifié un million de pièces, à la suite de l'IGI - ce qui a occupé plusieurs dizaines de fonctionnaires archivistes. Ce qui est demandé entrerait donc dans leurs capacités matérielles.

Les tranches de dix ans permettent de prendre en compte la situation tactique et géostratégique, qui est extrêmement mouvante. En 1978, quand les documents de la pile Z.O.E. ont été déclassifiés, on n'imaginait pas du tout que, quelque temps après, Daech pourrait s'organiser pour récupérer ces plans et se constituer une centrale nucléaire, au mieux pour faire l'électricité, au pire pour créer de la matière fissile. Il faut laisser aux services de renseignement et aux services de la défense nationale, en fonction de l'évolution des risques terroristes, la possibilité de maintenir l'incommunicabilité de certaines pièces. Ils le font par un acte positif qui, comme tout acte administratif, peut être attaqué devant la CADA, puis devant le Conseil d'État : le chercheur n'est pas sans recours contre l'allongement sine die de ces délais d'incommunicabilité. L'important est que cette loi incite fortement les services à faire l'inventaire de leurs documents sensibles. C'est fondamental pour les historiens comme pour la défense nationale. L'exemple de la pile Z.O.E. montre qu'il peut arriver que, par méconnaissance, on autorise la consultation de documents qui peuvent tomber dans les mains d'une puissance étrangère.

Ce qui me gêne dans la durée de 100 ans, c'est qu'elle s'appliquera à tous les documents qui font l'objet de ces dérogations. Je vous propose pour ma part un délai de soixante-quinze ans maximum, qui pourra, d'une part, être levé avant si les secrets perdent dans l'intervalle leur intérêt, ou qui pourra être prolongé au-delà par période de dix ans. Mais il est bien évident que ces dix ans supplémentaires ne concerneront pas tous les documents entrant dans le champ des dérogations car ils reposeront sur une analyse géopolitique de chaque document. On peut abaisser le délai de 75 ans en délai de 60 ans. Je ne voulais pas mettre le couteau sous la gorge des services, et c'est pourquoi j'ai jugé préférable de leur donner un délai très long : en vérité, à cet égard, quelques années suffiraient. Il y aura une négociation à mener avec les différents ministères concernés.

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