Intervention de Roger Karoutchi

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 16 juin 2021 à 9h30
Contrôle budgétaire — Aides à la presse écrite - communication

Photo de Roger KaroutchiRoger Karoutchi, rapporteur spécial :

Le système actuel des aides à la presse date pour l'essentiel des lendemains de la seconde guerre mondiale. Le secteur était alors complètement déstabilisé, une partie de la presse ayant fait le choix de la collaboration alors qu'émergeaient de nouveaux titres, issus de la Résistance. Le soutien à ces journaux comme la mise en place d'une réponse au manque de papier ont constitué les bases d'un subventionnement de la presse.

La situation n'est bien évidemment plus la même aujourd'hui et le principal enjeu tient à la numérisation de la presse papier. Celle-ci doit permettre d'assigner un nouveau rôle aux aides à la presse. C'est le sens du titre volontiers polémique que j'ai retenu pour mon rapport. Elles pourraient constituer de la vitamine pour des entreprises de presse enclines à accélérer leur modernisation. Faute d'adaptation, elles ne pourraient cependant constituer qu'un soin palliatif pour des titres qui n'auraient pas su répondre à cette modernisation impérative.

Le secteur est en effet sous perfusion. Les aides à la presse écrite, budgétaires et fiscales, s'élèvent à environ 400 millions d'euros en 2021. Ce montant n'intègre pas le dispositif de soutien mis en place pour accompagner la liquidation de Presstalis et le lancement de France Messagerie. Il ne comprend pas non plus les aides exceptionnelles accordées dans le cadre du plan de relance pour 2021 et 2022.

S'agissant des aides budgétaires stricto sensu, elles sont de trois types.

Les aides à la distribution, 39,4 millions d'euros, sont fléchées vers le portage des titres.

Les aides au pluralisme - 23,2 millions d'euros - visent les publications nationales et locales d'information politique et générale et plus spécifiquement, depuis 2021, la presse en ligne, même si c'est encore très faible, et les titres ultra-marins.

Les aides à la modernisation, soit 55,5 millions d'euros, sont en principe dédiées à aider les différents acteurs du secteur - distributeurs, diffuseurs- à faire face aux nouveaux enjeux. Plus de la moitié de ces crédits était orientée jusqu'en 2020 vers le financement de Presstalis. Son remplacement par France Messagerie ne modifie pas cette affectation.

A ces aides budgétaires, s'ajoutent le soutien financier à La Poste pour la distribution des journaux et à l'Institut de financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC) en vue d'accorder des prêts et garanties aux entreprises de presse.

La dépense fiscale en faveur du secteur s'élève quant à elle à environ 160 millions d'euros. Ses effets apparaissent incertains.

Nous disposons donc d'un système d'aide coûteux pour les finances publiques, sans qu'il apparaisse pourtant forcément adapté. La commission des finances comme la Cour des comptes ont déjà par le passé pointé son absence de contrôle et surtout son inefficacité, dans un contexte de crise pour l'ensemble du secteur.

La crise sanitaire est en effet venue exacerber une crise du lectorat. La presse papier est de moins en moins lue. Entre 2000 et 2010, 7 milliards d'exemplaires de journaux étaient distribués chaque année. Ce chiffre a depuis été divisé par deux, 3,2 milliards d'exemplaire étant distribués en 2018.

La crise sanitaire semble accélérer tout à la fois la transition vers le numérique et les difficultés du secteur. La perte de chiffre d'affaires pour l'ensemble du secteur est ainsi estimée à 1,9 milliard d'euros en 2020 par le ministère de la culture. La presse papier a perdu 23 % de ses recettes publicitaires. Les magasins spécialisés ont vu, de leur côté, leur activité chuter de 5 %.

Face à cette crise, le régime des aides n'a pas substantiellement évolué. La dépendance du secteur aux fonds publics justifie pour partie cette permanence. Sans prendre en compte les mesures contenues dans le Plan de relance, les aides publiques représentent en effet 21,4 % du chiffre d'affaires du secteur, soit une progression de 6 points sur les dix dernières années.

Deux évolutions sont cependant à relever.

La première concerne l'appui budgétaire apporté à la transition entre Presstalis et France Messagerie. En additionnant dispositifs de soutien et abandons de créance, l'impact budgétaire peut être estimé à 300 millions d'euros pour la seule année 2020.

La seconde vise le soutien à La Poste. En dépit de sa relative inadaptation à la vitesse de la circulation de l'information et malgré la réduction des volumes postés ; - 35 % entre 2013 et 2018, la distribution postale demeure encore privilégiée par rapport au portage. Reste que le dispositif n'est pas rentable pour La Poste, dont cette activité reste déficitaire en dépit de la compensation versée par l'État. Dans le cadre d'une mission confiée à Emmanuel Giannesini, une réforme de la grille des tarifs, une aide concomitante aux entreprises de presse afin de limiter son impact et une aide au développement du portage sont désormais envisagées. Reste que cette réforme devrait encore être coûteuse...

Mon sentiment tient à ce que lorsque la crise sanitaire sera passée, il faudra parvenir à une refonte de l'ensemble du dispositif d'aide pour le concentrer sur le soutien à la transition numérique et l'ouvrir aux titres de presse de la connaissance et du savoir. C'est le sens de la proposition d'aide unique au titre que je développe dans le rapport. Il s'agit de dépasser un système coûteux et peu efficace. Je ne mésestime pas les difficultés pour aboutir à une telle réforme tant la logique de perfusion actuelle est jugée par de nombreux acteurs comme un des gages de la liberté d'informer. On peut cependant s'interroger sur le maintien d'un régime daté alors que le nombre d'exemplaires papier pourrait être ramené à 1 milliard d'ici 10 ans. Chaque journal distribué va de fait devenir de plus en plus cher pour la collectivité.

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