Les citoyens ont également posé des questions. « En quoi l'édition génétique serait-elle dangereuse ? », « Pourquoi la réglementation actuelle interdit-elle leur usage ? » et « Pourquoi faudrait-il traiter ces substances différemment ? »
M. Yves Bertheau. - La production d'une plante génétiquement ou épigénétiquement modifiée - c'est-à-dire le fait de modifier l'ADN, les histones et les ARN, donc l'épitranscriptome - par les techniques NBT, de type CRISPR-Cas9 ou autres, est souvent présentée comme une opération très précise. Mais pensons aux vidéos de missiles atteignant leur cible durant la première guerre du Golfe : on louait leur précision, mais on ne nous présentait jamais les dommages collatéraux.
Ces techniques in vitro nécessitent l'utilisation de procédés qui n'ont quasiment pas évolué depuis une quarantaine d'années. Un colloque en 2016 à Londres en dressait le constat. En résumé, il faut produire des protoplastes, introduire dans leur noyau des molécules particulièrement grosses comme CRISPR-Cas9, avec des systèmes de délivrance comme Agrobacterium. Ces opérations laissent de très nombreuses traces. Par la suite, comme l'efficacité de l'opération n'est pas extraordinaire, ainsi que l'a rappelé Madame Mazza, il faut recourir à un système de sélection qui doit lui-même être éliminé parce qu'il repose sur un gène de résistance aux antibiotiques. On cherche ensuite à régénérer ces plantes.
J'ai rapidement évoqué ces détails pour introduire la notion de traçabilité. Deux programmes nationaux et un programme international portent actuellement sur la traçabilité. Je participe à deux d'entre eux.
Il existe quatre sources de traçabilité possible :
- le fonds génétique
La majorité des variétés commerciales utilisées (Monsanto, Vilmorin, Limagrain, etc.) peuvent être tracées par ce qu'on appelle une signature de sélection. Ces biomarqueurs sont d'ailleurs utilisés pour l'identification variétale en cours de normalisation à l'ISO ou à l'OCDE.
- le système de délivrance
Les réactifs utilisés pour la délivrance introduisent des modifications dans le génome. Nous sommes actuellement capables par intelligence artificielle d'identifier non seulement le laboratoire, mais parfois même l'individu qui a réalisé tel ou tel OGM.
- les techniques connexes
Les procédés in vitro donnent la variation somaclonale avec de petites mutations et d'épimutations qui sont mal contrôlées. Auparavant on procédait à de la mutagénèse au hasard in vitro et on faisait face à de nombreux problèmes de criblage et de sélection. Les OGM de transgénèse sont apparus comme une nouvelle ouverture. Avec la technique de TILLING (Targeting Induced Local Lesions in Genomes), développée en 2000, qui permet la sélection assistée par marqueurs, on est capable d'utiliser cette variabilité in vitro due à la mutagénèse aléatoire.
- les signatures
Par exemple, chaque fois que vous observez les on-target et les off-target dus à du CRISPR-Cas9, vous retrouvez une séquence PAM (Protospacer adjacent motif) qui permet l'accrochage de l'enzyme Cas9 ou d'une autre enzyme Cas. Elle permet de formuler des hypothèses. Il est également possible d'examiner le degré de mutilation, la différence entre les zones de coupure pour différencier du ZFN du TALEN, etc.
Toutes ces techniques produisent des marqueurs utilisables. Un certain nombre n'ont été découverts qu'en raison de changement de techniques. Par exemple, le séquençage « court fragment » ne permettait pas de repérer les réarrangements chromosomiques dus à Cas9, parce que les bioinformaticiens n'étaient pas formés à la chromothripsie.
Toutes ces sources sont utilisables, par une reconnaissance multiparamétrique, pour détecter et identifier les OGM - ces travaux vont prochainement faire l'objet d'une publication. Les rétrocroisements n'éliminent pas toutes ces cicatrices et signatures pour la simple raison qu'il y a des lignées cellulaires, des haplotypes, etc. Si l'on parvenait à opérer davantage de modifications de variétés élites, ce travail sera encore plus aisé à réaliser puisque le moindre nombre de rétrocroisements réduirait les mutations non intentionnelles.
On sait très bien procéder à ce traçage, qui ne serait pas onéreux. Il suffirait de faire valider les méthodes fournies par le Réseau européen de laboratoires de référence pour les OGM (ENGL). Cela permettrait aux laboratoires de routine de procéder à une PCR quantitative en temps réel classique sur le caractère revendiqué. Ensuite, si la détermination de l'origine - naturelle ou pas - de la mutation prêtait à controverse, il suffirait de faire une ou deux PCR supplémentaires.
En conclusion, la coexistence des filières est très importante parce qu'elle offre une liberté de choix au consommateur, mais assure aussi sa protection contre les aliments industriels - on se souvient du maïs StarLink -, contre les alicaments, ainsi que l'a rappelé Gérard Pascal, et contre la perte des repères ancestraux.